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Cet impressionnant ouvrage consacré à la nécropole de Montarano, près de Faléries (ici Falerii Veteres, conformément à l’appellation moderne de la cité), est issu d’un projet commun de l’Université La Sapienza di Roma et de la Soprintendenza Belle Arti e Paesaggio per la provincia di Viterbo e per l’Etruria meridionale, qui s’est notamment concrétisé sous la forme d’un doctorat soutenu par l’auteur en 2016. S’inscrivant directement dans la prestigieuse lignée de la collection des Monumenti Antichi, inaugurée en 1890, il se compose de deux forts volumes de grand format : le premier de près de 600 pages de texte (avec près de 2000 notes), le second de 260 pages d’appendices et d’index (par matière et par nom, mais non par lieux ; leur emplacement inusité au milieu du second volume, p. 749-760, n’en facilite pas la consultation), suivies de 345 planches de dessins et de photos en noir et blanc, toutes parfaitement mises en page, bien lisibles, et (presque) systématiquement accompagnées d’échelles. La bibliographie, très à jour jusqu’en 2022, comporte plus de 600 titres ; compte tenu des nombreuses questions d’histoire de l’archéologie du début du siècle dernier posées par le volume, elle aurait pu inclure une référence à l’ouvrage de Marcello Barbanera, L’archeologia degli italiani, publié à Rome en 1998.

S’étendant sur la partie nord-ouest de la colline de Celle, au nord-est de Faléries, le groupe de tombes (c’est le sens de « sepolcreto ») de Montarano est le plus ancien de la cité falisque. Ses 67 sépultures ont fait l’objet de fouilles entre 1888 et 1891 (les fouilles à Faléries avaient débuté cinq ans plus tôt), mais le mobilier recueilli, riche de plus de 1700 objets, bien qu’exposé presque immédiatement au musée de la Villa Giulia, n’avait pas été systématiquement exploité à ce jour : les études visant à leur publication, qui aurait dû voir le jour comme volume 5 des Monumenti Antichi, n’ont en effet jamais été portées à leur terme compte tenu du scandale qui porta, en 1900, à la démission de Felice Barnabei, alors directeur du musée (qui lui a consacré en 2023, à l’initiative de Mariapaola Guidobaldi, Valentino Nizzo et Antonietta Simonelli, une exposition importante, malheureusement demeurée dépourvue de catalogue : Felice Barnabei, Centum deinde Centum. Alle radici dell’archeologia nazionale) ; créateur du Museo Nazionale Romano, dont celui de la Villa Giulia était conçu à l’origine comme une annexe, Barnabei fut aussi le fondateur des Notizie degli Scavi, publication encore fondamentale aujourd’hui pour l’archéologie italienne, en dépit des attaques dont elle fait régulièrement l’objet ; en outre, avec plusieurs de ses collègues, il fut à l’origine de l’application de méthodologies novatrices visant à la sauvegarde du patrimoine italien, attentives aux contextes, notamment au travers de la réalisation de cartes archéologiques encore précieuses aujourd’hui.

Cette situation embrouillée, d’autant que le mobilier de ces tombes est aujourd’hui dispersé entre le musée de la Villa Giulia (57 tombes), le musée Pigorini à Rome (8 tombes), mais aussi les musées de Florence et de Bologne (1 tombe chacun), a contraint l’auteur à mener un véritable travail d’enquêteur au travers d’archives abondantes et très dispersées (Villa Giulia, Museo Nazionale Romano, Archivio di Stato de Rome, Musée archéologique de Florence, Bibliothèque d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, Université de Rome, Archivio di Stato d’Orvieto…) – recherches qui ont bénéficié des lumières d’une graphologue (n. 167, p. 54). Mais son travail est aussi, pleinement, celui d’un archéologue, puisqu’il est parvenu, avec ce volume, à donner une publication définitive de l’ensemble du mobilier conservé de la nécropole, passé au crible d’une fine étude critique des différents contextes.

Précédé par une préface détaillée d’Eugenio La Rocca (p. xi-xviii), le premier chapitre (Fouilles, muséalisation du mobilier, études sur la nécropole, 58 p.) présente un inventaire exhaustif du volumineux dossier sur lequel s’est appuyée la recherche : documents d’archives ; actes administratifs (rapports de fouilles et d’achats, histoire des recherches, vicissitudes de l’exposition du mobilier au musée de la Villa Giulia).

Après une introduction détaillant les critères de présentation adoptés, organisés selon onze rubriques, le deuxième chapitre (Le mobilier de la nécropole, 444 p.) présente le catalogue des objets découverts dans la nécropole, pour l’essentiel des céramiques, ici réparties selon six classes différentes (impasto brun, impasto rouge, impasto white on red, impasto red on white, italo-géométrique et étrusco-corinthienne). Ce riche ensemble a permis à l’auteur d’élaborer une très utile synthèse qui lui permet de distinguer 31 formes différentes, présentant de multiples variantes ; en fonction de la complexité et de la diffusion de la forme, leur analyse va de quelques lignes à plusieurs pages. L’ensemble, détaillé aux pl. 143-151, est synthétisé aux pl. 156-157 par une importante typo‑chronologie de la céramique attestée. Le mobilier métallique, moins bien représenté, est cependant très diversifié : il comporte des éléments d’ornement ou de vêtement, des armes, des pièces de char ou de harnachement, ainsi que des objets d’usage domestique. Comme pour la céramique, la typologie est détaillée aux pl. 152-155, mais aucun tableau typo‑chronologique n’en est proposé.

Avec le troisième chapitre (Les contextes de la nécropole, 66 p.), l’auteur se livre à une délicate opération visant à déterminer la fiabilité des contextes des différentes tombes, au travers de la confrontation entre les documents d’archives et le mobilier tel qu’il nous est parvenu. Cet examen le conduit à ne retenir qu’un certain nombre de contextes : 9 % seulement sont certains, 60 % ont été contaminés au moment de leur enregistrement, tandis que le reste de la documentation s’est avéré trop partiel, voire absent, pour être véritablement utilisable. La prise en considération de l’ensemble du mobilier, caractérisé par un « spiccato regionalismo » (p. 503), lui permet cependant de préciser la datation de la nécropole, dont il divise les tombes en sept groupes répartis, pour la plupart, par quarts de siècle : 775-750, 750-725, 725‑700, 700-675, 700-650 (années centrales), 675-650, décennies finales du VIIe siècle. Dans la description des structures funéraires, des incohérences analogues le conduisent à ne retenir que 53 cas bien définis : 15 tombes à puits (incinération), 27 en fosse (inhumation), et 11 à caditoia (inhumations simples ou doubles). Le chapitre se referme sur un réexamen, tombe par tombe, des différents contextes et des problèmes qu’ils posent. L’étude est accompagnée de figures (numérotées en chiffres arabes) et de tableaux synthétiques (en chiffres romains) remarquablement détaillés, comme le tableau synoptique de composition des assemblages funéraires (p. 637-748), qui met bien en évidence les contradictions entre les différentes sources d’archives.

La tension entre l’état de la documentation des fouilles anciennes et la volonté d’en tirer le maximum d’informations possible se résout dans le quatrième et dernier chapitre (Relire la nécropole, 21 p.), où l’auteur reconnaît, p. 569 « una gestione ed una rielaborazione spesso audace dei dati di scavo e dei nuclei di corredo » – mais ce type d’approche était, en l’occurrence, à peu près inévitable. Il y tire la somme des chapitres précédents, en reprenant et synthétisant l’apport des archives et la composition du mobilier, pour finir avec une restitution des différentes étapes de développement de la nécropole au cours de près de deux siècles de fréquentation, entre la dernière phase de la culture villanovienne et l’Orientalisant moyen.

Le volume de travail représenté par cet ouvrage est si considérable qu’on hésite à émettre des réserves sur quelques aspects de la publication des données. Certaines relèvent des fondamentaux de la collection, comme la pratique de numéroter les planches de dessins en chiffres arabes, et les planches de photos en chiffres romains – source assurée d’erreurs de renvois à l’ouvrage dans les publications futures. Plus gênant pour l’utilisation du volume, les planches récapitulatives des pl. 143‑157, qui ne comportent pas d’échelle, n’indiquent pas les numéros attribués aux formes dans le catalogue ; des tableaux de comptages auraient pu être utiles pour évaluer la fréquence des différentes formes. Enfin, même si les références ponctuelles en ce sens abondent dans le texte, il aurait été intéressant de présenter une partie conclusive sur les rapports matériels, mais aussi économiques et politiques de ce qui allait devenir la métropole des Falisques, à cette époque, avec d’autres peuples – Étrusques, Ombriens, Sabins, Latins – ou d’autres cités voisines – Capènes et Véies, en particulier.

Ces quelques remarques ne retirent rien au grand mérite de l’auteur, et à l’intérêt de ce volume qui met la barre très haut pour la future publication des autres nécropoles falisques – et, plus largement, étrusques – explorées au cours des grands travaux des XIXe et XXe siècles, et demeurées depuis, pour nombre d’entre elles, en complète déshérence.

 

Vincent Jolivet, UMR 8546 – AOrOc, ENS – Université PSL Paris

Publié dans le fascicule 2 tome 126, 2024, p. 679-681.