Cet ouvrage de 299 pages, né d’un séminaire et d’un colloque, veut apporter sa contribution à un domaine de recherche en plein essor par « une lecture croisée des textes littéraires, philosophiques et techniques évalués à la lumière des nouvelles données scientifiques et archéologiques ». En effet l’étude des couleurs dans l’Antiquité connaît un regain d’intérêt depuis la découverte des peintures funéraires de Macédoine et les analyses techniques réalisées sur les peintures connues mais également sur les sculptures (cf. notamment les travaux d’Ariane Bourgeois et de Philippe Jockey).
Le livre s’organise autour de trois thématiques principales, les couleurs de la peinture, le jeu des couleurs sur les matières, et quelques réflexions sur le sens des couleurs chez les auteurs latins, déclinées en douze contributions.
Dans la première partie, Agnès Rouveret revient sur cette période charnière que représente pour l’histoire de la peinture antique le tournant entre les époques classique et hellénistique : diversification des techniques picturales avec l’apparition du clair-obscur, ou des effets de fusion optique notamment, naissance des traités d’histoire de l’art dans le prolongement de l’esprit encyclopédique d’Aristote et de son Lycée, analogies entre les mathématiques et la peinture, la musique et la peinture. Mais l’un des aspects les plus importants de cette révolution esthétique est probablement le recours à de nouvelles couleurs par l’usage de pigments organiques jusque-là ignorés. Charikléia Brécoulaki aborde le versant opposé de cette révolution : l’emploi du tétrachromatisme par les peintres du Ve siècle avant notre ère à travers l’usage du blanc (mélinum), de l’ocre (sil attique), du rouge (sinopis du Pont), et du noir (atramentum). Les auteurs anciens, romains notamment comme Pline l’Ancien, émettaient un jugement positif ou négatif sur l’emploi des quatre couleurs ou le recours à des matériaux plus onéreux qui se diffuse à partir de l’époque hellénistique. Parallèlement à l’étude sémantique du terme andreikélon (semblable à un homme, de couleur chair), Laurence Villard dresse un parallèle entre peinture et médecine, en partant d’une constatation : le même terme désigne en grec la couleur et la peau et l’on observe l’emploi par les médecins du tétrachromatisme pour indiquer les quatre humeurs du corps humain ; les variations de ces couleurs primaires permettent une description précise de l’état du patient lors de la consultation. La dernière étude de cette partie concerne la traduction des textes anciens sur la peinture à la Renaissance : Richard Crescenzo prend l’exemple des Images de Philostrate, traduites par Blaise de Vigenère pour mettre en lumière la manière dont ces traducteurs participent à l’enrichissement de la langue française à cette époque en cherchant à résoudre les problèmes posés par la traduction des termes de couleurs.
Dans la deuxième partie, Sophie Descamps-Lequime fait une analyse très intéressante des divers procédés utilisés par les bronziers pour nuancer les couleurs de leurs oeuvres, en particulier en utilisant des alliages cuivreux de teneurs différentes qui leur ont permis de colorer les lèvres, les mamelons ou l’épiderme de leurs personnages. Elle présente en particulier l’état de la recherche sur le fameux « bronze de Corinthe » tant recherché par les Romains. En s’appuyant sur les textes anciens dont elle a publié un répertoire très utile en 2002, Marion Muller-Dufeu montre que les descriptions des couleurs et patines du bronze ne nous donnent aucune information sur la couleur réelle des statues mais visent essentiellement à suggérer leur réalisme.
C’est aux marbres que s’intéresse Valérie Maugan-Chemin à travers l’oeuvre de Pline l’Ancien, Martial et Stace. L’usage de marbres variés et nombreux est une manière de célébrer la grandeur de l’Empire romain ; toutefois, comme l’ont répété plusieurs intervenants, Pline préfère les marbres blancs, car les autres sont pour lui l’étalage d’un goût du luxe individualiste. Les épigrammes descriptives de l’époque hellénistique et du début de l’Empire fournissent à Evelyne Prioux l’occasion d’étudier les jeux de mots et d’effets de sens fondés sur l’emploi des couleurs et matériaux de l’oeuvre d’art ; selon elle, les différences observées entre les papyrus du début de l’époque hellénistique et les épigrammes de l’Anthologie grecque sont dues aux choix opérés par les anthologistes. Des tableaux très utiles répertoriant la fréquence des occurrences de matière suivant les époques, les types d’oeuvres, la notoriété des sujets, dont l’un recense les termes désignant la matière dans les textes étudiés, complètent sa contribution. Enfin Sandrine Dubel revient sur un thème qui pouvait paraître éculé : les boucliers de l’Iliade et du Pseudo-Hésiode, mais elle met en évidence l’abondance des notations de matière et des jeux chromatiques qui enrichissent les descriptions et permettent ainsi à Homère d’être qualifié de père de la peinture par Philostrate.
La troisième partie est consacrée à la vision des couleurs dans la littérature latine des Iers siècles avant et après notre ère. Carlos Lévy étudie la signification de la notion de color chez les orateurs : Cicéron, Sénèque le Rhéteur et Quintilien avec quelques digressions sur Denys d’Halicarnasse. Selon Valérie Naas, les matières et les couleurs chez Pline l’Ancien sont au service d’un discours moral qui parcourt toute son oeuvre : le naturaliste déplore qu’à son époque, on privilégie le choix des couleurs et matériaux au détriment du talent de l’artiste et de la qualité même du dessin. Jean Trinquier choisit le paysage comme sujet d’investigation : quelles couleurs les auteurs de Lucrèce à l’époque flavienne utilisent-ils et quelle place leur accordent-ils ? Il note que les recherches chromatiques de la peinture de paysage n’ont pas trouvé d’écho dans les descriptions littéraires, peut-être parce qu’elles n’appartiennent pas aux codes littéraires et modèles rhétoriques en vigueur. Celles-ci se rapprochent en fait davantage de la peinture de jardin que de celle de paysage qui obéit à d’autres conventions, notamment les effets de clair-obscur.
L’ouvrage propose enfin les résumés des différents articles et se termine par des index très utiles sur les œuvres et passages cités, ainsi que sur les noms propres et notions abordées lors du colloque. Il s’agit ici d’une contribution importante sur les couleurs de l’époque classique à l’époque impériale, qui permet de faire le point sur une question d’actualité tant dans le domaine des couleurs que du sens symbolique ou social que les Anciens leur attribuaient.
Sophie Collin Bouffier