Publié dans la grande collection Forschungen in Ephesos, ce volume constitue le deuxième volet de l’étude globale consacrée au Mausolée de Bélévi (Band VI). Il fait suite à la première publication de C. Praschniker et M. Theuer[1] qui regroupe l’étude architecturale du monument, de son décor sculpté et des études complémentaires, notamment stylistiques menées par W. Alzinger. Le troisième volet lui, est constitué par le volume signé par R. Heinz[2] qui reprend et complète la publication initiale de 1979.
Le livre comprend 14 chapitres illustrés par 172 planches et 10 plans, ainsi qu’une bibliographie riche de plus de 800 titres. Coordonné par P. Ruggendorfer, auteur principal (chapitres 1 à 8), cet énorme ouvrage collectif comprend des contributions de longueurs inégales de M. Trapichler (matériel céramique), M. Schätzschok (verre), M. Pfisterer (numismatique), H. Taeuber (épigraphie), A. Galik-G. Forstenpointner-G.E. Weissengruber (archéozoologie), F. Kanz (restes humains) et W. Prochaska (étude des marbres).
Après une brève introduction majoritairement historiographique, PR présente au chapitre 2 la topographie du secteur : le mausolée est établi à une quinzaine de kilomètres d’Éphèse, en bordure de la route reliant cette ville à Sardes, à proximité d’un tumulus parfois identifié à celui du berger héroïsé Pixodaros évoqué par Vitruve. Le troisième chapitre rassemble les données archéologiques issues des fouilles anciennes et des dernières campagnes (1998‑2005). Pour celles-ci sont fournies des descriptions détaillées des 17 sondages réalisés avec les listes d’US et les arbres stratigraphiques correspondants. L’analyse et l’interprétation de ces données occupent le chapitre suivant : le mausolée aurait été construit aux environs de 300 a. C, le matériel céramique interdisant une date postérieure au premier ¼ du IIIe siècle a. C, période à laquelle est mis en place un culte funéraire qui est maintenu jusqu’au début du IIe siècle a. C. Le long chapitre 6 (près de 100 pages) est consacré à l’étude du décor sculpté du monument. Sont abordés en premier lieu les reliefs des caissons (22 conservés sur 24) de plafond de l’étage du monument. Typologiquement, ces caissons peuvent être rapprochés de ceux du temple d’Athéna de Priène ou des caissons du Hiéron de Samothrace. Au nord sont représentées des scènes agonistiques, sur les trois autres côtés, des duels de centaures et de Lapithes. S’agissant des jeux, PR élimine l’hypothèse de modèles lyciens (piliers funéraires du Ve s. a. C ou tombes du IVe s. a. C) pour privilégier la piste de la peinture sur vase, en particulier celle des amphores panathénaïques. Un relief en position centrale représentant le couronnement d’un personnage masculin est rapproché des en-têtes de décrets attiques. S’agissant de la composition, les scènes de centauromachie sont comparées à celles des métopes du Parthénon. L’analyse stylistique des statues occupe une part importante de ce chapitre : sont étudiés les groupes antithétiques décorant le toit : les griffons renvoient à des modèles achéménides, les vases funéraires à des modèles attiques. Après la description des acrotères (chevaux), PR passe à l’aménagement et au décor de la chambre funéraire qui abritait un sarcophage de marbre à klinè caractérisé par son étrange couvercle fait de deux blocs jointifs et une statue représentant un serviteur « oriental ». Le mythe de Phaéton, peut-être représenté dans la chambre fait l’objet d’un intéressant développement. Le catalogue détaillé des reliefs et sculptures clôt le chapitre. Sur la base des données archéologiques, de l’analyse stylistique des reliefs et après un rappel sous forme de tableau synthétique des observations de F. Rumscheid sur l’ornementation, publiées en 1994, PR propose dans le chapitre suivant de dater plus précisément le mausolée d’entre 310 et 280/270 a. C. Le huitième chapitre est consacré à la périlleuse question de l’identité du propriétaire de la tombe. PR élimine un certain nombre de personnages pour des raisons chronologiques (Mentor et Memnon de Rhodes, Autophradatès). Sur la base d’observations architecturales, l’auteur indique que, contrairement à une hypothèse ancienne, le monument n’a pas pu être construit (par Lysimaque), puis laissé longtemps inutilisé, ce qui exclut de la liste des occupants potentiels Antiochos II mort à Éphèse en 246. Ménandros, satrape de Lydie et Asandros, satrape de Carie sont également éliminés. Restent en lice Cassandre, Lysimaque, Ptolémée Ier, Séleucos Ier, Antigone le Borgne et Demetrios Poliorcète. Les développements les plus longs, qui associent considérations historiques et iconographiques (rapports étroits supposés du commanditaire avec Athènes), concernent Lysimaque et Antigone qui sort vainqueur de cette confrontation passionnante et très argumentée. Les études de matériel qui ont fourni les indices archéologiques étayant les conclusions de PR occupent les 7 derniers chapitres. L’étude du matériel céramologique est de loin la contribution la plus fournie, qui occupe plus de 100 pages incluant catalogue et dessins relatifs aux derniers sondages menés dans et autour du mausolée. L’analyse du dépôt lié au culte funéraire est cruciale s’agissant de la date de l’inhumation du propriétaire de la tombe. L’apport de l’épigraphie (chapitre 12) est ici assez limité : les inscriptions portées par des architraves sur mur mentionnent probablement les Héliades et Phaéton. Mais, si elles se rapportent bien au mythe de ce dernier – au demeurant jamais représenté avant l’époque augustéenne –, elles ne peuvent être rattachées à aucun vestige de représentation sculptée ou peinte conservé dans la chambre funéraire. La présence même d’une telle représentation dans le mausolée (destin tragique d’Agathoclès ?) ne s’explique pas facilement. Quant à l’étude des restes humains (chapitre 14), elle ne concerne que de deux dents découvertes en 1935 dans le sarcophage, qui ont disparu depuis longtemps mais ont été photographiées et attribuées « avec une grande vraisemblance » à un individu d’entre 40 et 50 ans : si elles appartiennent au propriétaire de la tombe, elles excluent d’office Lysimaque, mort à 80 ans mais également Antigone, mort, lui, à 81 ans! Le mystère n’est donc pas complètement dissipé.
Ce livre considérable met à la disposition des chercheurs les données archéologiques brutes de sorte que chacun dispose désormais des éléments nécessaires pour juger de la pertinence des nombreuses hypothèses suscitées par cet extraordinaire monument. Le dossier graphique et photographique est d’excellente qualité mais on peut regretter que les comparanda n’aient pas été eux aussi illustrés ce qui aurait permis d’apprécier pleinement les analyses stylistiques. On peut aussi regretter que l’étude de l’ornementation n’ait pas été reprise. Ces deux remarques mises à part, l’ouvrage est absolument remarquable par sa rigueur, son objectivité et la qualité de ses conclusions.
Laurence Cavalier, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607, Institut Ausonius
Publié en ligne le 3 décembre 2018
[1] Das Mausoleum von Belevi, Vienne 1979.
[2] R. Heinz, Das Mausoleum von Belevi. Bauforschung, Vienne 2017.