Cet ouvrage, fort de 645 pages, comprenant 28 contributions et de très nombreuses illustrations (couleurs et n/b), publie les actes du colloque de Caen (25-28 mai 2009) qui s’inscrit dans le cadre des colloques internationaux de la SEMPAM (Société d’Études du Maghreb préhistorique, antique et médiéval). Les deux organisateurs, Claude Briand-Ponsart et Yves Modéran, avaient choisi de le consacrer aux problématiques des territoires dans l’Afrique antique. La publication, portée à son terme grâce à Claude Briand-Ponsart à la suite du décès brutal d’Yves Modéran, le 1er juillet 2010, est fortement marquée par la personnalité historique et humaine de ce dernier : les questionnements sont liés aux travaux du CRAHM de l’Université de Caen Normandie (les centres et lieu de pouvoir, les phénomènes de migrations et d’acculturation, les identités et l’ethnogenèse), dans lequel prenaient place les recherches des deux organisateurs, et l’éventail des invités rend bien compte des liens d’amitié que nombre de ressortissants du Maghreb avaient noués avec eux. Le livre s’ouvre sur une présentation due à Cl. Briand-Ponsart qui définit les contours du thème et dresse le panorama des articles (p. 9-13), tandis que plusieurs notices d’hommages, rédigées par des collègues et des amis, retracent ensuite l’apport décisif de la pensée d’Yves Modéran à un certain nombre de domaines ainsi que ses activités de chercheur et d’universitaire ; une bibliographie du savant disparu est fournie aux p. 35-38. Les 28 articles sont répartis en quatre sessions qui suivent l’ordre thématique mis en place lors du colloque : 1. Fonctions urbaines, hiérarchies et réseaux ; 2. La cité et son territoire ; 3. Structuration des territoires, espaces tribaux, espaces ruraux ; 4. Pratiques funéraires, religions et organisation de l’espace. Les résumés des contributions, en français et en anglais, sont fournis en fin de volume. Celui-ci s’achève sur la présentation de deux ouvrages : Lieux de culte : aires votives, temples, églises, mosquée (IXe colloque international sur l’histoire et l’archéologie de l’Afrique du Nord antique et médiévale, Tripoli, 19-25 février 2005), Paris, CNRS (Études d’Antiquités africaines), 2008, 315 p. (par J. Desanges, p. 613-617) et Antiquités africaines, 43, 2007 (par J.-P Morel, p 617-623).
Un colloque sur le pouvoir et l’espace en Afrique ne pouvait manquer de laisser une large place à l’activité des autochtones, à laquelle Y. Modéran accordait une si grande attention, comme en témoigne de manière magistrale son grand opus sur les Maures (2003). Les recherches sur l’Afrique ont en effet, depuis une cinquantaine d’années, mis en valeur, avec une précision de plus en plus remarquable grâce à la multiplication des fouilles et à leur dimension toujours plus scientifique, grâce aussi au renouvellement de la documentation épigraphique et à la relecture des sources anciennes, la part prépondérante des Africains dans l’élaboration d’un espace original sur bien des points : mutation des royaumes africains, cultures urbaines et rurales, organisation des espaces se situent au point de convergence entre les pratiques anciennes et les principes tirés de modèles extérieurs, hellénistique puis romain, enfin arabe. L’autre intérêt du livre est de dessiner la trajectoire de ces évolutions sur un temps long, cher à F. Braudel, qui donne ainsi à comprendre les lignes de force de cette société (ou faudrait-il écrire ces sociétés ?) au-delà des accidents de l’histoire : en effet, les travaux s’intéressent à l’Afrique depuis les peuples de la protohistoire jusqu’au Moyen Âge (XIIIe s.), en passant par les royaumes africains et l’époque romaine (la mieux représentée en raison de l’abondance de la documentation), mais aussi l’époque byzantine. Cette approche par la longue durée caractérise les quatre thèmes des sessions dont le contenu respecte l’ordre chronologique plutôt que géographique : l’objectif est de donner à voir et à comprendre les choix des communautés au travers de leur évolution et non pas de cartographier l’Afrique antique ; l’optique est donc historique plus que géographique et l’on saluera le principe qui a donné une large place au Moyen Âge arabe, plaçant ainsi la continuité (faite aussi de ruptures !) au cœur de la réflexion. La richesse de l’ensemble ne doit pas occulter les absences, au nombre de trois : la Carthage punique et la province républicaine ne sont pas représentées (même si le tracé de la fossa regia est réexaminé par H. Abid, mais à partir des bornes impériales dans le cadre d’une étude sur le territoire à l’époque flavienne), ce qui correspond bien à l’état actuel de la recherche, où ces périodes attirent relativement peu les chercheurs, sans doute en raison d’une documentation encore faible : on espère que les fouilles engagées à Althiburos donneront un bel éclairage sur la cité républicaine. Plus étonnant sans doute est le silence qui entoure aussi les Vandales, surtout quand on songe à l’intérêt que leur portait Yves Modéran, mais ce n’est sans doute pas un hasard dans un ouvrage dont les auteurs sont tous français ou maghrébins, moins séduits sans doute par ce domaine de recherche que nos collègues allemands et anglo-saxons qui l’arpentent au contraire activement. Les barbares du nord apparaissent de manière furtive au détour de la présentation du projet d’Althiburos dont la partie des fouilles la plus originale, la plus attendue, portera cependant sur la ville numide, ou bien de la contribution de S. Hassab sur Ceuta. Le dernier aspect de l’ouvrage à signaler est bien sûr le renouvellement de la matière dans plusieurs domaines : sites nouveaux (tumulus protohistoriques du Maroc, mais surtout plusieurs sites datés des époques tardive ou médiévale), sujets rares (l’administration royale, les juifs), dossiers rénovés (la logique du centre monumental de Carthage, le tracé de la fossa regia et celui de la voie Ammaedara-Thelepte, les territoires de Thugga, Tacapes, Sufes, Lambèse, les fouilles d’Althiburos, la Numidie ecclésiastique, diverses questions administratives – contributio, libertas, contrôle des peuples -, le dossier délicat des relations entre Baal Hammon et Saturne) et uniquement deux approches plus économiques (la production de sel, les horrea). L’ensemble des auteurs ont cherché à faire honneur aux organisateurs du colloque, à leur dynamisme et à leur affection pour l’autre rive de la Méditerranée, ils y sont largement parvenus.
Michèle Coltelloni-Trannoy
mis en ligne le 4 juillet 2016