Nicole Fick a enseigné le latin dans les universités de Dijon et de Besançon pendant une quarantaine d’années. Ayant commencé comme assistant (selon la dénomination de l’époque), elle a franchi tous les échelons de la carrière. Elle a été doyen environ dix ans, cela sans renoncer à ses recherches qui lui faisaient fréquenter les congrès où elle rencontrait ses pairs. C’est ce qui explique la taille de ces « Hommages » (six cent quarante-huit pages réparties en deux volumes). En plus de la bibliographie de la dédicataire et de sa présentation par S. Laigneau-Fontaine, ce Liber Aureus contient trente-sept contributions réparties en quatre groupes simplement intitulés : « L’Antiquité », « Le roman latin », « Survivance de l’Antiquité », « Varia ». Car le rayonnement du professeur honoré est si fort qu’ont voulu apporter leur pépite non seulement ses collègues ou anciens collègues antiquisants bisontins ou dijonnais, mais encore des représentants d’autres disciplines, des confrères d’autres universités françaises et étrangères, des élèves ou anciens élèves, des amis.
Lorsqu’on écrit pour ce type de publication, alors qu’aucun thème n’est imposé, on choisit un sujet qu’on pense, consciemment ou inconsciemment, en rapport avec la personne à qui le cadeau est offert. Se dessine alors en filigrane un portrait de cet universitaire tel qu’il est perçu par les auteurs des contributions. Dans le cas présent, il est passionnant de rechercher le visage de N. Fick qui se profile et de relever quels traits ont frappé les esprits. Un grand nombre de collègues la voient comme le type même du bon antiquisant et lui offrent des textes illustrant le genre de recherches que ce dernier doit mener 1 (J.-C. Carrière, « À propos de la méthode de citation et du projet d’Athénée. Autour d’une phrase de Xénophon (Agésilas, 5, 1) citée par Athénée dans une série sur l’ivresse-folie (Deipnosophistes, 613 a-c) » ; M. Fartzoff, « L’irrationnel dans les tragédies conservées de Sophocle : quelques réflexions » ; A. Pourkier, « Les hérésies mères du Panarion d’Épiphane de Salamine : une histoire de l’humanité des origines au Christ » ; M. Woronoff, « Les clients de Lysias, autoportrait d’un groupe dirigeant ou Du malheur d’être riche à Athènes ») ; l’antiquisant modèle suit la « fortune » de l’antiquité à travers le temps, d’où P. Monat, « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. L’étonnante survie d’une parole prêtée à Jésus-Christ » ; R. Bordei-Boca, « Les “Roumains” au cTmur de Rome. Histoire, mythe et symbole ou Quand les fées se penchent sur les faits » ; S. Laigneau-Fontaine et un groupe d’étudiantes participant à son séminaire, « “Cadeau d’ennemi, cadeau maudit” : quelques réflexions sur les Adages d’Érasme » ; D. Souiller, « Pour en finir avec les humanités : Troïlus et Cressida de Shakespeare ». Certains, se souvenant de la thèse de la dédicataire et de ses nombreux articles sur les Métamorphoses d’Apulée, ont choisi d’écrire sur cet ouvrage (G. Puccini-Delbey, « Redde me meo Lucio (Métamorphoses, XI, 2, 4) : métamorphose et identité de Lucius dans le roman d’Apulée » ; K. Sallmann, « Jeux hasardeux et fêtes fatales, Apulée, Métam. 2, 31-33, 12 et 10, 29-35 » ; M. Zimmerman, « “…and we call her by the name of Pleasure” : an intriguing question in Apuleius’ Metamorphoses, IV.24.4 »). « Les métamorphoses dans la Comédie aux Ânes de Plaute » de C. Filoche compare l’utilisation du procédé de la transformation par le dramaturge et par l’auteur de l’Âne d’or. Le personnage de Lucius, « jeune homme animé d’une grande curiosité » qui « veut voir l’endroit et l’envers des choses » (p. 476) a poussé J.-M. Fick à analyser l’avatar moderne de ce héros dans « Lucas cyberneticus ou les métamorphoses de l’humain » ; restant dans le domaine de la communication, L. Favier propose des « Réflexions sur l’évolution des “technologies de l’intellect” : la “société de l’information” a-t-elle innové depuis l’Antiquité ? ». Élargissant le champ, J.-Y. Guillaumin a traité d’une autre Tmuvre d’Apulée dans « Arithmétique et prestidigitation dans le De magia (ch. 89) » avec des figures très éclairantes ! Il ne faut pas oublier que les Métamorphoses d’Apulée sont souvent considérées comme un roman à l’intérieur duquel sont insérés des contes ; l’enseignante dijonnaise, elle-même, d’ailleurs, s’est intéressée à ce type de productions, d’où une série de contributions sur le Satiricon de Pétrone, les romans anciens, l’art du récit et du conte jadis et maintenant (à propos de Pétrone, N. Boëls-Janssen, « Aspects religieux du Satyricon de Pétrone » ; G. Bonnet, « Pétrone chez les grammairiens de l’Antiquité tardive » ; A. Estèves, « Rem horribilem narrabo. Asinus in tegulis (Sat., LXIII, 2-3) : les transpositions grotesques de l’horror épique dans le Satiricon de Pétrone » ; M. Pardon-Labonnelie, « Lippitudo, de “l’affection oculaire” à la “chassie” » au sujet de Sat. 28, 4). Plus généralement, s’occupent des récits – de l’antiquité à nos jours – J. Blänsdorf, « Narrativité et psychologie dans les Métamorphoses d’Ovide : l’exemple du mythe d’Atalante (Mét. X 560-709) » ; P. Cauderlier, « Relecture du Coq, ou de Lucien de Samosate à Giacomo Leopardi par des chemins détournés » ; C. Daude, « Chryséis (Dion Chrysostome, LXI) ou l’invention du personnage romanesque » ; F. Létoublon, « La pierre magnétique de l’amour » ; E. Oudot, « Conquérir la sagesse pour conquérir le monde : Apollonios de Tyane sur les traces d’Alexandre et de Dionysos » ; J. Poirier, « Le Minimalisme des ruines : sur Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia de Pascal Quignard » ; M. Courtois, « Le conte merveilleux, récit initiatique ou initiation au récit ? » ; M. Krazem, « Le roman au secours de la temporalité des phrases averbales », fine étude qui laisse penser qu’une méthode semblable appliquée aux Métamorphoses d’Apulée ou à Pétrone donnerait des résultats passionnants. Par association d’idées, certaines contributions rapportent des histoires romanesques, voire rocambolesques, comme celle d’un autel du musée de Tachkent (F. Poli, « Le grand-duc de Russie, l’aventurière américaine et les diamants volés : note sur CIL X 2274 ») et celle de la genèse de la grammaire latine de S. Reinach (H. Duchêne, « Quelques lettres à propos d’une grammaire latine. Salomon Reinach et l’éditeur Charles Delagrave »). L’analyse des Tmuvres auxquelles elle s’est consacrée a entraîné N. Fick à s’intéresser à l’imaginaire – d’où le cadeau de J. Thomas, « Méthodologies de l’imaginaire et sciences de l’Antiquité : un dialogue. Un exemple : l’imaginaire de la limite »–, et, en particulier, à l’imaginaire des parfums, ce que rappelle « Parfums et aromates dans le mythe du Phénix » de F. Lecocq. C’est assurément le caractère scabreux de maint épisode du Satiricon ou des Métamorphoses d’Apulée qui a inspiré à C. Dobias-Lalou l’idée d’« Une lecture grivoise du kissubion (Théocrite, I, 27-60) ». Certains participants n’ont pas oublié le titre précis de la thèse de N. Fick : Art et mystique dans les Métamorphoses d’Apulée. Partant, il en est qui, incités sans doute par le terme « mystique », ainsi que par plusieurs articles de la dédicataire sur la magie, sur la religion, sur certaines divinités, ont consacré leurs pages à de tels sujets (A.-M. Taisne, « La mythologie dans le roman latin » ; D. Briquel, « La bataille du lac Régille et l’origine des temples des Dioscures et de Cérès, Liber et Libera »). Dans sa thèse, la chercheuse mettait en lumière l’importance de la réflexion philosophique, ce que commémorent ici P. Rodrigo, « L’instance rhétorique dans l’éthique aristotélicienne » et M. Perrot, « De l’Âne d’Or d’Apulée aux “Trois métamorphoses” nietzschéennes : symbolisme animal et ascension spirituelle ». Dans le titre de l’opus magnum de notre consœur figure également le mot « art », c’est ce qui explique les pages d’A. Pigler, « La condition des femmes artistes à l’époque de Camille Claudel » – où, par un malheureux hasard, manque la photo 7, annoncée p. 638, représentant la sculpture d’H. Bertaux « Psyché sous l’empire du mystère » qui avait tellement sa place dans cette offrande à celle qui a tant écrit sur le conte d’Amour et Psyché !
Ainsi apparaît, élément après élément, la façon dont les collègues et amis de N. Fick la voient, avec son goût pour l’érudition, son amour de l’antiquité qui innerve sa modernité et le dynamisme qui y est lié, sa propension à la réflexion philosophique, son humanité nourrie de contacts qui illumine son autorité de « patronne », son penchant pour l’art. La quatrième de couverture indique que le titre de ces Mélanges, Liber Aureus, « pastiche celui des romans latins » ; mais comment n’aurait-il pas été aureus, ce « blason » d’une docta puella ? car Properce 2 n’appelait-il pas sa docta puella « aurea » Cynthia ?
Lucienne Deschamps