Présenter en 128 pages l’histoire de la Rome antique, de 753 av. J.-C. à 476 apr. J.-C. relève d’un défi que le souci de ne négliger aucune piste pour faire connaître et apprendre cette période donne pourtant un motif de relever. Le projet peut alors se révéler stimulant, et susciter même l’intérêt d’enseignants et de chercheurs familiers avec cette matière, du moment où les sélections et choix qui l’accompagnent nécessairement répondent à un propos articulé, porteur d’une vision cohérente. En l’occurrence, l’auteur favorise l’image d’une Rome comme puissance avide d’abord de paix, quand bien même elle ne conçoit faire rimer guerre qu’avec victoire et s’en donne les moyens. Il s’ensuit que l’ouvrage privilégie la période réputée la plus stable, à savoir les deux premiers siècles du Principat qui occupent les chapitres III à VII (p. 30-96) ; sont alors successivement considérés l’histoire (chap. III), l’espace romain (Rome, l’Italie, les provinces ; chap. IV), le droit et l’organisation des armées (chap. V), les aspects économiques et la structure de la société (chap. VI, avec p. 74, une redite à propos des temples et des autels, déjà mentionnés p. 25 ; p. 88, redite sur les esclaves, évoqués en termes proches p. 22), la culture et les religions, à la fois polythéistes et monothéistes (chap. VII) ; c’est dans ce chapitre qu’est signalée la littérature des deux premiers siècles apr. J.-C., grecque aussi bien que latine, se limitant aux ouvrages qui ont été conservés. Si les principaux conflits extérieurs sont évoqués – ce qui ne va pas sans quelque déséquilibre avec la République : Iulius et Sacrovir sont cités alors que Vercingétorix ne l’a pas été ; Tacfarinas l’est quand Jugurtha est passé sous silence –, et si les tensions entre prince et Sénat le sont à travers leurs principales manifestations ponctuelles, ce sont surtout les aspects les plus représentatifs de la pax Romana qui sont en évidence et une large part est faite aux provinces tant du point de vue géographique que politique ou économique ; on retient en particulier les pages consacrées à l’agriculture, à l’artisanat et au commerce, indices d’une société peu sujette aux turbulences. Cette présentation synchronique induit cependant quelques tensions ; pour prendre un exemple, Agricola est présenté, à la p. 37, comme « beau-père de Tacite » et Trajan à la p. 38 comme « ami de Tacite », mais ce n’est qu’à la p. 92 qu’est mentionné Tacite comme historien. De telles tensions, qui ne sont à la vérité pas si fréquentes, semblent inévitables dans une telle synthèse.
Ce « noyau » alto-impérial, qui constitue le coeur du livre, est précédé par un chapitre sur les origines, incluant des considérations géographiques (chap. I), et un autre sur la période républicaine (chap. II), englobant l’histoire et la société, en ne retenant que les faits et personnages essentiels ; la section sur la religion est courte et ne cite pas les sacerdoces ni les confréries. Deux ultimes chapitres évoquent le Bas-Empire (chap. VIII) et la chute de Rome (chap. IX). Le premier résume les principaux événements jusqu’en 363 apr. J.-C. (mort de Julien), propose un développement sur les deux principaux ennemis de Rome, les Germains et l’Iran, et passe en revue les évolutions que connaît l’empire sur les plans des institutions, de l’économie, de la société et de la religion. Le dernier, plus court, assimile la fin de la Rome antique à un processus lent, qui couvre la fin du IV e et le V e s. apr. J.-C. Une conclusion revient sur certaines idées qui ont parcouru le volume : l’aspiration des Romains à la stabilité, l’efficacité de leur armée, la capacité de leur empire à intégrer des populations étrangères, la bonne santé générale de leur économie, leur puissance démographique…
Si quelques formules avoisinent le cliché (p. 23, sur Cicéron : « le personnage peut ne pas être sympathique, mais il a porté la langue latine à sa perfection »), la sentence (p. 56 : « L’Anatolie […] aurait été pauvre si les hommes n’en avaient décidé autrement »), voire l’ironie (p. 64 : « Néron […], un gros garçon capricieux, eut l’idée étonnante de fonder la politique sur l’esthétique »), on ne peut généralement qu’être admiratif devant leur qualité de synthèse, la précision du vocabulaire utilisé (toutefois p. 92, « élégiaques » serait le mieux approprié pour Tibulle et Properce) et, plus largement, devant la capacité de l’auteur à faire comprendre en quelques mots l’essentiel de situations ou d’institutions complexes, et à insérer des définitions utiles, sans pour autant jamais cesser de poser des questions et de s’inscrire dans une problématique. À cet égard, l’évocation opportune des sources archéologiques, épigraphiques ou numismatiques (également des données environnementales) non seulement permet de nuancer le propos, mais aussi sonne comme un rappel méthodologique, invitant à la confrontation et au recoupement des sources, ainsi qu’à la méfiance envers des idées et des expressions usuelles certes, mais simplificatrices voire erronées, ou encore à la prudence au moment d’établir des périodisations (on s’étonnera néanmoins, p. 14, de la division en trois guerres samnites, qui ne trouve guère d’écho dans les textes anciens).
Ainsi c’est donc bien, compte tenu des limites et des contraintes inhérentes à ce type de synthèse, une réflexion sur l’histoire et la société romaines qu’on trouvera dans ces pages, et non un digest de culture générale antique (pour prendre un exemple, Camille, figure notable de l’historiographie romaine et des exempla rhétoriques, n’est pas cité). À ceux qui ne connaissent pas l’Antiquité, ce petit livre, qui procure aussi un petit nombre de cartes et de tableaux, apprendra beaucoup de choses. À ceux qui les connaissent déjà, il ouvre des pistes pour les concevoir et les exprimer avec plus de clarté.
Olivier Devillers