Qui connaît les antiquités de Kythnos ? L’île des Cyclades de l’Ouest n’est pas des plus célèbres dans la littérature scientifique et n’apparaît vraiment qu’à travers les récits des voyageurs et un article de L. Robert, écrit en 1977[1], avant les grandes fouilles d’A. Mazarakis Ainian (AMA). L’obscurité de l’île est maintenant levée grâce à la ténacité du professeur de Volos, qui avait quelques liens de famille à Kythnos et qui a su obtenir depuis 1990 le soutien de nombreuses institutions, essentiellement grecques. Il nous livre en 2019 un joli livre, très bien illustré, malgré quelques faiblesses dans l’impression des photographies (fig. 28, 50, 123 a/b, 244), mais qui n’est qu’un rapport préliminaire, les fouilles se poursuivant.
Si Kythnos était restée obscure, c’est que rien ne la distinguait en surface, ni grands bâtiments, ni trouvailles impressionnantes comme la Vénus de Milo ou les ruines de Délos. Le dossier épigraphique est maigre et les allusions dans les textes littéraires permettent juste d’insérer l’île dans l’histoire ‘banale’ des Cyclades : domination athénienne, puis rhodienne, présence de pirates entraînant un déclin au Ier s., la population se regroupant au port.
La recherche s’est concentrée sur le site de Vryokastro : acropole, nécropole, port (bien défendu par un coupe lame de 100 m de long et 30 m de large), fortification classique ou hellénistique ; de ces vestiges émerge au S.-E. de la cité une forteresse (73 x 37 m, qui pourrait être l’œuvre de Philippe V, ou des Kythniens alliés des Rhodiens). Citons aussi un système d’aqueduc souterrain, repéré sur 2 km, amenant l’eau à une fontaine à trois bouches au centre de la cité (le système est le même qu’à Tinos, mais n’a rien à voir avec le tunnel d’Eupalinos à Samos).
L’essentiel de l’ouvrage, comme l’indique le titre, concerne les sanctuaires[2]. Il y en a une série sur le plateau regardant la mer qui formait comme une façade monumentale pour celui qui abordait l’île par bateau, à la façon d’Agrigente, sans avoir toutefois la qualité des temples siciliens. Qu’on ne s’attende pas à trouver une architecture sortant de l’ordinaire : les constructions sont de simples chapelles de gneiss, et les membres architecturaux sont taillés dans une pierre de médiocre qualité, qui se désagrège facilement (cf. le chapiteau dorique, fig 81, et le triglyphe de la fig. 104). Il faut croire que les Kythniens avaient peu de goût pour le bel ouvrage.
Dans ces constructions, AMA a identifié grâce au matériel typique un Thesmophorion au sommet de l’acropole, occupé du VIIIe au Ier s. Les kernoi éleusiniens ne laissent pas en effet place au doute et viennent confirmer une inscription d’Éleusis faisant état d’un téménos loué à Kythnos par les déesses athéniennes (l’organisation n’en est pas claire et comporte quatre bâtiments dont deux ‘chapelles’ de 15,40 x 6,90 m et 12 m).
Le plateau du milieu était voué à Asclépios, Aphrodite et aux dieux de Samothrace. Deux bâtiments : celui du sud, 17,40 x 11,50 m disposait de deux pièces ouvrant sur un porche ; une citerne en forme de poire, de dimensions impressionnantes, récupérait les eaux du toit. À l’est a été mis au jour un autel. Un autre bâtiment d’époque hellénistique comprenait quatre pièces de quatre mètres de côté ouvrant sur un porche. L’attribution des structures aux différentes divinités connues par les inscriptions n’est pas encore bien établie et il n’est d’ailleurs pas sûr que les deux bâtiments soient des temples.
À l’extrémité nord du plateau du milieu, AMA a dégagé deux oikoi (2,90 x 8,50 m) qui portaient un entablement dorique, mais sans colonnes (cf. Fig. 1, 2). Seul celui du sud est bien conservé : il comportait une cella de 5m de long et un adyton de 2 x 2,90 m, doté d’une base en argile pour un xoanon. Deux autels étaient disposés de façon orthogonale par rapport aux temples, ce qui est très rare (à Délos, au Dioskourion des autels multiples sont aussi disposés latéralement par rapport au temple). Cet adyton a été rempli d’offrandes à la suite d’un tremblement de terre qui a détruit les premières structures au IIIe s. av. J.-C. et n’a plus été touché. La moisson d’objets conservés est considérable et on ne saurait citer toutes les catégories d’offrandes. Ce qui frappe, c’est la diversité et la qualité de ces offrandes où l’on distingue particulièrement des éléments d’ambre et de cristal de roche, provenant de colliers, et des coraux avec anneaux de suspension. Les offrandes métalliques dominent (fibules, pendants d’oreille, 120 objets d’argent et 75 en or). Ce lot remonte essentiellement au VIIe‑VIe s. La fréquentation des lieux a duré jusqu’au Ier s. av. J.-C., puis le site a été abandonné au profit du port.
Ces trouvailles exceptionnelles contrastent avec la médiocrité de l’architecture. On attend une étude plus précise pour distinguer ce qui était local de ce qui était importé (il y aurait une fabrique kythnienne de vases orientalisants). On pourrait mettre l’importance des trouvailles métalliques en rapport avec les mines de fer, dont l’exploitation s’est prolongée jusqu’au XIXe s. (On a mis en évidence des fours du IIIe millénaire et il serait bon de découvrir une suite pour avoir des indices sur les bases de la prospérité jusqu’à l’époque classique). Les trouvailles de la favissa ne suffisent pas à faire basculer Kythnos du côté des îles riches, comme Siphnos avec ses mines d’argent, mais il ne fait pas de doute que l’exploitation des ressources naturelles est un des éléments déterminants dans le processus de développement en Égée.
Les travaux d’AMA s’inscrivent dans le développement des études sur l’archipel égéen qui ont désenclavé des îles comme Tinos (travaux de Nota Kourou) ou d’Anti‑Paros‑Despotiko (I. Kouraios) et ont renouvelé l’histoire des îles à l’époque archaïque : on ne peut que s’en féliciter et rendre hommage aux archéologues qui ont ouvert la voie par leurs travaux.
Roland Étienne, Université Paris 1- Panthéon – Sorbonne, UFR – Histoire de l’Art et Archéologie
Publié dans le fascicule 2 tome 121, 2019, p. 510-512
[1]. L. Robert, « Monnaies hellénistiques », RN 19, 1977, p. 7-34.
[2]. Il n’y a pas que des bâtiments sacrés. On notera la présence d’un curieux ‘Prytanée’, identifié par une série de poids publics ; son plan original comportait des salles au rez-de-chaussée et les pièces nobles à l’étage auquel on accédait par un escalier.