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Tout d’abord on s’étonnera du titre : « La caccia fu buona », la chasse fut bonne, qui fleure bon le roman d’aventures. Mais de quelle chasse aventureuse s’agit -il ? Celle des hommes qui depuis plusieurs siècles – l’auteure remonte à Titus au Ier siècle de notre ère – explore Pompéi et en retire des trésors ? Ou bien s’agit-il de l’auteure elle-même qui a su pister les moindres archives dont certaines nous étaient inconnues. L’image en première de couverture nous montre une jeune paysanne pieds nus, pensive devant un mur peint qui vient d’être exhumé, laissant vide son panier alors que d’autres compagnes ont chargé le leur de gravats.

D’entrée de jeu, c’est une partie de Pompéi qui est fouillée dans ses moindres recoins, la région VIII, 2, entre le temple de Vénus et les thermes du Sarno, au sud du forum, dont des plans des différents niveaux de terrasses nous sont fournis. Puis nous avons des hypothèses de restitution des édifices de cette zone, comprenant trois sous-sols et un étage.

Une première partie envisage la région VIII entre 79 et 1799, et le chapitre premier nous fait part de la récupération des matériaux de construction et du chantier de « déconstruction ». On apprend que l’empereur Néron aurait pu être présent lors du séisme de 62/63, comme des graffitis de la maison de C. Julius Polybius le suggéraient par un don au sanctuaire de Vénus.  Une partie des dalles du forum ont été récupérées après l’éruption, comme on le voit sur un plan récent. L’intervention impériale, celle des curatores restituendae campaniae  est bien mise en valeur.

Le chapitre deux est consacré justement à la fouille du forum au XIXe siècle, avec un plan de l’extension exacte du secteur exploré. Au passage, un cliché de la fouille du temple de Vénus est correctement légendé qui avait été attribué à un autre secteur de la ville.

Puis le chapitre trois nous plonge dans l’organisation du chantier d’exploitation des dalles du forum, dont on découvre des éléments de corniches dans une maison voisine, appelée maison de Championnet, car fouillée par ce général français, et qui suppose une activité de récupération tout de suite après l’éruption.

L’hypothèse prend du volume avec le chapitre 4, intitulé : « et si Carlo Bonucci avait raison ?  Élément pour une histoire post-éruptive de Pompéi ». Carlo Bonucci a été directeur et architecte de Pompéi entre 1824 et 1850 et a écrit un livre en 1827 qui est détaillé par notre auteure. Un plan dans les sous-sol de la maison de Championnet, déjà citée, établi lors des fouilles de 1937, nous montre la construction d’un four au-dessus des débris de l’éruption de 79 , et des photos viennent à l’appui de la démonstration. Un autre cas de remploi de bâtiments romains est cité porta Marina, avec force plans et clichés.  Toutefois, l’A. reconnaît qu’il est impossible de proposer une chronologie pour ces réoccupations de ce secteur à la sortie sud-ouest de la ville.

Le chapitre 5 nous entretient de la spoliation qui continue, et les traces archéologiques laissées par les « visiteurs ». A côté de l’objectif principal qui était de découvrir des objets précieux, lors des fouilles jusque dans les années 1840, l’autre objectif était de récupérer les lapilli, un matériau très utilisé et donc rentable. « Lapillo » ou « rapillo », le terme est utilisé par l’architecte Francesco La Vega sur son plan au début du XIXe siècle où Pompéi est appelée « Civita del Rapillo ». C’est aussi le nom d’une auberge, disparue depuis, où les visiteurs pouvaient se restaurer, mais qui était aussi le point d’arrivée des marbres subtilisés. En effet, l’A. cite la présence de céramiques tardive, du XIIe et XIVe siècle dans une galerie percée dans les thermes suburbains pour récupérer le plomb du chauffe-eau et le marbre. Ce n’est qu’un exemple des spoliations et des fouilles clandestines au cours des siècles qui nous sont détaillées.

La deuxième partie du livre est consacrée à annoter les fouilles, à fouiller les notes et c’est l’histoire du dégagement de l’ilôt VIII, 2, dont la position à proximité de la voie qui relie Naples à Salerne est centrale, selon les propres termes de l’A. L’exploration de ce secteur est bien le terrain de chasse pour enrichir les collections royales. Toutefois, la publication partielle par Giuseppe Fiorelli, surintendant des fouilles de 1863 à 1875, reste un instrument utile bien que limité.

Le chapitre premier retrace les premières fouilles jusqu’en 1828. Il est rappelé que le creusement du canal du Sarno, entre 1592 et 1600, qui traverse la ville aurait pu permettre d’identifier le site.  Nous découvrons le récit que F. La Vega fait de la visite du site par le roi Ferdinand Ier, et donne la liste les édifices visibles, qui vont jusqu’au temple d’Isis, en passant par la maison de Joseph II et se termine à la « porta di Ercolano ». Le texte se conclue par l’expression employée par le roi : « la caccia fu buona » qui a donc inspiré son titre à notre A.  Il est question des fouilles des maisons par Championnet, qui aurait aussi lancé des explorations à Herculanum, Stabies, Baïes et Capoue, selon une lettre du général au ministre de l’Intérieur, sans oublier des objets envoyés au Louvre. Cette activité à Pompéi retombe après le départ des troupes françaises et il faut attendre les années 1810-1820 pour une exploration de la partie sud du forum, où la domination française s’exerce de 1808 à 1815. Plusieurs plans nous donnent une idée de la progression des fouilles, dont un dépliant en couleur avec annotations des différents édifices déjà explorés. Dans les notes consultées des listes d’objets retrouvés il manque généralement le lieu de provenance, et les rapports rédigés concernent soit les problèmes matériels rencontrés, soit les travaux effectués avec parfois les objets récupérés. Une histoire de la documentation à propos de la maison de Championnet nous est détaillée et l’interdiction édictée par le roi de reproduire objets ou monuments, prérogative de la Regale Accademia Ercolanese, nous est rappelée qui ne disparaîtra officiellement que vers 1850 avec G. Fiorelli. Seuls les plans sont dessinés, pour des raisons comptables de terrains dégagés. Toutefois, certains dessins nous sont livrés de la maison de Championnet bien avant cette date, dont ceux de F. Mazois en 1824, et ceux inédits, tout nouvellement retrouvés d’un certain L.Destouches, un peu auparavant, dont la fiabilité est analysée par l’A. en comparant avec les structures actuelles et les relevés d’un autre dessinateur F. Duban. Ce travail minutieux lui permet de retrouver certains éléments disparus désormais.

Le chapitre deux traite d’une affaire d’état : les fouilles entre 1890 et 1960, avec l’énumération des directeurs de fouilles, dont ressort Antonio Sogliano resté en place pendant plus de trente ans, qui distingue clairement les thermes du Sarno de la maison aux mosaïques géométriques, puis Vittorio Spinazzola qui fait dégager la moitié orientale de la via dell’Abbondanza et enfin Amedeo Maiuri qui se penchera sur les murailles de la ville. Un problème de longue date, est celui des tas de terre qui recouvrent des secteurs entiers de Pompéi et dont certains vont être utilisés pour construire de nouvelles routes et la prolongation de la Circum Vesuviana, entre Torre Annunziata et  Castellammare di Stabia. Ces travaux nécessitent évidemment de contrôler les voûtes des édifices antiques au fur et à mesure qu’elles sont à nouveau dégagées.  Une maquette en liège de la ville, à l’échelle 1/100e, entreprise dès le milieu du XIXe siècle, se poursuit avec des collaborateurs qui se succèdent dont le talent n’est pas toujours de même niveau. Elle est exposée au Musée archéologique national de Naples, mais il y manque l’îlot VIII,2, conservé à l’antiquarium de Boscoreale, mais qui ne fut jamais intégrée et dont l’A. suit les étapes de la réalisation, notant quelques disparités avec les clichés de fouille. Toutefois, les déblais vont encore poser des problèmes du fait de l’urbanisation d’une Pompéi moderne autour du sanctuaire de la madone du Rosaire.

Le problème ne sera réellement résolu que dans les années 1950. L’A. multiplie les clichés pour montrer l’état d’avancement, les écroulements partiels des édifices. L’importance des moyens financiers employés, dont la finalité qui relève de l’intérêt public est assez éloignée d’une préoccupation scientifique, alors qu’elle était sensible dans les travaux antérieurs. Heureusement, la ténacité de Amedeo Maiuri a permis de re dégager complètement le secteur de la maison de Championnet. A propos du rôle de la photographie, l’A. fait le recensement des collections de clichés de plusieurs centres qui en conservent les éléments les plus saillants.  Elle nous en livre une quinzaine, mais à une échelle trop petite dans le format de ce livre qui mesure 24 cm x 16,5 cm, pour être vraiment lisibles pour des non-initiés.

La troisième partie, toujours sur les maisons de la région VIII, en détaille l’histoire de leur étude. Le chapitre premier examine les fouilles d’Innocenzo Dall’Osso, dès 1902, mais qui n’a jamais publié le détail de ses fouilles, juste un bref résumé des objectifs et méthodes pour cerner l’origine des populations à Pompéi, au moyen d’une série de sondages. Sa préoccupation rejoignait alors celle de l’époque sur l’origine des Italiques et des Étrusques et pouvait démontrer qu’il n’y avait pas de traces d’une occupation préhistorique.

Le chapitre deux expose l’avant-garde allemande des années 1930, avec l’étude de l’îlot VIII 2 par Ferdinand Noack et Karl Lehmann-Hartleben, dans un livre magistral de 1936. Est remis en question la succession trop linéaire des manières de bâtir selon les époques : l’époque du calcaire, puis celle du tuf, puis l’époque de la colonie romaine, et enfin impériale. Une chronologie relative pour chaque édifice est élaborée. Les deux archéologues allemands démontrent une évolution, des changements sociaux et architecturaux qui seraient liés, les classes plus modestes s’appropriant un langage architectural relevant auparavant des classes supérieures. L’A. s’étonne de l’oubli qui a entouré la parution de ce livre, mais tout de suite après il y a eu la deuxième guerre mondiale qui a stoppé pour un temps les recherches à Pompéi, bien que le livre de Maiuri sur « L’ultima fase edilizia di Pompei » soit paru en 1942.

Le chapitre 3, revient sur la marginalisation et la redécouverte de l’îlot VIII, 2, entre les années 1980 et 2000.  Une liste impressionnante des projets en cours nous est fournie en note 461, soit près d’une vingtaine d’équipes italiennes et internationales, surtout par des sondages profonds donnant vie aux phases les plus anciennes de la cité, encouragés par le surintendant d’alors,  Pietro Giovanni Guzzo.

En épilogue, l’A. insiste sur les différentes facettes de Pompéi : d’abord carrière de matériaux de construction, mine d’œuvres d’art, source de l’archéologie naissante, laboratoire de recherches et d’expériences de fouilles, d’études, et bien sûr musée à ciel ouvert. J’y ajouterai, lieu de la plus grande concentration d’échanges entre archéologues du monde entier, des états d’Amérique jusqu’au Japon !

Enfin, sur une quarantaine de pages qui suivent, plusieurs annexes nous donnent une documentation d’archives énorme, uniquement en italien. Cela va des appels d’offre pour des travaux en adjudication à la construction d’une route autour de Pompéi, des dégagements d’édifices, mais aussi les sondages d’I. Dall’Osso, ceux des Allemands, les travaux d’enlèvement des tas de terre, avec plans et clichés, dont certains déjà vus dans la première partie de l’ouvrage. La construction de l’autoroute Naples-Pompéi est également décrite, la gestion des tas de terre dans les années 1950, avec un dépliant donnant sur un plan en couleur la chronologie du dégagement de Pompéi, secteur par secteur depuis 1764.

Nous terminerons par la préface de Massimo Osanna, directeur du Parc archéologique de Pompéi, qui précise bien que ce livre est une partie de la thèse de Sandra Zanella, très innovante, centrée sur un seul îlot, mais micro histoire de Pompéi. Il insiste sur l’incessante activité des « visiteurs », sur l’importance des analyses vulcanologiques qui permettent de distinguer les éruptions postérieures  à  79, comme celles de 1794 ou de 1822. La présence d’une monnaie de Philippe IV d’Espagne (1621-1655) dans la maison qui vient d’être fouillée dans le « Grande Progetto Pompei », dite Casa del Giardino, prouve bien ces saccages dès le XVIIe siècle. En 2020 est prévue une dernière phase de ce grand projet Pompéi, de dégagement des abords entre le temple de Vénus et celui d’Athéna, en bordure sud de notre région VIII, avec sans doute des découvertes qui modifieront, en les précisant sans doute, les avancées de l’ouvrage de Sandra Zanella. La chasse continue !

Alix Barbet, CNRS

Publié en ligne le 30 octobre 2020