Pour les 70 ans de R. Wiegels, K. Matijevič et W. Spickermann ont réédité une partie notable de ses Scripta varia, après lui avoir offert en 2005 des Mélanges (W. S Spickermann, in Verbindung mit K. Matijevič u. H. H Hermann, Rom, Germanien und das Reich. Festschrift zu Ehren von Rainer Wiegels anlässlich seiner 65. Geburtstages. Pharos. Studien zur griechisch-römischen Antike, XVII, Skt.
Katharinen, 2005).
L’initiative est heureuse car elle regroupe une trentaine d’articles consacrés aux deux Germanies et souvent publiés dans des revues ou des monographies difficiles d’accès, en particulier hors d’Allemagne. C’est sur l’épigraphie qu’est centrée cette partie de la production scientifique de R. Wiegels, dont ont été exclues ici toutes les contributions récentes sur la bataille du Teutoburg et sa réception moderne, les écrits souvent plus anciens sur l’Espagne ou les sujets portant sur l’Italie, la religion, les légions, ainsi que les notices (parfois copieuses) de lexiques. Une comparaison avec la bibliographie de l’auteur, publiée en 2005 dans ses Mélanges, permet de faire commodément le point. Des travaux parus depuis cette date figurent aussi au palmarès, notamment la publication de deux stèles de cavalier, l’une de Kembs, en Alsace, l’autre de Coblence. Le choix effectué par les éditeurs a le mérite de la cohérence géographique, thématique, méthodologique, mais il a parfois conduit à privilégier de petites notes, utiles certes mais pas toujours essentielles, au détriment d’articles historiques plus substantiels qui auraient pu à bon droit figurer dans ce florilège. Ajoutons que cette réédition ne s’appuie pas sur des reproductions à l’identique des premières parutions mais sur une véritable recomposition éditoriale, qui indique heureusement la pagination princeps. Un index commode des sources, des noms de personnes et des toponymes complète l’ensemble, qui s’avère donc au total réussi (malgré quelques petites imperfections matérielles, ici et là)
et très utile.
Que dire, sur le fond, d’un tel ouvrage, sinon qu’il démontre une nouvelle fois, s’il en était encore besoin, l’érudition, la virtuosité d’épigraphiste mais aussi les qualités d’historien de R. Wiegels, comme le montre le grand article consacré au territoire provincial (Solum Caesaris. Zu einer Weihung im römischen Walheim, p. 195-234, initialement publié dans Chiron 19,1989, p. 61-102)? Plutôt que de revenir ici sur tel ou tel point en particulier, ou de commenter l’une derrière l’autre chacune des contributions de R. Wiegels, je crois utile, pour rester dans le thème choisi par les éditeurs —l’histoire militaire des Germanies—, de souligner brièvement quelques nouveautés essentielles apportées par la recherche récente, notamment archéologique, en complément (très partiel) du bilan que l’auteur lui-même avait dressé en 1997 (Neuere Zeugnisse und Beiträge zur Geschichte der Rheinheere bis zum Ausgang des I. Jahrhunderts n. Chr. In : Atti XI Congresso Internazionale di Epigrafia Greca e Latina [Roma, 18-24 settembre 1997], 1999, p. 103-124, ici p. 373-394).
Pour la Germanie inférieure, il est bien clair que les découvertes récentes de nouveaux camps de la conquête, loin à l’est du Rhin, dans le bassin de la Weser (Hedemünden, Porta Westfalica), la fouille maintenant achevée de Waldgirmes et de Kalkriese, les recherches toujours en cours dans le bassin de la Lippe, notamment à Anreppen, donnent désormais une consistance topographique aux maigres sources classiques, si longtemps discutées et disputées, qui évoquent l’entreprise augustéenne ; elles permettent surtout de disposer, pour cette époque, d’une série importante de contextes archéologiques, depuis la fondation de Nimègue peu après 20 av. J.-C. (F. K Kemmers, Coins for a Legion. An analysis of the coin finds from the Augustan legionary fortress and Flavian canabaelegionis at Nijmegen. Studien zu Fundmünzen der Antike [SFMA] 21, Mainz 2006) jusqu’aux campagnes de Germanicus. L’étude de leur matériel céramique et numismatique offre à l’historien des bases renouvelées pour évaluer l’évolution chronologique de la conquête. Ces recherches se sont trouvées au coeur des préoccupations scientifiques de R. Wiegels depuis plus d’une quinzaine d’années, et l’on soulignera en particulier l’importance d’un colloque (2004) qu’il a co-dirigé et co-édité avec G. A. Lehmann, Römische Präsenz und Herrschaft im Germanien der römischen Zeit. Der Fundplatz von Kalkriese im Kontext neuerer Forschungen und Ausgrabungsbefunde (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, Phil.-Hist. Kl. 279), 2007 : ces actes ne sont pourtant disponibles que dans trois bibliothèques françaises (dont celle de l’EFRome)…
Pour la Germanie supérieure, l’important article consacré en 1983 par R. Wiegels aux témoignages épigraphiques de la VIIIe légion en Bade et en Alsace (Zeugnisse der 21. Legion aus dem südlichen und mittleren Oberrheingebiet. Zur Geschichte des obergermanischen Heeres um die Mitte des I. Jahrhunderts n. Chr. dans : Epigraphische Studien 13, 1983, p. 1-43 ; ici p. 109-154) doit être complété sur différents points, ce que l’auteur avait commencé de faire dans son bilan de 1997 (supra) à la suite des fouilles de Mirebeau. Celles-ci avaient notamment montré que la VIIIe légion, arrivée en Gaule en 70, n’avait pu occuper le camp de Strasbourg avant les années 85-90. Cette conclusion, qui a d’abord beaucoup surpris, semble désormais confirmée par les fouilles récentes dirigées dans la vieille ville par G. Kuhnle (INRAP), et dont les premières conclusions synthétiques sont disponibles dans un catalogue d’exposition récent (B. Schnitzler et G. Kuhnle, Strasbourg-Argentorate. Un camp légionnaire sur le Rhin (Ier au IVe siècle apr. J.‑C.), Strasbourg 2010). Ces travaux de terrain ont en effet bien prouvé l’absence d’occupation militaire entre l’époque de Claude et le début des années 90, une longue période pendant laquelle l’emplacement du camp légionnaire n’a pas été densément occupé. Ceci ne préjuge pas de la possibilité (toute théorique) qu’une légion autre que la VIIIe ait pu s’installer ailleurs que dans la vieille ville pendant l’époque flavienne, mais nous n’avons pour l’instant aucun indice archéologique en faveur d’une telle hypothèse. L’hypothèse d’une garnison temporaire de la XXIe légion dans le centre ville de Strasbourg, autour de la cathédrale, au début de l’époque flavienne, ne peut donc plus être soutenue. Les témoignages épigraphiques de cette unité, nombreux autour d’Oedenburg (Biesheim‑Kunheim) et diffusés jusqu’en Bade, doivent être désormais datés de l’époque de Claude et de Néron ; les tuiles qui les portent n’ont été fabriquées ni à Strasbourg ni en Suisse, comme l’ont montré les fouilles récentes d’Oedenburg (M. Reddé, éd., Oedenburg. Fouilles françaises, allemandes et suisses à Biesheim et Kunheim, Haut-Rhin, France. I. Les camps militaires julio-claudiens, Monographien RGZM 79,1, Mainz 2009). Ces recherches suggèrent en outre que tout ce secteur du Rhin supérieur n’a pas été militairement occupé par des unités importantes avant le tout début du règne de Tibère et que l’idée traditionnelle d’une «frontière» augustéenne doit être abandonnée.
Ces quelques remarques, nullement exhaustives, montrent combien ont été fécondes les recherches de R. Wiegels sur l’histoire militaire des Germanies et les réflexions qu’elles suscitent. Ses Scripta varia réédités devraient donc désormais prendre place dans toutes les bonnes bibliothèques.
Michel Reddé