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Cet ouvrage présente les résultats d’une collaboration scientifique entre l’Institut Suédois à Rome et l’Ambassade des États-Unis à Rome, dont l’objet d’étude est un cryptoportique des Horti Sallustiani aménagés par le célèbre historien C. Sallustius Crispus après la mort de César. Découvert par hasard en 1949-1950 à l’occasion de la construction d’un garage dans l’ambassade, ce cryptoportique, dont le souvenir s’était perdu, a révélé des peintures murales et de nombreux graffiti d’époques très différentes qui n’avaient jusqu’alors fait l’objet d’aucune étude systématique (en dépit de nouvelles fouilles entreprises entre 1996 et 1998). L’édition et le commentaire exhaustifs de tous les graffiti du cryptoportique constituent l’objectif principal, mais pas unique, de ce volume qui contient aussi les actes d’une journée d’études tenue à l’Institut Suédois au printemps 2003. Le but affiché était d’élargir les problématiques entrevues dans le cadre de l’étude du cryptoportique et de se consacrer pour la première fois au seul thème des graffiti.
Les deux parties de l’ouvrage sont clairement distinctes. La première, intitulée « The graffiti in the cryptoporticus of the Horti Sallustiani », se compose de cinq contributions qui dépassent très largement le seul thème des graffiti. En réalité, une seule d’entre elles (celle d’A. Holst Blennow, « The graffiti in the cryptoporticus of the Horti Sallustiani in the area of the Embassy of the United States of America in Rome ») y est réellement et entièrement consacrée. Procédant de manière extrêmement claire et systématique, elle édite, lit et tente de dater l’ensemble des graffiti du cryptoportique, les plus anciens datant du début du IIIe siècle p.C., les plus récents du XVIIe, preuve de la continuité de la fréquentation de ce lieu au Moyen-Âge et à l’époque moderne. Cet exercice s’avère particulièrement ardu tant l’histoire du cryptoportique est elle‑même complexe. Malgré cela, elle propose systématiquement une datation fondée en règle générale sur le comparatisme paléographique (ainsi une très longue discussion sur la forme archaïque cursive du E à deux branches qu’elle met en rapport avec des exemples de Pompéi et de Vindolanda, p. 58-60). Si sa démarche se révèle fructueuse, il semble néanmoins que quelques passages auraient pu être plus synthétiques afin de ménager l’attention d’un lecteur qui aura parfois l’impression – s’il n’est pas parfaitement familiarisé avec ce type de documentation – d’être quelque peu écrasé par l’érudition de contributions impressionnantes du point de vue scientifique mais assez peu accessibles au-delà d’un public de purs spécialistes. C’est notamment le cas des deux premiers articles de V. Brunori (« The Horti Sallustiani and Villa Ludovisi – Location site of the cryptoporticus. Historical and topographical notes ») qui retrace toute l’histoire du site de l’Antiquité à nos jours, et d’O. Brandt (« A fresh look at the cryptoporticus in the area of the Embassy of the United States of America in Rome ») qui tente, à partir du dernier couloir aujourd’hui visible (seule la partie centrale de ce qui devait à l’origine former un U demeure accessible), de procéder à une reconstitution de l’histoire du cryptoportique. Ce dernier article est purement archéologique et parfois un peu technique, mais a le très grand mérite d’appliquer une nouvelle méthode d’analyse dite « non-destructive » qu’O. Brandt définit ainsi « The methode used here is archaeological and can be defined as stratigraphical analysis without excavation : on a site which has already been extensively excavated, the new analysis tries to identify stratigrafical units in the preserved walls and to understand their relative chronology » (p. 38). Même si une telle méthode n’est pas sans poser quelques problèmes de fiabilité concernant les relevés les plus anciens, la nouvelle chronologie établie par l’auteur se voit en tout cas parfaitement confortée par les datations des graffiti proposées par A. Holst Blennow ainsi que par l’article de B. Ferrini (« Roma, Horti Sallustiani : affreschi inediti dal criptoportico di via Friuli », p. 49-54) sur les fresques, l’ensemble permettant ainsi d’affirmer avec une raisonnable certitude que le cryptoportique fut construit à la toute fin du Ier siècle p.C. Ces éléments donnent une unité à la première partie du volume et les nombreux renvois d’un article à l’autre ne donnent aucune impression de redites. Il faut enfin relever la dernière contribution de la partie I qui est l’oeuvre de V. Brunori (« An unpublished charcoal sketch »). Elle est consacrée à l’édition et l’analyse d’une fresque représentant probablement la pompè triomphale de Dionysos et Ariane et datant du XVe ou du XVIe siècle.
La seconde partie de l’ouvrage publie les actes de la première journée d’études entièrement consacrée aux graffiti et intitulée « V Voci inaspettate – esperienze nello studio dei graffiti antichi ». Comme son nom l’indique, elle se compose de cinq contributions suivies de discussions dont l’objectif est de mieux appréhender la lecture, l’édition et la définition d’un type de documentation au caractère technique et au croisement de plusieurs disciplines : l’épigraphie, la paléographie, l’archéologie, l’histoire et la philologie. C’est pourquoi la première contribution, une longue introduction due au grand spécialiste H. Solin, tente de mieux cerner l’objet d’étude en question, ainsi que les différentes méthodes d’analyse possibles. Très pratique pour des non‑spécialistes, l’article permet ainsi de donner une définition claire du graffito (mais nous sommes à la p. 99 !) : « Si chiamano dunque graffiti le iscrizioni eseguite su una superficie dura come la pietra, l’intonaco, il mattone, il marmo, il piombo, ma anche la creta ecc., con uno strumento scrittorio di metallo aguzzo ». Une définition a priori très claire… Cependant, la lecture du volume (et c’est là tout l’intérêt de cette rencontre) montre que les différents spécialistes de ce type de documentation n’intègrent pas les mêmes éléments dans le champ de recherches ainsi défini comme les tituli picti ou les graffiti sur l’instrumentum. La deuxième contribution est aussi d’ordre méthodologique. A. Varone, « Inseguendo un’utopia. L’apporto delle nuove tecnologie informatiche alla lettura “obiettiva” delle iscrizioni parietali », a appliqué de nouvelles méthodes de photographie numérique (la fluorescence par ultraviolets et les infrarouges en fausses couleurs) afin d’améliorer la lecture des graffiti. Les résultats qui sont intéressants et prometteurs nécessiteront l’apport des sciences dites dures à un champ de recherches déjà très multidisciplinaire. Enfin, les trois autres contributions (de C. Carletti, C. Lega et R. Volpe) publient des graffiti inédits découverts en différents endroits de Rome (les catacombes de S. Sebastiano a Roma, le Barco Borghese a Monte Porzio Catone et les thermes de Trajan).
Les actes de cette journée d’études s’avèrent de très haut niveau mais ne sont pas sans poser quelques problèmes d’articulation entre la première et la deuxième partie du volume. L’ouvrage commence en effet par les articles les plus techniques et les moins accessibles. Inversement, l’introduction fondamentale d’H. Solin se retrouve en plein milieu du recueil (alors qu’elle aurait peut-être mérité de l’ouvrir). De fait, en voulant respecter l’organisation de cette journée, les éditeurs ont quelque peu brouillé la constitution d’un volume qu’il aurait peut-être mieux valu présenter de manière plus cohérente. Il n’en reste pas moins très riche d’informations et assurément pionnier dans un domaine d’études où tout reste encore à faire, comme en atteste l’intervention extrêmement révélatrice d’A. Felle lors de la discussion finale : « Solo che ho le idee molto confuse a questo punto su cosa si debba intendere con “graffito” e se dobbiamo continuare a usare questo particolare termine univoco per indicare una tipologia variegata di documenti epigrafici la cui caratteristica commune non si sa se individuarla sulla base della tecnica esecutiva, dei supporti, della funzione e destinazione d’uso, d’infine della “non ufficialità” (anche questa in fondo tutta da definire) » (p. 187). Tout un champ de recherches, qui devrait s’avérer extrêmement fécond, est en train de s’ouvrir et ce volume en est assurément la première pierre.

Cyril Courrier