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Cet ouvrage collectif de 1046 pages offre, sous la plume de quarante-six contributeurs, une synthèse complète de la science antique, selon une répartition en cinq parties : la science antique en dehors du monde grec et romain, les débuts ce la science grecque, la science grecque hellénistique, la science gréco-romaine, la science de l’antiquité tardive et byzantine.
Les premières pages ouvrent sur le savoir scientifique des autres civilisations, et entraînent le lecteur depuis les connaissances de la Mésopotamie en commençant par les mathématiques (Jens Høyrup), et les sciences astronomiques (Francesca Rochberg), avant de présenter l’influence mésopotamienne dans les débuts de la science grecque, notamment médicale (JoAnn Scurlock). Ensuite, le lecteur part pour l’Egypte, découvrant d’abord les mathématiques grâce à Annette Imhausen, puis l’astronomie avec Joachim Friedrich Quack et, enfin, la médecine, guidé par Rosalie David qui rappelle que la chirurgie est pratiquée efficacement et que les traitements suggérés font certes référence à des pratiques magiques, mais aussi à des remèdes parfaitement rationnels dont 64 % des ingrédients sont désormais reconnus comme efficaces, que les fiches du Papyrus Edwin Smith (2650 a.C.) sont déjà présentées selon l’ordre a capite ad calcem et que des prothèses d’orteils découvertes dans des tombes auraient pu servir du vivant de leur propriétaire. Pour l’Inde, sont évoquées les mathématiques, par Toke Lindegaard Knudsen et la littérature médicale sanskrite, par Tsutomu Yamashita, avec une synthèse de l’Ayurveda. Enfin, Alexei Volkov présente un bilan des connaissances mathématiques de la Chine du VIe au XIIIe siècle, duc calcul de π à celui des volumes (sphère ou pyramide). La science astrale, cosmologie, cosmogonie, sous la dynastie Han (202 a.C. – 220 p.C.) est résumée par Xu Fengxian. Pour tous ces royaumes sont présentées les connaissances majeures et, comme dans l’ensemble de l’ouvrage, chaque chapitre est suivi d’une bibliographie.
La seconde partie aborde le monde grec des époques archaïque et classique, d’abord par le biais des grandes figures. Andrew Gregory consacre le premier chapitre à Pythagore et Platon, incluant quelques pages sur Eudoxe de Cnide. Les mathématiques, géométrie et arithmétique, puis l’astronomie sont étudiées en détail par Leonid Zhmud. Dans le premier chapitre consacré à la géographie Philip G. Kaplan revient légitimement sur les apports orientaux et égyptiens avant de présenter les mythes grecs et la tradition des periploi ou periodoi, les textes qui décrivent la côte depuis un point de vue maritime. Il évoque ensuite les origines de la cartographie, Hérodote, Eudoxe et Aristote. Le dernier chapitre consacré à la science archaïque et classique concerne la médecine. Elizabeth Craik y présente le corpus hippocratique, en insistant sur quelques traités.
La troisième partie du volume développe la science grecque hellénistique. Jochen Althoff offre une intéressante biographie d’Aristote, l’inventeur de la science naturelle. La philosophie de la nature d’Epicure et de son cercle est résumée par Teun Tieleman, tandis que Fabio Acerbi consacre une étude complète aux mathématiques hellénistiques et Alan C. Bowen, à l’astronomie, d’Aratos et Aristarque de Samos à Ptolémée. La géographie d’Ephore à Strabon est clairement analysée par Duane W Roller. T.E. Rihll, s’intéresse à la mécanique et aux machines à vapeur, qu’il nomme pneumatiques inventées par Archimède, Ctèsibios, Apollonios de Pergè, Héron ou Philon d’Alexandrie. Fabio Stok, offre une synthèse rapide sur Hérophile, Erasistrate, et les Empiriques ainsi que leurs sectateurs. L’astrologie, « science des signes des cieux », est exposée avec clarté par Glen M. Cooper et l’alchimie par Paul T. Keyser, l’un des éditeurs de ce Handbook, qui s’appuie sur une solide bibliographie. Klaus Geus et Colin Guthrie King, s’intéressent à la centaine d’écrits du Corpus paradoxographicum, rassemblant des phénomènes qui étonnaient. Stefan Hagel, expose les apports majeurs de la théorie musicale et harmonique des Anciens, d’Aristoxène de Tarente à Ptolémée. Les traités d’agronomie grecs et latins sont étudiés par Philip Thibodeau qui relève que, de la centaine qui nous sont connus, seule une douzaine a laissé des fragments et neuf ont survécu complètement, depuis les Travaux et les Jours jusqu’aux Géoponiques. Ils sont l’illustration de l’importance de l’agriculture antique et de la volonté de la part des auteurs, aristocrates ou propriétaires terriens aisés, de mettre en avant les « bonnes pratiques » selon les saisons. Les connaissances dans le domaine de l’optique et de la vision font l’objet d’une longue synthèse bien documentée de Colin Webster. John Scarborough, le second éditeur de ce volume, spécialiste de pharmacologie, a rédigé le chapitre sur l’apport de la Materia medica de Dioscoride, mettant en avant quelques produits comme l’euphorbe, l’encens, la ciguë ou la mandragore. Mark Grant résume les éléments majeurs à propos de la diététique et Lawrence J. Bliquez, offre une présentation précise de tous les instruments chirurgicaux avec plusieurs illustrations.
La science gréco-romaine est le thème de la quatrième partie du livre.  À propos de l’originalité de la science romaine, Philip Thibodeau conclut sur la tendance des Romains à ce qu’il appelle le « plagiat inversé », c’est-à-dire l’attribution d’invention locales à d’autres, comme Numa ou Pythagore. Pamela Gordon, s’interroge, dans un chapitre approfondi, sur la science du bonheur et l’épicurisme à Rome, Naples et alentours, en rappelant les apports de Lucrèce, de Philodème de Gadara, de Diogène d’Œnoanda et de Diogène Laërce qui favorisent l’évolution « sinueuse » de la doctrine d’Epicure, dans le domaine des soins à l’âme ou d’autres questions comme la taille du soleil ou le mouvement des atomes, selon un savant équilibre entre tradition et innovation. Lauren Caldwell revient brièvement sur les sectes médicales romaines du IIIe siècle, Asclépiades, Méthodistes et Pneumatistes, estimant que les conséquences de leurs théories sur les patients étaient minimes. Dans son chapitre intitulé « Science et médecine chez les Encyclopédistes romains », Mary Beagon examine les spécificités des écrits encyclopédiques de Varron, Vitruve, Celse, Columelle ou Pline, et souligne qu’ils ont organisé et transmis le savoir scientifique pour les 1500 ans qui ont suivi. Teun Tielman étudie les relations entre le stoïcisme et la philosophie de la nature. John Scarborough, propose des pages sur l’entourage de Scribonius Largus et suggère quelques identifications de plantes nommées dans les Compositiones, le recueil des recettes de médicaments. Aux secrets des plantes succède l’étude du secret des métaux, l’alchimie, à laquelle se consacre Kyle Fraser, depuis les alchimistes égyptiens jusqu’aux évolutions ésotériques de Zosime, au début du VIe siècle. Mariska Leunissen relève les sources majeures de la physiognomonie et leur diffusion. Ian Johnston, dans ses lignes sur Galien, sa vie, sa formation et son système médical, insiste sur l’intérêt des écrits du médecin de Pergame à la fois pour l’histoire de la médecine et de la philosophie, mais aussi pour l’histoire de la société romaine et enfin pour la pratique médicale contemporaine. Un autre auteur important du IIe siècle est Ptolémée, qui a résumé les connaissances de son temps dans les domaines de l’astronomie, la cosmologie, l’astrologie, l’optique, la géographie et l’harmonie musicale et la philosophie. James Evans, lui consacre un long chapitre bien illustré. Paul T. Keyser conclut cette partie par un chapitre intitulé « La science au IIe et IIIe siècles : l’âge des apories », mettant en évidence le rôle des libri memoriales, aide-mémoire ou épitomai d’Ampelius, Florus ou Apulée qui résument le savoir mathématique, géographique ou philosophique antérieur et marquent un retour vers l’autorité des savants qui tend à gommer débats et apories.
La cinquième et dernière partie de l’ouvrage en arrive à l’Antiquité tardive et aux débuts de la science byzantine. La parole est d’abord philosophique, grâce aux pages que Lucas Siorvanes consacre à Plotin et au néo-platonisme. Alain Bernard offre ensuite une synthèse complète sur les mathématiques et l’astronomie grecques durant l’Antiquité tardive, Michael Griffin présente les commentateurs néoplatoniciens d’Aristote, d’Alexandre d’Aphrodise (fl. ca 200) à Jean Philoponos (ca 490-570) en passant par Jamblique (ca 242-325) et Proclus (ca 412-485). Andreas Kuelzer met en évidence l’apport de la géographie byzantine jusqu’à la Table de Peutinger qui, connue par un manuscrit du début du XIIIe siècle, date vraisemblablement des années 435. Cristina Viano indique comme sous-titre à son chapitre sur l’alchimie byzantine, « l’ère de la systématisation » et présente les auteurs les plus importants dans ce domaine jusqu’au VIIe siècle. Svetla Slaveva-Griffin met en avant l’importance, dans la tradition encyclopédique des Byzantins, des médecins Oribase (ca 350-400), Aetius d’Amida (ca 500-550), Alexandre de Tralles (ca 525-605) et Paul d’Egine (ca 630-670). Leurs compilations ou epitomai transmises au Moyen Âge ont permis, sans l’embaumer, la transmission d’une partie du savoir antique. David Paniagua revient sur les encyclopédies latines tardives, d’Ampelius, de Solin, et d’autres textes anonymes, comme l’Epitoma disciplinarum (Fragmentum Censorini) du IIIe siècle, les Noces de Philologie et Mercure et les écrits de Boèce et Cassiodore. Louise Cilliers, enfin, conclut le volume par un retour sur les écrits médicaux dans l’Empire d’Occident, énumérant quelques auteurs d’Afrique du Nord qui, désireux de transmettre les acquis de la médecine grecque, ont traduit en latin certains traités, comme Vindicianus Afer (ca 330-410), son disciple Théodore Priscien (fl. ca 400), Cassius Felix (fl. ca 450), Caelius Aurelianus (ca 400-450) et enfin deux auteurs du IIIe siècle dont la diffusion est à porter au crédit du Moyen Âge, Gargilius Martialis et Q. Serenus Sammonicus. Au VIe siècle, les traducteurs migrent vers Ravenne, disséminant le savoir antique d’Alexandrie aux monastères italiens ou espagnols, puis à ceux du nord de l’Europe.
Un index de onze pages regroupe, en fin de volume, noms propres et notions (verba potiora). Ce volume remplit sa fonction de manuel encyclopédique : il fournit, sur de nombreux sujets, une synthèse claire, bien illustrée et fort utile comme point de départ à une recherche car, dans l’ensemble, les contributeurs s’appuient sur des travaux récents et ouvrent largement vers des auteurs ou des textes moins connus, sans pour autant omettre les « passages obligés ». Le chercheur non anglo-américain regrettera néanmoins que les travaux en langue française, allemande ou italienne n’occupent qu’une part minuscule dans les bibliographies fournies à la fin de chacun des cinquante chapitres. Il est aussi très regrettable que la plupart des auteurs ne recourent pas plus systématiquement aux récentes éditions, pourtant de grande qualité, de la Collection des universités de France, surtout quand il s’agit de textes aussi importants que ceux des corpus hippocratique et galénique, ou encore, e.g., de l’Anonyme de Londres ou de Scribonius Largus. Mais le projet était ambitieux, le savoir présenté est vaste et intelligible même par les non-spécialistes, et l’on saura gré aux éditeurs d’avoir regroupé des contributions qui sont, dans l’ensemble, de grande qualité.

Evelyne Samama, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines

Publié en ligne le 21 juillet 2020