Annonçons-le d’ores et déjà, cet ouvrage, issu d’une thèse soutenue en 2016 à l’Université de Göttingen constitue un travail remarquable de rigueur et de richesses scientifiques. La vaste bibliographie regroupant des ouvrages dans différentes langues en témoigne.
L’introduction propose une présentation très méthodique du travail : définition de l’objet d’étude, objectifs du travail, présentation des sources, brève historiographie et organisation de l’ouvrage. P. R. Martins souhaite montrer que les débats sur l’abstinence de viande témoignent de positions intellectuelles opposées. Pour cela il s’appuie sur le Περὶ Εὐσεβείας de Théophraste et le Πρὸς τοὺς ἀπεχομένους τῶν σαρκῶν de Clodius de Naples, tous deux rapportés par Porphyre dans le traité Περὶ ἀποχὴ τῶν ἐμψύχων (De l’abstinence). Si le texte de Théophraste a déjà été édité par J. Bernays puis W. Pötscher, ce n’est pas le cas de celui de Clodius. À travers trois parties, denses et très bien construites, Martins propose une édition critique, une traduction et une discussion du traité de Clodius, méconnu car extrêmement fragmentaire. L’auteur intègre ainsi les scholies et on ne peut que le remercie pour cela. L’organisation du propos est extrêmement bien structurée : chaque partie annonce la démarche qui est suivie et rappelle ce qui a été précédemment développé. Ainsi le lecteur ne se sent jamais perdu face à l’argumentaire dense.
On pourrait reprocher à l’auteur de ne pas avoir défini davantage le végétarisme et ne pas s’être intéressé au contexte historique de son emploi. Le terme est contemporain et ne renvoie pas forcément aux mêmes représentations dans l’Antiquité qu’aujourd’hui. De plus, le traité Πρὸς τοὺς ἀπεχομένους τῶν σαρκῶν est traduit par « Gegen die Vegetarier », mais en vérité il est mieux de le traduire par « Contre les abstinents de chair ». Certes cette traduction est très littérale et sans doute moins explicite aux premiers abords, mais elle ne renvoie pas exactement à la même représentation et à la même valeur accordée à la viande (en témoigne le traité de Porphyre que l’on peut traduire « Sur l’abstinence des êtres animés »). Toutefois, ces remarques ne méritent pas d’être faite à l’auteur : P. R. Martins justifie sa traduction par l’analyse de nombreuses entrées dans des dictionnaires de diverses langues et qui proposent comme première définition une abstinence de viande (p. 23). La démarche est tout à fait logique et d’une grande honnêteté scientifique. De plus, l’auteur montre bien que le végétarisme est le refus volontaire de la nourriture carnée et qu’il s’inscrit ainsi dans une vraie réflexion de la part du mangeur (p. 3-5).
Enfin, on ne peut qu’être impressionné devant ce travail rédigé dans un allemand très clair alors que soulignons-le, il ne s’agit pas de la langue maternelle de l’auteur. Il fallait s’approprier et retranscrire des concepts philosophiques parfois compliqués à traduire, ce que P. R. Martins réussit très bien. Un exemple est l’emploi judicieux de Tierapokalypse (p. 20) pour nommer l’argument de Clodius selon lequel la prolifération des animaux condamnerait l’homme à une vie chaotique.
En résumé, cet ouvrage non seulement est une très belle publication, mais constitue une importante et précieuse contribution scientifique.
Alexandra Kovacs, Académie des Sciences de Vienne.
Publié en ligne le 17 décembre 2021.