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Tout d’abord on s’interrogera sur la raison du titre, « retour à Pompéi », effectivement depuis sa redécouverte au XVIIIe siècle. Le sous-titre est explicite, il s’agit de revivifier et de documenter l’espace décoratif intérieur et nous y sommes conduis par un très grand nombre d’illustrations quasiment toutes en couleur, soit 278, sur 312 pages. Chaque chapitre examine un nombre important de copies de décors pompéiens dans plusieurs pays d’Europe, dont ceux du Nord, très peu connus. Les différentes façons d’interpréter et d’adapter ces décors à des lieux nouveaux, nous révèlent parfois des objectifs politiques et nous assistons à la création d’un style néo-pompéien.

Après une introduction sur l’appropriation de la décoration pompéienne, le deuxième chapitre, par M. Heunig Heilmann, expose la découverte et la réception de la peinture pompéienne et son influence aux XVIIIe et XIXe siècles à Naples. Le rôle des publications de l’époque, qu’il s’agisse des Antichità di Ercolano, des livres de W. Zahn et de Fr. Mazois[1], avec leurs très nombreuses illustrations, et de la création du Real Museo Borbonico, est bien mis en valeur et l’auteur passe en revue les différents palais et villas qui se sont inspirés de la peinture pompéienne, soit pas moins d’une douzaine. Sont mis en vis-à-vis les originaux et les copies, ce qui permet de noter une grande fidélité (fig. 2.23 et 2.24, 2.25 et 2.26). Parfois l’artiste prend des libertés avec son modèle, ainsi les faunes dansant sur un thyrse, où il a rajouté des pattes de Pan aux satyres d’origine (comparer les figures 2.31 et 2.32). Ailleurs, au Casino Doria d’Angri, la peinture des cavaliers sur chars est une copie assez libre et drôle des stucs du frigidarium des thermes du forum de Pompéi (fig. 2.41 à comparer à 2.42).

Le troisième chapitre, par M. Romero Recio, traite de Pompéi dans la décoration intérieure en Espagne. Pas moins d’une demi‑douzaine de palais est évoquée, où les modèles pompéiens servent pour des plaques d’ivoire à l’Escorial, à des tapisseries dans la Casita del Principe au Pardo à Madrid. S’y rajoutent évidemment des copies de statues et de meubles dans une débauche de peintures dans la Casa del Labrador, Aranjuez, à Madrid. Au palais de Linares une bacchanale est représentée, sur fond de baie de Naples, avec un Vésuve actuel, décapité, et non pas selon l’original du Ier siècle qui était pointu (fig. 3.21).

Le chapitre suivant, par M. Nisser-Dalman est intitulé : L’absence des modèles pompéiens dans le « style pompéien » des décors intérieurs en Suède au XVIIIe siècle. Autrement dit, c’est surtout l’influence des peintres français comme les œuvres du fils de F. Boucher dans la résidence du gouverneur à Falun, ou italiens, comme Raphaël dont les Loges du Vatican à Rome qui vont inspirer plusieurs réalisations. Le rôle d’un français émigré en Suède, Louis Masreliez est mis en valeur, qui était peintre et philosophe. Les publications, dont celles de Mirri, inspirent les décors du palais royal de Stockholm dont un plafond fait l’objet d’un dessin par L. Masreliez (fig. 4.17 et 4.18). Les Antichità di Ercolano sont un modèle pour le palais de Tullgarn. À noter que le mot « style pompéien » n’apparaîtra que vers 1850. C’est une dizaine de palais et résidences que nous découvrons.

Le cinquième chapitre, par V. Houkjaer, traite de la transformation des idéaux pompéiens dans le décor intérieur danois, dont plus d’une douzaine d’exemples vient à l’appui de l’analyse. Il s’agit aussi bien d’un château que de maisons de marchands, d’un collège vétérinaire, d’une académie ou d’une bibliothèque universitaire. Cette diversité d’emplacements, qui tranche avec les palais du XVIIIe siècle passé d’Italie, apporte un vrai changement. Toutefois, on continue de copier les Loges de Raphaël, les gravures de Mirri et même le Real Museo Borbonico. Dans un cas on note une influence asiatique, mêlée à des souvenirs d’art classique. On découvre une belle copie de Néréide, voluptueusement étendue sur un monstre marin, provenant de la villa d’Ariane à Stabies (fig. 5.6), ce qui change des éternels modèles de Pompéi. Surtout, on découvre tout un groupe d’artistes danois à Rome et à Naples qui vont ensuite réaliser pas moins de dix voûtes dans le nouveau musée Thorvaldsen, ce même Thorvaldsen qui lui aussi avait fait le Grand Tour.

Le sixième chapitre, écrit par A.‑M. Leander Touati, est entièrement consacré au thème de Pompéi à Stockholm, qui note l’accroissement des connaissances sur Pompéi, par l’envoi d’architectes et de dessinateurs sur place. Là encore une dizaine de sites sont illustrés, depuis un pavillon royal à Haga, le restaurant de l’aéroport de Malmö, ou encore une bibliothèque. On n’hésite pas à transposer les stucs de la maison de Méléagre en peinture murale dans la villa Byström, comme on l’a déjà vu du côté de Naples pour ceux des thermes du forum de Pompéi. C’est dans le Skandia-Theatern que promenoir, auditorium et vestiaire sont décorés de thèmes tirés de Pompéi, avec un détournement des frises d’Amours antiques par la représentation de certains d’entre eux qui font de la bicyclette ou sont attablés à un bar (fig. 6.23, 6.24). Dans une banque de Stockholm, on a redécouvert en 1997 les peintures de la pièce pompéienne qui avaient été occultées, et donc c’est bien après le début du XXe siècle que l’A. nous montre l’activité des artistes danois.

Le septième chapitre, écrit encore par A.‑M. Leander Touati, et U. Cederlöf, recense les observations sur les musées de Portici et des sites du Vésuve par deux Suédois professionnels en 1756 et en 1768. Les visites d’Herculanum mentionnent seulement les pavements et jamais les peintures des parois sur le journal dont des passages sont reproduits ; ils sont fascinés par les objets à Portici dont le plan du musée créé en 1758 est fait par Piranèse. En 1768, c’est au tour du sculpteur J.-H. Sergel de se rendre sur les sites, il est impressionné par toutes les statues de la villa des Papyrus d’Herculanum, au point d’en faire une sculpture en 1777 d’un faune allongé, accoudé à une outre, assez proche du satyre ivre en bronze de la villa antique dont il a fait une libre esquisse, mais dans une attitude inversée (fig. 7.3 à 7.5).

Le huitième chapitre, par I. Bragantini et R. Cantilena, relate la reconstruction de l’intérieur d’un musée, le palais royal de Portici. L’idée est venue de cette restitution pour une exposition en 2009. Les différentes salles du musée sont à nouveau occupées par des copies des œuvres alors collectées par les fouilles des Bourbons, avec leurs cadres d’époque comme au XVIIIe siècle ; l’on voit une image saisissante de la façon dont les peintures étaient empilées sur plusieurs niveaux, dans les salles du palais où les statues et les meubles ont repris leur place (fig. 8.8). L’idée est de recréer l’atmosphère de cette époque pour les visiteurs actuels.

Le neuvième chapitre, par B. Bergmann, est l’histoire de deux sites, le Pompejanum de Louis Ier de Bavière et la maison des Dioscures à Pompéi.

Louis Ier visite en 1830, à Pompéi, la maison des Dioscures qui vient d’être découverte. Artistes et architectes sont conviés à retrouver les méthodes utilisées dans l’Antiquité pour reproduire cette maison dans son palais d’Aschaffenburg. Le décor n’est pas seulement à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur, inspiré des jardins pompéiens, tel celui de la maison de Salluste (fig. 9.14 et 9.15). Sur la façade on y voit des fontaines jaillissantes et des arbres ; il y a la restitution d’un atrium fastueux où, à l’entrée, le « Cave Canem » de la mosaïque pompéienne de la maison de Paquius Proculus est fidèlement représenté. L’A. compare sur deux plans, celui de la maison pompéienne et celui du Pompejanum, l’emplacement des peintures des dieux dans chaque atrium, dont certains, comme Castor et Pollux, sont placés au bon endroit dans l’entrée à Aschaffenburg (fig. 9.28, 9.29). En conclusion, cette copie est une expérience historique aussi vraie que l’original, mais c’est une expérience différente aux yeux de l’auteur.

Le chapitre 10, écrit par S. Hales, est intitulé Vivre avec Arria Marcella « Novel Interiors dans la maison pompéienne ». Arria Marcella est l’héroïne du roman de Th. Gautier[2], et la maison pompéienne est celle du prince Jérôme Napoléon, cousin de l’empereur Napoléon III qui se situait avenue Montaigne à Paris. Construite par A.N. Normand elle a été détruite avant la fin du XIXe siècle. Il s’agirait donc de ressusciter cette maison, la faire revivre comme Arria Marcella, jeune femme morte qu’un visiteur inspiré à Pompéi fait renaître quelques instants ? On notera qu’un peintre comme G. Boulanger va se servir de cette maison pour y représenter des scènes, comme celle d’un joueur de flûte (fig. 10.1). J.-L. Gérôme peint des scènes de gynécée, aux femmes dénudées, dans un cadre d’architecture pompéienne, et T. Chasseriau, le suit lorsqu’il représente une femme dressée, nue jusqu’à la taille, au prétexte de se sécher après le bain, dans le tepidarium des thermes du forum dont il a copié assez fidèlement les stucs. L’idée qui guide des artistes comme Th. Gautier et G. Boulanger, est d’animer les maisons par la présence humaine, afin de les pérenniser. Un tableau de P.-A. de Curzon intitulé : « un rêve dans les ruines de Pompéi », où les ombres des anciens habitants reviennent visiter leurs demeures (fig. 10.16), est éloquent ; de même Arria Marcella faisant visiter sa villa au jeune homme tombé amoureux d’elle. Un long développement final détaille la décadence et les critiques qui ont entouré la maison pompéienne qui ne laissait pas indifférents ses visiteurs.

Le dernier chapitre, par A. Tammisto, H. Wessholm, porte un titre en latin : DOMVS POMPEIANA MARCI LVCRETII REDIVIVA, explicité par le sous-titre, la reconstruction de la maison de Marcus Lucretius à Helsinki. Tout d’abord nous avons droit à une courte histoire des expositions d’antiquités classiques et celles sur Pompéi, soit 293 expositions depuis 1749, puis une histoire détaillée sur celle organisée en Finlande en 2008, intitulée Domus Pompeiana. L’occasion était de réunir les trouvailles du XIXe siècle mais aussi celles des fouilles finnoises de 2002-2006, dont des décors du IIe style pompéien reconstitués et provenant du jardin de la maison de Marcus Lucretius. Les restitutions en 3D ont permis de réinsérer les panneaux à scènes mythologiques conservés en musée et de les comparer aux aquarelles du livre de F. Niccolini de 1860. Pour l’exposition d’Helsinki, les peintures de l’atrium de la maison ont été réalisées à la fresque, à échelle réelle, en s’aidant des résultats d’analyses des pigments. Toutefois, on notera que la copie d’une des peintures reproduit la transformation par endroits du fond ocre jaune en rouge d’ocre, due à la chaleur de l’éruption (par transformation du jaune, c’est-à-dire de l’oxyde de fer hydraté, en rouge, soit en oxyde de fer anhydre, fig. 11.24a, b), au lieu de rétablir le jaune d’origine partout. Sur une autre copie, l’ocre jaune bien visible a été remplacée par du rouge (fig. 11.25a, b). Les auteurs concluent que l’expérience était profitable mais s’interrogent si à l’avenir la 3D à échelle réelle ne remplacera pas avantageusement le travail artisanal d’une vraie fresque.

Enfin, un bref appendice donne des explications aux termes usités par l’archéologie néo-pompéienne, comme arabesques, moresques, grotesques, goût herculéen, goût pompéien, style étrusque.

En conclusion, ce livre rend vraiment vie à Pompéi, mais aussi partiellement à Herculanum, à travers les travaux des archéologues et artistes de ces trois derniers siècles, en donnant un bon coup de projecteur sur ceux de l’Europe du Nord, jusqu’ici peu connus et peu diffusés.

Alix Barbet, CNRS

[1]. W. Zahn, Die schönsten Ornamente und merkwürdigsten Gemälde aus Pompeji Herculane und Stabiae, Berlin 1829-1852 ; Fr. Mazois, Les ruines de Pompéi, Paris 1824.

[2].  Cf. M. T. Caracciolo, La seconde vie de Pompéi. Renouveau de l’antique des Lumières au Romantisme (1738-1860), Montreuil 2017, cf compte rendu par A. Barbet dans REA, 119, 2018, p.781-788.