La partie orientale de l’Achaïe, désignée chez Homère comme l’Aigialos (et plus tard comme Aigialea) n’est pas une des régions les mieux connues du Péloponnèse, et son implication dans l’Histoire est une affaire de spécialistes. Il est donc heureux que ce volume issu d’une collaboration entre archéologues italiens et grecs rende compte de travaux communs dans la vallée du Krios entre 2002 et 2005[1] .
Ce qui fait l’originalité de ce tome, c’est la réunion de comptes rendus de fouilles ou de prospections sur la vallée du Krios et de réflexions plus générales intéressant l’ensemble de l’Achaïe. Mais ce caractère général ne va pas sans lourdeur de maniement, la relation entre les parties archéologiques et les synthèses historiques n’étant pas toujours évidente. Le but recherché semble être une utilisation totale de la documentation (archives de types divers : sources littéraires, cartographie historique, histoire des recherches, analyses environnementales, parcours des voyageurs) pour replacer dans leur contexte les dinamiche insediative, réparties entre l’époque préhistorique et la période historique, formant deux ensembles discontinus.
Les trouvailles préhistoriques n’étaient pas attendues. Les fouilles grecques de Kassaneva sur des terrasses construites ont mis en évidence un établissement dont il est difficile de restituer la forme exacte, mais qui se distingue par l’abondance du matériel céramique appartenant à un même horizon du Proto-helladique II : bols, saucières, mais aussi grands vases de stockage, portant des marques, uniques ou groupées (un groupe de trois), marques de potier ou numéraux ( ?). Tout le matériel correspond à une seule phase d’occupation qui s’achève entre Lerne IIIb et IIIc (IIIe millénaire). L’abandon du site est sans doute dû à des causes naturelles et les vestiges ont été recouverts uniformément par une couche de colluvions.
Les gains pour la période historique sont considérables : identification des fleuves antiques et restitution des circulations, attention particulière à l’environnement et à la sismicité, dont Héliké fut la victime en 373/72 avant J. C. Les cartes (Tav. 1-2) rendent bien compte de l’évolution du peuplement depuis qu’Hérodote a révélé un partage du territoire achaïen en 12 mérè sans en révéler le fonctionnement (I 145), mais c’est l’époque de la constitution béotienne qui a pu servir de modèle avec ses 11 districts.
La prospection a concerné un territoire essentiellement agricole, où l’on soulignera la culture de lentisques et de térébinthes pouvant avoir des usages dans le traitement des peaux ou pour obtenir un mastic du type « mastic de Chios » (p. 248). Reste à déterminer dans ce paysage rural le rôle de tours (de Pyrgos) et d’autres structures qui n’ont pas pu être explorées. Parmi les trouvailles intéressantes citons au lieu-dit Marmara un sanctuaire de Déméter et d’Ilythie qui comportait un temple dont on a retrouvé le plan et deux bases de statues de culte dont les pieds sont conservés.
La zone est affectée par un déclin général à partir du IIIe s. ap. J-C., mais sur certains sites la céramique indique une fréquentation jusqu’au VIIe s. ap. J.-C.
On aurait aimé que les auteurs reviennent plus systématiquement sur la question de l’identité achéenne qui a agité le monde savant dans les dernières années, depuis l’article de Morgan-Hall de 1996[2]. Je n’ai pas l’impression que le survey gréco-italien apporte de nouveaux éléments. A. Rizakis dans sa synthèse historique présente une voie moyenne : une certaine prise de conscience au VIIIe s., du moins dans l’Achaïe de l’Est, tandis que l’Ouest n’a pas encore connu le développement de la cité[3] ; puis la construction de l’identité achaïenne au moment de la mise en place des 12 mérè, qui témoigne certainement d’une unité partagée. Il ne me semble pas que les thèses de Morgan-Hall s’en trouvent fondamentalement bouleversées.
En tout cas ce livre réunit un matériel abondant, et l’on doit souligner la qualité des analyses de matériel comme des synthèses géographiques et historiques. Un exemple de collaboration entre École étrangère et éphorie grecque à imiter.
Roland Étienne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
[1]. Citons ceux qui ont dirigé l’entreprise mais l’équipe est nombreuse et de qualité : la VIe éphorie alors dirigée par M. Petropoulos, le Kera, par A. Rizakis, l’École italienne d’Athènes, E. Greco, l’université de Salerne, la professeure A. Pontrandolfo.
[2]. C. Morgan, J. M. Hall, « Achaian Poleis and Achaian Colonisation » dans M. H. Hansen ed., Introduction to an Inventory of Poleis, Copenhague 1996.
[3]. Cf. mise au point historiographique de A. Rizakis, p. 19-30.