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Depuis le récit de leur voyage à Jérusalem par le « pèlerin (anonyme) de Bordeaux » et par Éthérie de Galicie, au ive siècle de notre ère, l’introduction à la visite de Jérusalem en est venue à constituer un véritable genre littéraire, sans cesse renouvelé au gré de l’évolution des enjeux idéologiques, historiques et religieux, comme des découvertes savantes. Le chef-d’oeuvre de cette littérature foisonnante demeure sans doute, et pour longtemps encore, l’ouvrage de Maurice Habwachs consacré à La topographie légendaire des évangiles en terre sainte (Paris 1941), où l’auteur-voyageur se faisait l’historien, moins des traces d’événements fondateurs, que des mémoires successives construites à partir de leur récit.
Le petit livre d’Eckart Otto, qui présente les données les plus récentes de recherche archéologique et historique, ajoute une contribution précieuse à cette tradition littéraire. En dépit des difficultés considérables que l’on sait de pratiquer des fouilles archéologiques dans la ville plusieurs fois sainte de Jérusalem, nos connaissances se sont considérablement développées au cours du dernier demi-siècle. Otto ne se limite pas à en dresser le bilan ; il fait également revivre, dans ses chapitres 2 et 3 (« Bibel und Archäologie » et « Die Geschichte der Ausgrabungen ») l’histoire passionnante des découvertes historiques et archéologiques depuis les premières fouilles scientifiques du xixe s. Il faut souligner ici qu’une des qualités essentielles du livre réside dans une maîtrise et une compétence de l’auteur aussi bien dans le domaine des techniques et outils de l’archéologie que dans celui des méthodes de la recherche historique. L’histoire ancienne (en particulier l’histoire du Proche-Orient ancien) a trop souvent eu à souffrir de la séparation et de l’ignorance mutuelle entre archéologues et historiens, pour que cette double compétence ne soit pas reconnue à son prix.
L’ambition affichée est ici de nous présenter une géographie historique et archéologique de la Jérusalem ancienne, de l’âge du bronze à la conquête musulmane. La périodisation, classique (peut-être trop classique), distingue donc entre une longue période archaïque, d’ailleurs mal connue (IVe-IIIIe millénaires) ; l’époque de la monarchie unifiée (David et Salomon, aux xe-ixe s.) ; le temps des deux royaumes avant l’exil babylonien ; le deuxième Temple aux époques perse et hellénistique ; le deuxième Temple à l’époque de la domination romaine et jusqu’au siège de Titus (70 de notre ère) ; enfin la Jérusalem romaine et païenne, puis chrétienne et byzantine, d’avant la conquête arabe. On voit tout ce que ce découpage emprunte à une représentation religieuse de l’histoire de la Judée. Une certaine « Histoire Sainte » tirée de la Bible constitue l’arrière-plan des premiers chapitres ; tandis qu’un indiscutable christiano‑centrisme organise les derniers, comme en atteste le titre du chapitre 8, « Das herodianische Jerusalem zur Zeit Jesu », qui couvre la période allant de la mort d’Alexandre Jannée (76 av.) à la destruction du Temple par les légions de Titus.
On attendait naturellement l’auteur sur ses chapitres concernant la Jérusalem de David et de la monarchie judéenne. Les travaux d’Israël Finkelstein, que l’on partage ou non toutes ses conclusions, ont ouvert dans ce domaine un débat fondamental. Malheureusement, bien qu’Otto connaisse manifestement ces recherches auxquelles il fait quelques allusions dans son chapitre « Bibel und Archäologie », il semble qu’il n’en ait tenu aucun compte, pas même pour les réfuter de façon argumentée, et se soit contenté de reprendre les schémas classiques de l’archéologie religieuse.
Cette réserve limite un peu l’intérêt d’un livre qui n’en constitue pas moins une introduction utile et claire à l’histoire ancienne de Jérusalem.

Christophe Batsch