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Perfectissima femina est la très belle édition du mémoire inédit d’Habilitation de M. Navarro Caballero, soit deux volumes présentés dans un coffret. Le premier volume comprend 358 p. de texte, le second est le corpus de cette étude. Si l’idéal féminin formulé par Sénèque ouvre et ferme le propos (une femme au foyer, discrète, pieuse et dévouée à sa famille), ce livre lui donne corps grâce à une étude complète des provinces hispaniques. M. Navarro analyse le langage et la forme des représentations des femmes de l’élite dans l’Hispanie romaine aux trois premiers siècles de notre ère. Il s’agit de mieux saisir leur présence publique en s’appuyant sur un dossier prosopographique de 614 femmes. Chacune de ces dernières bénéficie dans le second volume d’une fiche comprenant la ou les inscriptions la mentionnant, ses liens familiaux et une présentation biographique. L’ensemble est classé par province, puis localité. La consultation de ces fiches est facilitée par quatre indices (femmes, sources, personnes et lieux). L’étude s’appuie également sur une autre source, la statuaire, fondée entre autres sur le corpus de la thèse de C. Marcks soutenue en 2008. Après une première partie introduisant la documentation disponible, notamment les données matérielles, l’analyse se découpe en trois parties privilégiant des thématiques sociales et politiques, dans le sens de relevant de la polis/ciuitas.

La partie I (« Le texte et l’image, signes publics de l’appartenance des femmes à l’élite ») interroge les traces matérielles de la représentation des femmes. La question commune aux deux chapitres (« Les données épigraphiques » et « Les représentations iconographiques ») porte sur l’emplacement des supports de la principale source d’information que sont les statues. Cette partie est l’occasion de dresser une typologie permettant des premières conclusions sur la périodisation et soulignant le conventionnalisme des représentations.

La partie II (« La présence des dames dans les cités hispaniques : une question de prestige ») analyse les témoignages selon leurs contextes : funéraire, public et domestique. Pour le premier elle souligne l’initiative féminine et la valorisation des vertus domestiques. Dans le second se détachent les galeries de portraits gentilices. Le lien conjugal est rarement énoncé, mais se comprend par un génitif d’appartenance. Les hommages sont principalement post mortem. Le IIe siècle se distingue du Ier siècle par le fait que l’autoreprésentation quitte la sphère funéraire pour les espaces publics et que les sentiments s’affichent davantage. Si ce sont surtout les membres de l’album décurional qui sont honorés, les textes n’en demeurent pas moins très laconiques sur les femmes de ces familles. Dans la sphère domestique, en Bétique et Lusitanie, les hermès-portraits sont remarquables.

La partie III (« Les femmes et la famille : le privé en public ») distingue les filles des épouses et des mères. Les premières assument le devoir de mémoire, les secondes affichent l’expression d’un couple uni, renforçant surtout le prestige des hommes de la famille. L’héritage de la gens maternelle est toutefois lisible dans l’onomastique, par ailleurs le statut d’épouse donne un rôle social à la femme et le veuvage une position publique personnelle. Des relations au niveau régional, entre les hauts aristocrates locaux, sont également mises en valeur.

La partie IV (« Les actions publiques de dames hispaniques ») détaille leurs évergésies, dresse le portrait des prêtresses et rend compte de la reconnaissance des dames. Cette dernière était non seulement faible mais aussi réservée à un petit nombre de femmes et ce malgré leur indéniable rôle social, notamment pour les veuves en ce qui concerne les flaminiques locales. En revanche, les flaminiques provinciales, comme les évergètes, restaient associées aux hommes de la famille.

Cette note de lecture ne peut témoigner à sa juste valeur de toute la richesse de cet ouvrage qui détaille de nombreux exemples à l’appui de la démonstration avec une contextualisation spatiale très précise et une mise en valeur des évolutions entre le Ier et le IIe siècle. Parmi ces exemples, on peut citer : la nécropole romaine de Carmona, le monument funéraire de Salaria, l’autel monumental de Domitia Fusta, les sculptures de Tarraco et d’Emerita Augusta, le monument funéraire des Sergii à Sagonte et celui des Atilii à Sádaba, le piédestal des statues de Valeria et Acilia de Cordoue, la villa de Milreu, les dossiers de Labitolosa, de Capera et Los Bañales, les évergésies d’initiative féminine de Barbesula, d’Acci ou d’Italica. Le corpus et la présence de 40 tableaux dans le premier volume illustrent le souci de l’exhaustivité de l’auteur et le soin apporté au croisement des données. Il a alors été possible de conclure sur une réelle « influence sociale », et non politique, des femmes des élites en Hispanie, en précisant que le temps jouait en leur faveur, car cela concerna principalement les veuves. L’analyse est originale en ce qu’elle privilégie l’anthropologie historique à l’histoire strictement sociale, soulignant les conventions formelles. La famille s’avère être le dénominateur commun des codes symboliques que l’on peut voir à l’œuvre dans tout le livre.

Nathalie Barrandon, Université de Nantes

Publié en ligne le 12 juillet 2018