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Claire Muckensturm-Poulle (ISTA UR4011, Université de Franche-Comté) et Guillaume Ducœur (Université de Strasbourg) ont organisé à Strasbourg, le 8 avril 2021, une journée d’étude sur le thème du livre qu’ils viennent de publier. Celui-ci regroupe six communications qui ont été faites à cette occasion.

D’une solide érudition, l’ouvrage, abondamment illustré, exploite des informations empruntées à des sources rédigées en grec, en latin, en sanskrit, en pāli et en chinois. Les traductions, tant des textes cités que des termes techniques, philosophiques et religieux mentionnés, en rendent la lecture aisée et particulièrement instructive, l’ensemble constituant un monument de science d’un vif intérêt dans tous les domaines particuliers abordés.

Guillaume Ducœur attire l’attention sur Alexandre le Grand et les ascètes de Taxila en posant plus précisément la question de savoir si Calanos était un ācārya bouddhiste. Solidement argumentée, la réponse négative semble parfaitement convaincante. Il convient de voir en la personne du célèbre ascète un authentique parivrājaka, un renonçant, se situant dans la tradition védique du brahmacaria. Les citations de Nāgārjuna et d’Aśvaghoṣa, bien choisies, sont judicieusement utilisées.

D’une nature très différente, la contribution de Claire Muckensturm-Poulle est tout aussi intéressante : « Des autels d’Alexandre aux colonnes indiennes d’Héraclès ou comment passer de l’histoire au mythe ». La documentation de l’étude est empruntée à des historiens d’Alexandre, Diodore, Plutarque et Arrien, au géographe Strabon et à des romanciers, Philostrate et le pseudo-Callistène. Claire Muckensturm-Poulle cherche aussi à répondre, en exploitant les sources à sa disposition, à une question complexe mais d’une formulation simple portant sur le thème des colonnes orientales d’Héraclès : est-ce sur l’épopée du conquérant que repose ce que l’on peut considérer comme un mythe ou faut-il assigner au thème concerné une autre origine ? Les analyses des nombreuses citations traduites du grec ainsi que notamment un opportun rappel à titre de comparaison de la geste d’Hannibal permettent d’établir que chaque auteur sollicité a proposé au sujet des colonnes indiennes d’Héraclès une version orientée plus en fonction d’objectifs personnels que d’une description des épisodes réels de la vie du conquérant.

Pour étudier « L’émergence des images de Viṣṇu en Inde », Osmund Bopearachchi sollicite le témoignage de nombreuses données numismatiques et illustre son propos de reproductions photographiques, ce qui lui permet de prendre appui sur l’image des monnaies émises par le roi indo-grec Agathocle trouvées sur le site d’Aï-Khanoum et sur les commentaires qui en ont été proposés par des spécialistes de premier plan. D’autres éléments divers sont également examinés, comme par exemple la sculpture de Viṣṇu provenant du Gandhāra. Les analyses avancées sont précises, détaillées et concordantes. Elles permettent d’aboutir à une datation (IIIème siècle avant J.-C.) d’une grande fiabilité pour l’émergence de l’imagerie vaiṣṇava.

Avec Kyong-Kon Kim, on quitte le monde des dieux de l’Inde pour retrouver celui du très célèbre roi Ménandre : « Le roi indo-grec Ménandre d’après les documents chinois naxian biqiu jing ». Ménandre est connu non seulement par des informations que fournissent en grec Strabon, Plutarque, Justin et l’auteur non identifié du Périple de la mer Égée, mais aussi par un ouvrage bouddhique cinghalais rédigé en pāli (Milindapañha, Questions de Milinda) ainsi que par des documents rédigés en chinois (naxian biqiu jing, Sūtra du bhikṣu naxian). Cette documentation a été abondamment étudiée à diverses époques par d’éminents spécialistes dont les travaux sont cités et commentés tant en ce qui concerne leur contenu que leurs origines et leur genèse, sans que pour autant tout soit parfaitement clair en ce qui concerne le personnage royal. C’est pour projeter de nouvelles lueurs sur lui que l’auteur de la contribution a pour ambition d’analyser les documents chinois. Kyong-Kon Kim en donne une présentation synoptique dans une traduction française soigneusement élaborée qui se révèle d’une consultation aisée, le tout étant ponctué de mentions de termes chinois et sanskrits pour justifier le choix des mots français ou encore de brèves notes explicatives, l’ensemble étant complété par plusieurs pages de commentaires et de conclusions. Il est ainsi montré que la vérité historique concernant le personnage royal est moins déterminante que les intentions personnelles des traducteurs. La démonstration, qui repose sur une profonde érudition, semble tout à fait intéressante à tous les points de vue relevant de la pensée et de son expression linguistique.

L’étude de Thierry Grandjean, « Le bain dionysiaque des Indiens dans le Mélas de Cappadoce (Himérius, Orationes, 18, 2-3), le bizutage estudiantin aux bains et le baptême chrétien », est à la fois érudite et particulièrement ingénieuse dans ses divers développements ainsi que dans sa conclusion qui évoque avec pertinence « un décryptage » réussi de l’allégorie du bain dans le discours 18 du très célèbre sophiste Himérius (vers 320~vers 383). On appréciera les raisonnements successifs fondés sur des textes et des faits habilement rapprochés et interprétés concernant le fleuve Mélas, les relations entre Indiens et Hellènes, le bain dionysiaque, Basile de Césarée, le bain rituel de bizutage dont fut dispensé l’aspirant disciple du maître, la purification baptismale, le symbolisme du blanc et du noir et finalement la grande subtilité inventive et érudite ainsi que l’ingéniosité rhétorique et sophistique de l’illustre Himérius. Tout cela est fort bien démêlé et mis en valeur dans des explications aboutissant au terme d’une séduisante analyse à une vision globale qui entraîne la conviction.

Avec Zémaryalai Tarzi, on aborde un tout autre domaine, d’ordre archéologique, celui d’objets découverts dans des fouilles, plus précisément des reliquaires, des reliques et des éléments divers qu’ils contiennent, « Les reliquaires et les reliques de Mašreqi ». Le lieu exact de leur découverte à l’occasion de prospections sans doute clandestines étant inconnu, Zémaryalai Tarzi a choisi le terme de Mašreqi « orientale » qui désigne la province de l’ancienne Jalālābad. Bien illustrée par des dessins et des photographies, la contribution est composée de descriptions fort détaillées et d’études comparatives étendues qui permettent au lecteur de découvrir de nombreuses séries d’informations sur les reliquaires et leurs diverses caractéristiques, sur leur précieux contenu ainsi que sur ce que l’on parvient à savoir à leur sujet (datations, descriptions, typologie, acquis variés de travaux d’érudition etc.). L’aspect documentaire scientifique est ainsi très important en ce qui concerne les authentiques trésors que sont les reliquaires en général.

Toutes les contributions reproduisant les communications de la journée d’études sont complétées par une bibliographie dont la consultation témoigne de la diversité, de l’intérêt et de la richesse des recherches concernant les rapports entre les mondes grec et indien tout comme la qualité des travaux passés et en cours. Elles font globalement de cet ouvrage un très bon livre dans le vaste domaine dont il explore des aspects importants avec une science qui ne manquera pas de susciter une attention curieuse et stimulante, même chez les hellénistes et les latinistes qui pourraient craindre d’être déroutés par les données complexes empruntées au sanskrit, au pāli et au chinois.

 

Jean-Pierre Levet, Université de Limoges.

Publié en ligne le 8 juillet 2024.