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Le livre résulte d’une série de conférences tenues à l’EPHE en janvier 2007 dans le cadre du séminaire de N. Belayche. Il poursuit trois buts : interpréter le mithraïsme au sein de l’Empire romain (p. 9-45), expliquer le contenu théologique et rituel des mystères de Mithra (p. 46-91) et explorer les rapports entre le mithraïsme et la gnose chrétienne (p. 92-109).
S’agit-il d’un culte étranger parce que Mithra est un dieu étranger et parce que ses fidèles seraient des étrangers ou au contraire, malgré l’origine iranienne du dieu, est-il un culte civique c’est-à-dire soutenu par les finances publiques et célébré par des collèges de prêtres choisis par les autorités ?
D’accord avec la plupart des savants, l’A. soutient que le mithraïsme est un culte romain, puisqu’il n’existe pas de mystères perses de Mithra et, d’après lui, il est parvenu à Rome par l’entremise des Ciliciens, en particulier de la cité de Tarse (p. 42-45). En revanche, il défend la thèse que le mithraïsme, loin d’être un concurrent du culte impérial, avait non seulement été favorisé par l’Empereur comme l’attestent la construction des mithrea (notamment dans le palais des Sévères sur le Palatin, dans le palais de Commode à Ostie, sur le Capitole, près du Circus Maximus), la dévotion de Commode et des Sévères, mais encore était devenu la manifestation même du loyalisme à l’égard de sa personne, notamment pour l’armée (alors que l’adhésion des sénateurs au mithraïsme est peu attestée). L’intérêt porté par les Empereurs à ce culte résidait dans la théorie qu’il comporte sur la nature divine du pouvoir des rois : « l’ancien dieu iranien du pacte » dont le nom signifie contrat et « qui liait les aristocrates à leur roi, était devenu le dieu de la fidélité des officiers de l’Empire à leurs empereurs » (p. 15). L’A. le fait remonter « entre l’époque des Flaviens et Trajan ». « La diffusion du mithraïsme n’est pas le résultat de déplacement d’étrangers, mais de celui d’étrangers qui étaient devenus citoyens ou qui étaient en train de le devenir » (p. 10) : d’où l’afflux de témoignages après l’édit de Caracalla accordant la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire.
La thèse est séduisante, même si la démonstration n’emporte pas la conviction point par point. En particulier le parallèle avec les cultes à mystères grecs qui sont aussi des cultes civiques, liés en tant que tels à la fondation et à la permanence de l’État n’est peut-être pas pertinent (p. 30-31) car rien ne prouve qu’un culte à mystères à Rome devait fonctionner comme ceux des cités grecques, même si les Romains en avaient effectivement importé plusieurs (notamment ceux de la Grande Mère de Pessinonte en 204 a.C.).
Si l’A. a raison, nous sommes devant un cas de syncrétisme où les dieux et leur théologie sont importés, mais où le culte est organisé comme sacra publica et non comme sacra priuata, avec cette double singularité que le mithraïsme n’a pas été apporté par des étrangers dans le monde romain et qu’il serait devenu le centre de la religion civique romaine à l’époque des Sévères où il connut sa plus grande diffusion.
Le culte était centré autour d’un rituel initiatique comprenant sept grades et d’un repas sacrificiel. En revanche, l’A. ne voit dans le tauroctone (sacrifice originel par lequel le monde est advenu) généralement réputé typique du mithraïsme qu’une représentation figurée dans les mithrea et non une pratique rituelle.
À l’aide d’une vaste documentation, l’A. décrit la théologie attachée au mithraïsme : il distingue un dieu léontocéphale, un jeune homme identifié comme Érôs et un personnage sortant d’un oeuf cosmique qui serait Mithra lui-même ; ce sont les trois éons (aiônes) qui, selon lui, sont des dieux « supracosmiques », c’est‑à‑dire dont dépend l’organisation du cosmos, mais qui ne font pas partie de la nature comme ceux du paganisme. Cette conception de la divinité serait l’apport original du mithraïsme (p. 82-91).
Comme le titre l’indique (en y insistant peut-être trop), l.’A. affirme l’influence du mithraïsme sur la gnose chrétienne (c’est‑à‑dire les « hérésies » combattues notamment par Irénée de Lyon, Hippolyte et Épiphane). Il note plusieurs points communs : notamment, le dieu des chrétiens est lui aussi extérieur au monde sensible, le Christ et Mithra présentent des similitudes et dans les deux théologies, les âmes retournent au Ciel en empruntant une échelle cosmique (p. 108-109).
Malgré ces influences possibles, ou à cause d’elles, le mithraïsme qui ne pouvait plus soutenir l’empereur puisque le christianisme assumait désormais cette fonction fut particulièrement haï par les chrétiens et disparut à l’époque de Théodose (p. 114).

Nadine Deshours

Mastrocinque