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Après avoir accueilli les commentaires des Vies de Néron (K. R. Bradley, 1978) puis de Caligula (D. Wardle, 1994), la collection Latomus publie, en un très fort volume, celui de la Vie d’Auguste de Suétone (= S.), issu d’une thèse de doctorat de l’Université de Nice.

L’ouvrage comprend une introduction qui rappelle les quelques données biographiques dont nous disposons, et qui aborde divers problèmes littéraires et historiographiques (la conclusion fournit  également  des  réflexions  intéressantes  sur ce thème), mais c’est le commentaire qui se taille la part du lion (p. 73-585). Le texte (celui de H. Ailloud, CUF), accompagné d’une traduction inédite, est analysé paragraphe par paragraphe. N. Louis (= l’A.) a fourni un travail important, aussi bien dans sa traduction, correcte dans l’ensemble {{1}} , que dans la collation et la comparaison des sources anciennes. Plusieurs développements sont très complets, et dispenseront désormais de revenir sur la question. Il s’agit donc d’un travail qui rendra de réels services.

Néanmoins, le livre n’est pas exempt de défauts – qui tiennent en partie à la très grande variété de problèmes que pose une Vie aussi foisonnante que celle d’Auguste.

En premier lieu, l’extrême prolixité du commentaire n’est pas toujours judicieuse. En effet, l’A. donne souvent l’impression de prendre S. comme un prétexte à un développement général : a-t-on besoin, quand S. indique en un mot qu’Auguste est originaire de Vélitres, de connaître en détail le système politique de cette cité au IV e siècle a.C. (p. 74) ? Est-il nécessaire, chaque fois qu’une ville est citée, de renvoyer à la notice de la RE (p. 139, 187, etc.) ? De nombreux développements semblent tout aussi superflus  (p.  96  :  les  imagines ; p. 121 : la carrière de Lépide ; p. 132 : d’Hirtius ; p. 208 : le  temple  de  Janus  ;  p.  268  :  le  flamine  de  Jupiter ; p. 457 : les jeux de hasard) et supposent de la part du lecteur une profonde ignorance du monde antique (p. 183 : « sur Alexandre, fils de  Philippe II et d’Olympias, né à Pella en 356 av. J.-C. et mort en 323 à l’âge de trente-deux ans, cf. […] J. Kaerst, RE [1893] »). Au fond, certaines pages  ressemblent  à  des  fiches  résumant  tel  ou tel article, plutôt qu’à une réflexion portant  précisément sur le texte analysé. Il aurait été préférable d’envisager de près les problèmes les plus aigus. Au chap. 33, par ex., S. dit qu’Auguste a jugé plusieurs affaires criminelles, dont un parricide : l’A. détaille alors longuement l’histoire du parricidium et de sa répression, mais ne s’intéresse pas au texte lui-même : à quel titre Auguste est-il juge ? Comment comprendre l’expression simul cognoscentibus : siège-t-il au sein d’une quaestio ou bien présidet-il son tribunal personnel ? Le lecteur ne saura rien de ce débat, et l’on pourrait multiplier les observations de ce type.

De surcroît, sans parler des erreurs ponctuelles (p. 503, à propos d’Antoine : « Cicéron adressa les mêmes reproches au mari de Cléopâtre »), il est regrettable que des coquilles très fréquentes{{2}}, combinées à quelques brachylogies, rendent certains raisonnements de l’A. peu compréhensibles. Ainsi p. 100 (= chap. 4, 4), où S. rapporte une insulte faisant du grand-père maternel d’Auguste un nummularius dont les mains sont noircies par le contact de la monnaie : « À l’époque de Dion Cassius et de Suétone, les manieurs d’argent ne salissaient [sic] plus les mains. Il est donc [??] presque certain que le grand-père paternel [sic], Atius Balbus, proche parent de Pompée par sa mère, n’a pas exercé de [ce ?] métier ». Autres passages inintelligibles : p. 193 : « Suétone laisse transparaître le mépris qu’il ressent pour ceux qui ont conspiré contre Auguste d’autant plus qu’ils étaient issus des catégories les plus pauvres et que l’empereur s’était opposé à ce qu’on octroyât au peuple des beneficia » ; p. 217 : à qui renvoie « leur » ? ; p. 377 : Aemilius Aelianius (sic) est présenté comme l’accusateur, alors qu’il est l’accusé ; p. 378 : nous ne comprenons pas de quel pronom réfléchi  il  est  question  ;  p.  443  :  «  Le  terme seuerus est proche de saeuus, car l’attitude d’Auguste peut être qualifiée plutôt de saeuitas [sic], “cruauté” ».

La bibliographie est imprécise (p. 112 : qui est « M. Nisard » ? il n’est pas cité dans la bibliographie. S’agirait-il de D. Nisard, en qui l’A. semble voir un éditeur de Suétone, ce qu’il n’est point [il a simplement dirigé la collection dans laquelle est parue l’édition de Baudement, citée dans la bibliographie] ?; beaucoup de dates de publication sont fausses), naïvement utilisée (p. 423 : « le verbe notare ne renvoie pas à la cryptographie car le dictionnaire de E. [sic]  Gaffiot  ne  fournit  pas  le  sens  de  cryptographie ») et surtout largement périmée {{3}} : sur les monnaies romaines, Babelon doit être abandonné au profit de Crawford (cité dans la  bibliographie mais pas dans le commentaire) ; aucun des importants travaux de l’ANRW II.33.5 (1991) n’est signalé, alors même qu’ils auraient amené l’A. à nuancer, par exemple, son idée de l’utilisation de la correspondance privée d’Octavien par Suétone (p. 459-460, 505-506, etc. : cf. ANRW p. 3690-3692) ; M. Dubuisson a consacré plusieurs études pénétrantes à Suétone, qui ne sont mentionnées nulle part, et qui auraient enrichi l’exégèse des chap. 88 et 89. Au reste, il est regrettable que l’A. n’ait pas intégré dans son  commentaire  les  ouvrages  récents  figurant  dans l’appendice bibliographique (notamment ceux de I. Cogitore, M.-Cl. Ferriès). Par ailleurs, l’A. ne rend pas toujours compte fidèlement des  opinions des auteurs cités (ainsi p. 282, à propos du calculus Mineruae, M. Reinhold pense qu’il s’agit d’une invention de Dion Cassius : l’A. lui prête un tout autre point de vue).

Enfin,  les  sources  anciennes  sont  citées  de façon erratique, voire aberrante (confusion entre Plut., Cat. mai. et Cat. min. [p. 145 : cf. p. 731] ; Sen., clem., XIII, 6 ne renvoie à rien [p. 284 : lire : I, 15, 4-7], tout comme Liv., XX, 7 [p. 262], Xen., Mem., 3-5 [p. 482] ; confusion entre le Panégyrique de Trajan et le 10 e livre de la correspondance de Pline [p. 421] ; à quoi renvoient les références à Ulpien [p. 745]) ? Dans le même ordre d’idées, l’index présente plusieurs erreurs dans les titres des oeuvres antiques. Il s’agit sans doute de fautes d’attention (chacun sait qu’un index est souvent rédigé à la hâte), mais d’autres assertions ne laissent pas de surprendre, comme les héros romains dont l’A. aurait suivi (p. 5) la geste dans des textes de Caton (dont l’oeuvre historique a survécu seulement à l’état de lambeaux, et qui se refusait à mettre en valeur les individualités [cf. Nep., Cat., 3, 4]) ou de Quinte-Curce (qui traite d’Alexandre le Grand).

En bref, s’il avait été abrégé et attentivement révisé en vue de la publication, ce travail, utile en lui-même, répétons-le, aurait été plus profitable. Pour le moment, le commentaire de  Carter (Bristol Classical Press, 1982, qui n’est même pas cité par l’A. !) est à nos yeux plus commode et plus fiable.

Guillaume Flamerie de Lachapelle

[[1]]1. Cependant : p. 85 (= chap. 2, 6) et 89 (3, 1) : argentarius est traduit tantôt par « argentier », tantôt par « changeur » ; p. 92 (3, 3) : pourquoi avoir inversé iustitia (dont la traduction par « équité » est contestable) et fortitudine dans la traduction ?; p. 119 (8, 6) :
multum n’est pas traduit ; p. 123 (10, 1) : l’opposition entre ui et legibus n’est pas rendue ; p. 212 (23, 1) : omnibus n’est pas traduit ; p. 241 (28, 2) : traduire plutôt temere par « hasardeux » ; p. 248 (29, 4) : traduction peu claire (« plus vieux dans ce lieu ») ;
p. 258 (30, 1) : ut n’introduit pas une consécutive, mais une complétive de instituit (qui n’est pas traduit) ; p. 273 (30, 7) : p[opuli] n’est pas traduit ; p. 277 (32, 3) : des stationes ne sont pas de simples sentinelles  (ou  alors  il  aurait  fallu  justifier  cette  traduction) ; p. 290 (34, 4) : supprimer le deuxième « prématurées » ; p. 302 (37, 1) : plures aurait dû être
traduit par un comparatif (« plus nombreux ») et cura n’a pas seulement le sens de « surveillance » ; p. 320 (40, 3) : supprimer « frumentaire » ; p. 328 (40, 7) : pluribus  signifie  «  plus  nombreux  »,  et  non  «  plus  grands » ; p. 341 (43, 1) : « Il surpassa tous » est, à tout le moins, maladroit ; p. 349 (43, 9) : honeste renvoie à l’idée d’honorabilité, plutôt que d’honnêteté ; p. 358 (45, 5) : Latinos n’est pas Romanos ; p. 358 (45, 6) : praeterquam ludis et scaena n’est pas traduit ; p. 364 : sed (47, 2) n’est pas traduit ; p. 376 (51, 3) :
uel maxime n’est pas traduit ; p. 377 (51, 4) : user du voussoiement pour un échange Auguste/ Tibère s’imposait-il [l’A. adoptera d’ailleurs le tutoiement à la p. 460] ?; p. 407 (61, 1) : quoniam n’est pas traduit ; p. 436 (66, 4) : la traduction de la fin du §4  est embrouillée ; p. 446 (68, 1) : traduire stuprum par « déshonneur » est trop euphémistique ; p. 491 (82, 2) : non nisi n’est pas traduit ; (82, 3) lire « petites étapes » (et non « petites journées ») ; p. 492 (83, 1) : uectabatur et deambulabat sont des imparfaits (et aussi p. 544 : consulebat et perseuerabat) ; p. 500 (86, 1) : sententiarum ineptiis, non pas « les formules sottes », mais « les inepties des maximes » ; p. 508 (88, 2) : notarem doit se traduire par « je ferais mention » (et non « je ferai mention ») ; p. 541 (94, 14) : lire « Auguste » (et non « Octave ») ; p. 542 (94, 15) : le subjonctif interpretarentur n’est pas rendu.[[1]]

[[2]]. Nous avons relevé plus d’une centaine de coquilles, d’abus de langage et de fautes syntaxiques, côtoient curieusement un imparfait du subjonctif obstinément employé. Le texte latin comporte lui-même beaucoup d’erreurs, ce qui est plus gênant : p. 229 (= chap. 26, 4) : lire undecimum et non decimum (d’ailleurs traduit par « onzième ») ; 294 (35, 3) : lire seruauitque ; p. 394 (56, 7) : lire iniuriarum ; p. 439 (66, 6) : lire Agrippae ; p. 468 (73, lire neptibusque ; p. 485 (79, 5) : la fin du § est manquante ; p. 507 (88, 1) : lire uidetur. [[2]]

[[3]]3. Ce qui se traduit aussi dans certaines remarques : en 2010, à quoi bon citer un savant pour écrire que mille sesterces équivalent à « deux cent cinquante francs or » ? (p. 363). [[3]]