Cet ouvrage constitue le livret d’accompagnement d’une exposition-dossier montée autour d’un fragment de statue cuirassée provenant du théâtre romain de Lecce (ancienne Lupiae) et présentée au MUST (Museo Storico Città di Lecce) du 20 décembre 2014 au 8 février 2015, à l’occasion des célébrations du bimillénaire de la mort d’Auguste en 2014 et alors que Lecce était capitale européenne de la culture pour l’année 2015. Le musée, situé dans un ancien couvent bâti en partie sur le bâtiment de scène du théâtre antique, devrait voir ses salles consacrées à l’histoire de la ville ouvrir prochainement[1]. Ce livret, édité sous la direction de Francesco D’Andria et Katia Mannino, comporte 63 pages avec de nombreuses illustrations en couleurs ; il a été rédigé en italien par six auteurs, tous les textes sont également traduits en anglais.
La première partie de l’ouvrage retrace brièvement l’histoire de la découverte archéologique du théâtre, à partir de 1928, et de celle du fragment de statue cuirassée, en 1940. Le théâtre comme la statue connurent ensuite une période étonnamment longue d’oubli et d’abandon, jusqu’à 1996, lorsqu’intervint une opération de sauvegarde et de récupération du site archéologique qui donna lieu à une première publication dirigée par F. D’Andria[2]. Après de nouvelles années d’oubli, la redécouverte de la statue, fin 2014, a reporté l’attention sur l’édifice. Quelques reproductions de documents administratifs et photographiques illustrent le propos.
La deuxième partie, due à K. Mannino, présente la statue cuirassée colossale objet de l’exposition. Entreposée depuis 1940 dans l’aditus oriental du théâtre, longtemps obstrué par le passage d’un égout moderne, cette statue était demeurée inaccessible jusqu’à décembre 2014, lorsque sa redécouverte dans le cadre d’études menées par l’Università del Salento motiva une exposition immédiate. On conserve seulement un fragment de la partie inférieure de la cuirasse anatomique avec deux rangs de lambrequins recouvrant les plis de la tunique. Les motifs qui ornent la cuirasse et les lambrequins se rattachent aux thématiques de la victoire et du pouvoir et la taille colossale de la statue (2,80 m d’après la restitution) indique selon toute vraisemblance un portrait d’empereur. Une très rapide analyse iconographique et stylistique conduit l’auteure à avancer l’hypothèse d’une représentation de Trajan ou Hadrien. Quelques lignes didactiques rappellent ensuite l’importance des statues cuirassées dans l’art romain, notamment depuis l’Auguste Prima Porta et le Mars Ultor du Capitole, et évoquent leur place dans le contexte particulier des décors des fronts de scène des théâtres romains.
La troisième partie du livret est consacrée au théâtre, dont ne subsistent que les parties basses, creusées dans la roche : ima cavea, orchestra, frons pulpiti rectiligne et estrade pleine avec traces d’encastrement d’un plancher en bois, aditus oriental. Il ne reste quasiment rien du décor architectural du front de scène. L’analyse stylistique de plaques décoratives en terre cuite attribuées à la décoration du toit de l’estrade conduit les auteurs à proposer une datation augustéenne de l’édifice. Le théâtre de Lecce se distingue par l’importance du décor statuaire conservé, dont un commentaire très succinct est donné, accompagné d’une proposition de restitution graphique du front de scène, reprise de la publication de 1999 et dans laquelle les nombreux éléments purement hypothétiques (concernant le décor architectural par exemple) ne sont malheureusement pas distingués. Une première statue cuirassée, ornée du char du soleil et de monstres marins portant des Néréides, est attribuée à une représentation d’Auguste ; elle est donc antérieure à la statue cuirassée qui faisait l’objet de l’exposition. Une brève présentation de l’état des connaissances archéologiques sur la Lupiae romaine permet de situer le théâtre dans le plan de la ville. Une figure (p. 47) montre, sur le fond du bâti moderne, l’emplacement du théâtre, de l’amphithéâtre, du forum supposé ainsi que de découvertes plus récentes : des thermes et un sanctuaire d’Isis.
La dernière partie rappelle que Lupiae était connue comme la ville où avait débarqué Octave à son retour en Italie en 44 av. J.-C., juste après l’assassinat de Jules César, et où il avait pris connaissance du testament qui faisait de lui l’héritier du dictateur. C’est en partie à ce titre qu’en 1937, sous le régime fasciste, les autorités politiques et culturelles de Lecce avaient proposé d’inclure l’inauguration du théâtre romain nouvellement découvert dans le cadre des célébrations du bimillénaire de la naissance d’Auguste. L’édifice devait alors incarner la grandeur de Rome et sa vocation civilisatrice, selon une rhétorique activement mobilisée par Mussolini dans toute l’Italie. L’événement n’eut jamais lieu. Le livret se clôt sur l’intégration, 70 ans plus tard, dans un contexte politique heureusement différent et déployé à l’échelle européenne, de la redécouverte de la statue cuirassée d’empereur dans le cadre des célébrations du bimillénaire de la mort d’Auguste en 2014. Le lieu de l’exposition temporaire de l’œuvre dans le musée, presque au-dessus de l’emplacement du front de scène, se voulait en ce sens très symbolique.
Il faut saluer la rapidité de cette publication, destinée à faire connaître cette redécouverte statuaire importante et à contribuer à la mise en valeur du patrimoine archéologique de Lecce. Mais on peut dans le même temps regretter le caractère très succinct du texte et la qualité souvent peu satisfaisante des illustrations et/ou de leur impression. En premier lieu, on aurait attendu une couverture photographique de meilleure qualité pour la statue qui faisait l’objet de l’exposition (couverture et p. 24-31). En outre certains plans sont très peu lisibles (p. 14 et 15) et même s’il s’agit de documents anciens, des légendes plus précises auraient pu faciliter leur compréhension. De manière générale, un commentaire plus détaillé des documents d’archives présentés en illustrations aurait enrichi la lecture. On comprend bien l’opportunité saisie pour cette publication, entre les célébrations du bimillénaire de 2014 et l’année 2015 qui vit Lecce devenir capitale européenne de la culture. Dans ce cadre, l’approche historiographique des « redécouvertes » successives du théâtre de Lecce et de son décor, centrée sur les deux bimillénaires d’Auguste, était très intéressante et aurait mérité de plus amples développements. Le choix de mettre en valeur une statue d’empereur qui n’est justement pas, selon les auteurs, celle d’Auguste mais d’un de ses successeurs, aurait aussi nécessité des éclaircissements plus explicites. Pour finir, le décor statuaire relativement bien conservé du théâtre de Lecce, complété par la statue cuirassée récemment redécouverte, demeure en attente d’une publication exhaustive et approfondie qui permettra seule d’en préciser l’ampleur chronologique et thématique et d’en mesurer l’originalité.
Eloïse Letellier-Taillefer
mis en ligne le 28 juin 2016
[1] http://www.mustlecce.it/ consulté le 2 février 2016.
[2] D’Andria Francesco (dir.), Lecce romana e il suo teatro, [Galatina] 1999, 156 p.