Cet imposant volume de 562 pages réunit vingt-huit communications, présentées au XXXII e colloque du laboratoire halma – ipel (Histoire, Archéologie, Littératures des Mondes Anciens – Institut de Papyrologie et d’Égyptologie de Lille, UMR 8164) {{1}} . Cet ouvrage a pour but d’étudier toute forme de correspondance dans le monde romain, du I er siècle avant notre ère jusqu’au VII e siècle, en s’attachant aussi bien aux indices de continuité qu’aux marqueurs de rupture. La réflexion est fondée sur « une approche comparative des pratiques et de la place de l’épistolaire » (p. 529). Le colloque lui-même est né du prolongement des réflexions suscitées à l’occasion d’une première rencontre, elle aussi organisée par J. Desmulliez, dont les actes sont parus en 2009 {{2}} . Ce premier colloque prenait en compte seulement l’Antiquité tardive, considérée comme « l’âge d’or de la littérature épistolaire », notamment en raison de la constitution, entre le IV e siècle et le VI e siècle, de recueils de lettres, excellents témoignages de la vie politique et intellectuelle de cette époque. L’angle d’approche choisi pour ce second colloque – constantes et mutations – impliquait d’élargir le cadre chronologique et géographique de la réflexion. Ainsi, une large place a été faite à Cicéron, à Sénèque et à Fronton. Cet élargissement est allé de pair avec des analyses approfondies dans les champs d’études suivants : histoire sociale, histoire économique, histoire religieuse et histoire culturelle. Deux conclusions de nature différente se dégagent aisément au fur et à mesure de la lecture du volume. Tout d’abord, le développement croissant de la religion chrétienne chez les élites apparaît comme le facteur principal des évolutions que connaissent les correspondances. Ensuite, les lettres possèdent intrinsèquement une valeur documentaire. Cette conclusion, étayée par de nombreuses preuves développées dans les contributions, prolonge le constat qui s’était imposé lors du premier colloque.
Ce volume est composé d’une introduction (p. 2-9), qui cerne avec efficacité les enjeux du sujet, justifie la progression thématique adoptée et présente de façon succincte chacune des contributions, puis de trois parties équilibrées et enfin d’une brève conclusion (p. 529-533) qui réussit à tirer un bilan d’ensemble sans répéter la présentation de l’introduction. Sans l’outil des trois indices (index geographicus, index nominum, index rerum), la somme de connaissances réunies dans ce volume serait difficilement accessible. On se réjouit donc de l’aide non négligeable ainsi fournie au lecteur.
La première partie, intitulée Les correspondances, reflets du pouvoir, reflets des mécanismes sociopolitiques du monde romain, donne des aperçus du fonctionnement de l’Empire romain. L’article de S. Benoist envisage ainsi la correspondance de Pline comme un élément de construction du pouvoir impérial, tandis que celui de J. A. Jiménez Sanchez, qui aborde quelques lettres de Symmaque concernant sa propre editio consularis, montre que celles-ci sont l’occasion d’une laudatio de Théodose Ier. Les lettres sont aussi une source fondamentale pour comprendre le fonctionnement administratif de l’Empire (cf. les articles de Ch. Hoët-van Cauwenberghe sur les lettres de promotion et d’affectation des fonctionnaires et de R. Haensch sur la correspondance des préfets d’Égypte). Le fonctionnement de l’Empire repose aussi sur des rapports de pouvoir intériorisés, à l’exemple du principe de l’amicitia, dont les codes épistolaires perdurent dans l’Antiquité tardive, comme le montrent les contributions de B. Cabouret (qui avait déjà participé à la première rencontre sur les correspondances) sur Libanios et de J. Desmulliez sur Symmaque et Ausone. Cette première partie est donc conçue comme un dialogue avec la thèse défendue par Fergus Millar, selon laquelle les relations épistolaires constituent un mode de gestion, au sens large, de l’Empire, au point qu’il est permis de parler d’ « un gouvernement par correspondance » (p. 5). Il s’appuie, d’une part, sur la correspondance officielle, administrative, que s’échangent les puissants au pouvoir, et, d’autre part, la correspondance privée dans laquelle sont exprimés des conseils sur la gouvernance.
La deuxième partie, intitulée Apports économiques, culturels et religieux des correspondances, insiste davantage sur la valeur documentaire des correspondances. Elle envisage la lettre comme une source de renseignements sur des organisations ou des pratiques locales (cf. les articles de M. L. Bonsangue et de A. Daguet-Gagey). Ces correspondances permettent aussi de reconstituer des réseaux de lettrés et leur activité (cf. l’article de Ch. Jolivet sur l’histoire de la philologie homérique à Rome et celui de S. Mratschek sur la circulation des livres depuis l’Italie du Sud par le biais de Paulin de Nole ; on notera la carte très intéressante, révélatrice d’une sorte de World Wide Web de l’Antiquité, p. 326). Cette partie compte aussi deux contributions dont la réflexion porte sur l’approche méthodologique des corpus de lettres (cf. D. Amherdt et M.-G. Bodart) et qui reviennent sur des évidences qu’il est toujours utile de rappeler : « l’enracinement dans un contexte concret est une caractéristique essentielle de toute correspondance » (p. 360).
La troisième et dernière partie est consacrée à la typologie des lettres et la constitution des recueils. « Composer une lettre, composer un recueil » – puisque tel est le titre de cette partie – relève toujours d’une intention qu’il convient de dégager. Ainsi, l’article de R. Glinatsis propose une autre lecture du statut des Épîtres d’Horace en interrogeant le rapport entre leurs destinataires et leur contenu philosophicoéthique. La contribution de L. Takács montre en revanche comment un épistolier cherche à construire son autoportrait en opposition avec la figure qu’il dessine par ricochet de son destinataire ; il s’agit en l’occurrence de Jérôme contre Augustin. B. Judic, dont l’article clôt le volume, propose l’une des interrogations les plus stimulantes de ce volume : pourquoi meton en circulation des recueils de lettres bien après leur rédaction ? Son analyse méthodique, elle aussi, repose sur les lettres de Grégoire le Grand et leur diffusion en particulier à l’époque carolingienne.
En ce qui concerne l’étude des correspondances, ce volume constitue un point de repère utile aussi bien pour les spécialistes de l’époque classique que pour ceux qui s’intéressent à l’Antiquité tardive. L’angle d’approche – constantes et mutations – permet une pratique comparatiste qui enrichit la compréhension de ces lettres, inscrites, au moment de leur rédaction, dans un Sitz im Leben auquel il convient toujours de se reporter. Il est à noter que les études portant sur l’épistolaire connaissent un renouveau en France depuis quelques années et adoptent en particulier cette approche comparatiste. Un groupe de recherche de l’Université de Tours, « Épistolaire antique et prolongements européens », est ainsi très actif dans ce domaine, organisant un colloque international tous les deux ans depuis 1998. Comme dans le volume édité par J. Desmulliez et al., études diachroniques et synchroniques sont associées pour une meilleure compréhension de ce fait littéraire que constitue une correspondance. On soulignera cependant que ces réflexions, à la différence des deux volumes édités par J. Desmulliez, se recentrent désormais sur un thème en particulier, et on signalera le dernier colloque paru, La présence de l’histoire dans l’épistolaire, F. Guillaumont et P. Laurence (éds.), PUFR, Tours 2012. L’étude diachronique des correspondances est aussi actuellement au cTmur d’un programme ANR-DFG, intitulé Epistola et mené par la Casa de Velázquez, le Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (UMR 7032, Poitiers) et l’Université d’Erlangen-Nürnberg. Le volume L’étude des correspondances dans le monde romain de l’Antiquité classique à l’Antiquité tardive : permanences et mutations est donc le reflet d’un courant historiographique particulièrement actif en France qui s’appuie sur diverses collaborations européennes.
Camille Gerzaguet
[[1]]1. On notera une coquille sur la page de garde
qui indique XXXe colloque, et non XXXIIe. [[1]]
[[2]] 2. Correspondances. Documents pour
l’histoire de l’Antiquité tardive. Actes du colloque
international, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3,
20-22 novembre 2003, Lyon 2009.[[2]]