En raison de leur contenu obscène qui faisait se voiler la face aux honnêtes gens, à cause également des fanfaronnades de leur auteur proclamant à l’envi sa rusticité, les Priapées pendant longtemps n’ont pas été considérées comme des objets dignes d’attention. L’équipe de recherches lyonnaise « Romanitas » pour lutter contre ces a priori a organisé une journée d’étude intitulée : « Priapus lectus : la valeur littéraire des carmina Priapea ». L’ouvrage dont nous rendons compte en constitue les Actes. Des neuf contributions ici publiées, il ressort que le recueil de poèmes n’est pas un ramassis de pièces et de morceaux, mais que c’est un libellus construit, oeuvre d’un écrivain unique des débuts de la dynastie antonine.
L. Callebat, qui prépare une édition de ces vers pour la Collection des Universités de France, ouvre naturellement le feu avec « Les Priapées : éléments d’une problématique », où il envisage successivement l’histoire et l’établissement du texte, le matériau, les questions de traduction, le code littéraire : il y décèle « une oeuvre intellectuellement et formellement maîtrisée, marquée par un projet d’auteur, fondant sur l’exploitation du concept de simplicitas, sur la fonction modératrice de la uariatio et le choix d’une poésie dramatique son originalité linguistique et stylistique, tout en créant autour d’une divinité familière un exemple rare de merveilleux burlesque » (p. 31). Les autres articles illustrent différentes facettes de ces caractéristiques, du point de vue de la construction, du point de vue de la poétique et du point de vue de Priape. Dans « Les proèmes des Priapées et le problème de la datation du recueil », M. Citroni met en évidence les raisons qui conduisent à une datation postérieure à la publication du premier livre de Martial. R. Höschele (« Priape mis en abyme ou comment clore le recueil ») fait voir que le poème 68, le plus long du groupe, constitue une « mise en abyme » de l’univers priapique en même temps qu’il sert de transition vers la section finale où divers éléments comme l’impuissance de plus en plus évidente de la divinité, le thème de la vieillesse, celui de la clôture, etc., rendent sensible l’approche du terme. En s’appuyant sur d’excellentes analyses de vocabulaire et de versification, « Épigramme et uariatio : Priape et le cycle des dieux (Pr. 9, 20, 36, 39, 75) » de D. Vallat attire l’attention sur l’existence dans la collection d’un cycle de poèmes à l’intérieur duquel se manifeste la présence de diptyques dont les seconds éléments sont écrits en fonction des premiers, l’auteur cherchant chaque fois à surprendre le lecteur par « une forme renouvelée ou inattendue » (p. 81), procédé qui ancre ce travail dans le genre épigrammatique. Le poète s’y divertit à écrire « un discours à la fois brillant et volontairement creux », se moquant en même temps de Priape et du lecteur qui « se laisserait prendre aux sirènes de cette magnifique imposture » (p. 82). Pour rendre manifestes les divers effets de l’intertextualité, C. de Miguel Mora scrute « Catulo en los Carmina Priapea ». Au terme d’un minutieux examen rhétorique et rythmique (« Priapus gloriosus : poétique d’un discours compensatoire »), E. Plantade se demande si le dieu de Lampsaque n’est pas ici une « allégorie de la poésie elle-même, qui ne peut rien sinon par son oralité, par la saveur que nous offre son langage » (p. 118). L. Chappuis Sandoz se penche sur les jeux de lettres, jeux de mots, devinettes, charades, etc., dans trois poèmes qu’elle a sélectionnés (« P dico : les lettres et la chose (Pr. 7, 54 et 67) »). Elle suggère d’interpréter les menaces de pedicatio comme un manifeste littéraire du genre priapique en conflit avec la poésie académique. Quant à M.-K. Lhommé, elle étudie les « Constructions cultuelles dans les Priapées : la séquence centrale Pr. 40 – 42 » et conclut que plusieurs Priapes et plusieurs constructions cultuelles s’y mêlent et s’y superposent. Dans la dernière contribution, « At non longa bene est ? Priape face à la tradition du discours critique alexandrin », E. Prioux interprète les emprunts des Priapées au vocabulaire de la critique littéraire et artistique comme la volonté de développer un discours, spirituel et original, reposant sur la subversion des théories esthétiques élaborées dans l’Alexandrie du IIIe avant notre ère.
Chaque contribution est suivie d’une bibliographie particulière. Le perfectionnisme a poussé E. Plantade à y ajouter une « Bibliographie essentielle sur les Priapées ». L’ouvrage se termine par trois indices (des auteurs et citations, des noms propres, des notions).
Celui qui se proclamait « le plus nul des poètes » a bien de la chance : il a trouvé les plus astucieux des commentateurs !
Lucienne Deschamps