La céramique à paroi fine constitue un grand classique des matériaux trouvés sur les sites antiques de la fin de la République et du Haut-empire. Elle a fait l’objet dans les années 70’ de plusieurs essais typologiques, celui de M T Marabini Moevs en 1973 (The Roman Thin-Walled Pottery from Cosa 1948-1954), de F. Mayet en 1975 (Les céramiques à paroi fine dans la Péninsule ibérique) et de Ricci en 1985 (dans Atlante delle forme ceramiche II), sans oublier un très grand nombre de publications. Comme cela est également rappelé dans l’introduction ces trois monographies, toujours utiles, manquent en revanche d’une analyse technique des céramiques dont la fonction de vases à boire constitue le trait commun le mieux identifié.
Il n’est donc point étonnant que cette catégorie soit bien représentée dans les fouilles de Musarna avec plus de 25000 testons inventoriée, correspondant à 2511 NMI, soit 21% des céramiques, « distancée » uniquement par les vases avec vernis noir qui regroupent pour leur part 40% des NMI. Cette agglomération de Musarna, créée à la fin du IVe siècle avant Jésus Christ sur le territoire de Tarquinia, a fait l’objet d’une vingtaine de campagnes de fouilles depuis sa redécouverte, suite à des travaux agricoles, en 1986. Celles-ci ont été réalisées par une équipe de l’école française de Rome dirigée par Henri Broise et Vincent Jolivet. Trois ouvrages ont déjà été publiés dans la même collection de l’EFR, ainsi qu’un nombre respectable d’articles et de communications mais en dehors d’un trésor monétaire pratiquement aucun matériel n’avait fait jusqu’alors l’objet d’un examen systématique. Ce travail issu d’une thèse soutenue à Aix en Provence en 2014 mais profondément remaniée constitue donc un élément fondamental pour la connaissance du site. Il s’appuie principalement sur les découvertes réalisées dans quatre secteurs, les bains, la domus, le marché ainsi que la nécropole républicaine. Après une rapide présentation du site, un assez long chapitre est consacré à la méthodologie suivie. Les questions de vocabulaire et d’organisation de la recherche font l’objet d’un chapitre complet pour expliquer les différents classements opérés : matériaux utilisés (trois « matrices argileuses» définies selon que la pâte est calcaire ou non, voire indéterminée), techniques de fabrication (sept « groupes techniques » sont identifiés d’après le type de cuisson, le tournage, la présence ou non d’engobe ou de décor etc.) et enfin une typologie (50 formes recensées) permettent d’organiser le classement rationnel de tout ce matériel.
Depuis longtemps et en particulier depuis le travail de Marabini sur Cosa, on sait que cette catégorie de céramique a été créée en Étrurie méridionale. Un des enjeux majeurs de ce travail était de vérifier à travers les découvertes de Musarna s’il s’agissait bien de productions locales, c’est à dire du territoire de Tarquinia, s’articulant ou non avec des productions régionales d’Etrurie méridionale comme Cosa, voire beaucoup plus lointaines en raison de la multitude des sites de découvertes éparpillés dans le territoire contrôlé par Rome. Plus que les formes, ce sont les différences techniques qui permettent d’affirmer l’existence d’ateliers locaux au moins dans les phases les plus anciennes, même si aucun n’a été formellement identifié, avec une diffusion maritime sur le littoral tyrrhénien. Par la suite on relève une diffusion beaucoup plus grande des ateliers accompagnée d’une réduction sensible du répertoire des formes. Pour cela, après une présentation de la typologie des formes et des décors qui occupe les pages 61 à 225 soit plus de la moitié du volume, l’auteure propose de définir quatre lots stratigraphiques combinés à une analyse des formes et des fréquences qui occupent la quatrième partie. Ceux-ci sont définis à partir d’une analyse sérielle (analyse sémiologique de Jacques Bertin) pour proposer une analyse statistique et chronologique à partir des combinaisons les plus fréquentes car les unités stratigraphiques directement exploitables à ce propos sont inexistantes en raison des perturbations innombrables qu’a connues le site et seule une partie de ces US a pu être utilisée.
A partir de ces quatre lots propres à Musarna et de comparaisons formelles extérieures ont été définis « cinq assemblages », la raison de la différence entre ces deux nombres n’étant toutefois pas plus clairement justifiée. Chacun de ces assemblages correspond en effet également à une « période » mais possède des caractéristiques propres non seulement techniques (apparition des pâtes calcaires par exemple dans l’assemblage 4) mais aussi morphologiques. Sur ce point l’auteure met en avant les éléments qui ont pu influencer les potiers soit à partir des précédents locaux, soit à partir de modèles extérieurs de peu antérieurs, voire contemporains, empruntés au monde hellénistique oriental, particulièrement à Pergame. C’est ainsi que les vases métalliques et les verres hellénistiques jouent un rôle décisif pour le premier assemblage, rôle qui va aller régulièrement en diminuant dans les suivants au point de disparaître complétement dans le quatrième. Inversement ces vases à paroi fine d’Etrurie méridionale ont servi de modèle pour des productions extérieures à la région de Tarquinia et la recherche des « comparaisons » constitue un axe fort intéressant de ce travail. De même l’auteure récuse à propos de possibles influences celle des céramiques à vernis noir comme plus tard celle des céramiques arétines. Avancées avec beaucoup de prudence une proposition chronologique conclue chacun des cinq chapitres consacrés à l’étude de ces assemblages, en rapport avec la diffusion de produits issus de l’agriculture à commencer par le vin. L’auteure rajeunit ainsi l’assemblage 1 au dernier quart du IIe s., soit 40 ans plus tard que les conclusions de Maribini mais en conservant une vingtaine d’années d’avance pour Cosa (p.244). L’assemblage 2 concerne le premier quart du Ier s., l’assemblage 3 débuterait après 45 av. J.-C., sans terminus bien défini, l’assemblage 4 peut être placé entre 15 av. J.-C. et la mort d’Auguste, enfin l’assemblage 5 caractérise la fin de la période augustéenne et surtout le règne de Tibère mais montre surtout une réduction très sensible des ateliers régionaux. Au-delà il n’est plus possible défaire état de productions locales.
L’ouvrage est très correctement rédigé, même s’il reste quelques coquilles (en particulier p. 6-7) et se lit aisément. On remarque notamment la rigueur avec laquelle la méthodologie utilisée est présentée et la clarté des résultats obtenus. On ne peut passer sous silence l’excellent travail graphique qui complète efficacement le texte. Non seulement les dessins des vases eux-mêmes et les photographies des tessons ou des vases plus complets sont plus que corrects mais les nombreuses cartes de répartition sont également parfaitement lisibles. De même la qualité des figures à plusieurs entrées insérées dans le texte permet sous forme ramassée de visualiser facilement le nombre d’artefacts concernés pour chaque type présenté. Les tableaux de chiffres sont tout autant significatifs en reprenant pourcentages et chiffres bruts de façon systématique et l’ensemble permet, en définitive, de se dispenser d’un catalogue exhaustif qui aurait pris beaucoup de place et que l’on doit pouvoir retrouver dans les archives de la fouille en cas d’extrême nécessité ! La seule remarque un peu négative concerne la bibliographie ou plus précisément son utilisation. Quantitativement elle est très abondante, à juste titre certainement. Malheureusement, si elle a été certainement largement utilisée pour la réalisation de l’inventaire préliminaire, il n’en est pas de même dans le volume édité : pour chaque comparaison le lecteur dispose seulement du nom du site (voire seulement de la ville : Pompéi, Rome, Ostie…) et de la forme typologique concernée donnée en note, ce qui interdit toute vérification sauf pour des sites ou des épaves ayant fait l’objet d’un nombre réduit de publications.
Cet ouvrage apporte un éclairage renouvelé sur une classe de matériel très répandu dans les siècles centraux du monde romain même si Julie Léone reconnaît que plusieurs problèmes demandent des enquêtes complémentaires en particulier concernant l’analyse des pâtes pour préciser les provenances et parvenir ainsi à une meilleure définition des ateliers. Nul doute qu’en l’état il sera de la plus grande utilité pour tous les fouilleurs, particulièrement dans la partie occidentale de la Méditerranée.
Xavier Lafon, Aix-Marseille Université, IRAA UAR3155
Publié en ligne le 23 septembre 2022.