< Retour

Fin connaisseur de l’histoire militaire de l’Empire romain tardif, A.D. Lee propose ici une synthèse consacrée à la guerre dans le monde romain, dont le titre pourra sembler trompeur. En effet, les activités guerrières – la stratégie, les opérations, la tactique, le combat – n’y sont traitées qu’à la marge. Le projet de l’auteur est plutôt d’écrire « une histoire sociale de la guerre dans le monde romain », centrée sur « les relations entre les affaires militaires et d’autres domaines de la vie romaine, qu’il s’agisse de la politique, de l’économie, de la société ou de la religion ». L’objectif est donc de réinsérer l’histoire militaire dans le cadre plus large de l’histoire politique, économique et sociale de Rome. Ce choix amène A.D. Lee à considérer la guerre comme un fait social total, ce que d’autres synthèses d’histoire militaire ancienne, inspirées par l’école des Annales, avaient déjà pris le parti de faire, au moins depuis le manuel d’Y. Garlan sur La guerre dans l’Antiquité (1972).

C’est donc un plan thématique que suit l’ouvrage. Après avoir présenté les grandes phases de l’histoire militaire de Rome et les principales sources à disposition des historiens, l’auteur scrute successivement les attitudes fondamentales des Romains vis-à-vis de la guerre et de la paix (chapitre 1), les liens entre le service militaire, la citoyenneté et la propriété foncière (chapitre 2), les cadres matériels et juridiques du recrutement (chapitre 3), la question de l’exercice de l’autorité et du commandement (chapitre 4), la place de l’armée dans le cadre plus vaste de la société impériale et les rapports entre civils et militaires (chapitre 5), la place de la culture et des échanges culturels au sein de l’armée (chapitre 6), et enfin, l’expérience de la guerre, du point vue des militaires et des civils (chapitre 7). Chaque chapitre donne lieu à une brève mise au point diachronique, allant du milieu de l’époque républicaine à l’Antiquité tardive.

La problématique de l’ouvrage est double. D’une part, l’auteur considère que les paramètres sociaux de la guerre dans le monde romain n’ont pas fondamentalement varié au fil du temps. Cette attention portée à la continuité dans le temps long est une vraie valeur ajoutée du livre, ce d’autant plus qu’A.D. Lee maîtrise fort bien l’époque tardive, véritable parent pauvre des synthèses de ce type. D’autre part, l’auteur considère que la guerre a profondément marqué les structures politiques, sociales et économiques de la République puis de l’Empire. Elle est un élément central du système économique impérial, fondé sur la taxation des populations soumises et la réduction en esclavage des captifs. Elle est le moteur de l’intégration des populations du bassin méditerranéen à l’ordre romain. Elle a aussi profondément modifié la nature même de la politeia romaine si l’on considère que l’établissement de la monarchie impériale est la conséquence directe de guerres civiles qui étaient elles-mêmes conditionnées par le tropisme guerrier de la noblesse sénatoriale.

En définitive, ce manuel est une bonne introduction à l’histoire sociale du fait militaire romain. Il offre ainsi un complément utile aux classiques d’A.K. Goldsworthy (The Roman Army at War, 100 B.C.-A.D. 200, Oxford, 1996) et C.M. Gilliver (The Roman Art of War, Stroud, 1999), qui sont, eux, centrés sur les aspects techniques de la guerre romaine. Les sujets abordés sont trop vastes pour être traités autrement que par un survol des données historiques et archéologiques. C’est donc essentiellement une synthèse à destination du public étudiant que propose A.D. Lee, et je dirais même un companion à destination des étudiants anglophones tant la bibliographie en langue anglaise occupe une place écrasante dans les notes et les références rassemblées en fin d’ouvrage.

Maxime Petitjean, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), UMR 8167 “Orient et Méditerranée” Department

Publié en ligne le 17 décembre 2021