À l’instar des volumes de la collection Orbis Provinciarum des éditions von Zabern, cet ouvrage propose à un lectorat d’amateurs éclairés une synthèse sur une province romaine : la Lyonnaise. L’ouvrage, très illustré, comprend six chapitres précédés d’une introduction de quelques pages. Le premier, de nature historique, correspond à la création de la province (p. 18‑53), les suivants sont de nature archéologique : les villes (chap. 2, Les déséquilibres : les villes et l’urbanisation, p. 54‑125), les campagnes (chap. 3, Les déséquilibres : les agglomérations secondaires et les campagnes, p. 126-173), la vie économique et de la société (chap. 4, Les déséquilibres : la richesse et la pauvreté, p. 174‑231), la religion (chap. 5, Celtes, Romains et Gallo-Romains, p. 232-293), et enfin les mutations du Bas-Empire (chap. 6,Vers la dissolution de la province, p. 294-337). Viennent ensuite une courte conclusion, une bibliographie et une série d’indices.
L’introduction présente un état de la recherche qui repose sur un étrange constat (p. 15). L’auteur évoque en effet la difficulté d’écrire une synthèse sur cette province… du fait de l’absence de monographie déjà existante, ce qu’on attend justement de cet ouvrage…
Le chapitre 1 a pour ambition de chercher à percer le « mystère » de la création de la Lyonnaise. Sont abordés tour à tour la géographie, l’histoire du peuplement depuis la Préhistoire évoquée au travers de quelques généralités, puis le cadre administratif romain. Ce dernier point s’apparente à une présentation générale sur les institutions. Comment pourrait‑il en être autrement, la Lyonnaise, province impériale, étant finalement assez semblable aux autres provinces de ce type ? L’auteur conclut que le cadre géographique, aux multiples facettes et sans unité, n’a pas présidé à la création de la province. Celle-ci résulte d’un acte politique et émane des pouvoirs publics. Toutefois, il ne faut pas oublier, et cette dimension n’est pas mentionnée, que la Lyonnaise est aussi une création géographique résultant de la vision très simplifiée que les Romains avaient du pays. La carte de la Gaule établie par Chr. Goudineau à partir de la description des auteurs anciens est en ce sens éclairante et prouve que, dans l’esprit d’un administrateur romain, c’est bien la cohérence géographique qui a présidé au découpage ; chacune des provinces des Trois Gaules formant des figures géométriques proches du parallélogramme (Regard sur la Gaule, recueil d’articles, p. 487).
Le chapitre 2 a, pour sa part, trait aux villes. Quelques dizaines de lignes constituent une présentation faite de généralités, voire de banalités que l’on s’attendrait plus à lire dans un manuel pour étudiants de première année universitaire. Sont ainsi tour à tour traités les centres civiques (pour lesquels sont distingués les forums ouverts et les forums fermés), les remparts, les thermes, les édifices de spectacles ainsi que les temples. Ces pages se terminent par la mise en exergue des traits d’originalité de la province : les forums complexes, les cryptoportiques, les « théâtres-amphithéâtres » et les temples de tradition celtique. Mais il est finalement indiqué que ces monuments se rencontraient également dans les provinces voisines ! Vient ensuite la description de chacune des villes de la province, présentées selon leur importance présumée en très grandes villes, grandes villes et petites villes. Lyon a, logiquement, une place de choix. La présentation est touffue ; ainsi, on ne sait que penser de la réalité, ou pas, d’une occupation antérieure à la fondation de la colonie, l’organisation des métiers en collèges, présentée comme un fait exceptionnel, est surprenante et les informations fournies sont parfois contradictoires à quelques pages d’intervalles : ainsi, l’odéon de la colline de Fourvière est-il daté tour à tour de l’époque d’Hadrien (p. 68), puis du début du IIè s. (p. 72). Les découvertes récentes les plus novatrices sont évoquées en un ou deux mots, à l’instar de celles réalisées sous le pseudo « temple de Cybèle ». Est ensuite mentionnée Autun, ce qui oblige à des redites : généralités sur l’artisanat, le rempart, la parure monumentale, etc… Les petites villes (Feurs, Sens, Meaux, Lutèce, Chartres, Tours, Angers, Le Mans, Jublains, Rouen, Lillebonne, Evreux, Vieux, Bayeux, Rennes, Nantes, Corseul et Vannes) font chacune l’objet de quelques lignes et de quelques généralités. Il eut été préférable, pour éviter cet aspect « catalogue » répétitif, de faire ressortir quelques édifices particuliers. Tel aurait pu être le cas du forum de Feurs, seulement évoqué, qui n’est certes pas exceptionnel pour l’architecture des Gaules, mais qui est, dans l’état actuel de la recherche, un bel exemple de centre civique d’un chef-lieu de cité classique de Lyonnaise. On pense également aux thermes de Cluny, dont l’aspect imposant est évoqué, mais qui ne présentent, selon l’auteur, aucune originalité particulière. Il aurait été préférable de noter, au contraire, qu’il s’agit, après ceux de Trèves plus tardifs, des plus grands thermes des Gaules – étrange constat pour une ville considérée comme « petite » – et qu’ils ont pour caractéristique de présenter une fontaine monumentale en façade. On peut également s’interroger sur le classement proposé des villes : Chartres avec ses 200 ha est placée dans la série des « petites » villes, alors qu’Autun, de même superficie, appartient aux « grandes » … En guise de transition avec le chapitre 3, est évoqué le suburbium qui connaît un regain d’intérêt dans la communauté scientifique depuis quelques années. On restera dubitatif sur la conclusion qui prétend que la province n’a eu que peu de grandes villes, principalement situées à l’est ; le paysage rural y aurait été prédominant dès lors qu’on s’éloignait de Lyon et d’Autun. La province, comme ses voisines, était découpée en civitates possédant à leur tête un chef-lieu. Le monde urbain y était donc bien présent ; cette vision ne semble donc résulter que d’un état de la recherche.
Le chapitre 3 s’intéresse au monde rural. L’auteur évoque l’historiographie de l’habitat groupé dans les campagnes que l’on qualifie désormais d’ « agglomérations secondaires ». Cinq types sont alors définis. Les agglomérations à forum dont Alésia serait l’exemple le plus représentatif constituent le premier type. Il est dommage que la bibliographie la plus récente relative aux interrogations soulevées par un tel centre monumental digne d’un chef-lieu de cité ait été ignorée. Il est également regrettable que Bibracte soit à peine évoqué alors que ce site a récemment livré une des plus belles découvertes en matière d’architecture monumentale : le forum le plus précoce actuellement connu en Gaule. Les autres agglomérations sont classées au regard de leur fonction supposée : sites à trois fonctions (activités économiques, lieux de loisirs, sanctuaires), à deux fonctions (économie et loisirs ou économie et religion ou loisirs et religion). Il est bien présomptueux d’établir une telle classification pour des sites que l’on connaît au mieux au travers de quelques fouilles très ponctuelles. Dès lors que ces agglomérations sont mieux connues, on se rend compte qu’elles livrent une architecture publique (très simple ou plus monumentale) et que les activités économiques y sont fortement développées. Cette typologie a toutes les chances d’être erronée comme le laisse supposer le nom donné au dernier type, celui des « agglomérations encore inclassables ». Est ensuite décrit le peuplement dispersé : bâtiments publics ou centres de production parmi lesquels sont placées Roanne, pourtant qualifiée d’agglomération secondaire, ou la villa de Richebourg. L’habitat dispersé, des structures les plus simples aux grandes villae, fait l’objet d’une attention particulière. On s’étonnera de la place accordée (p. 162) aux enclos de Bretagne révélés par photographie aérienne et qui sont, aux dires mêmes de l’auteur, non datés. Le chapitre se clôt sur quelques lignes relatives aux paysages ruraux.
Le chapitre 4 traite des productions et de la société. Comme précédemment, les premières (agricoles ou artisanales) ne sont abordées qu’au travers de quelques généralités, présentées comme s’il s’agissait de spécificités. L’angle choisi paraît maladroit : il n’y a pas de véritables spécificités de la province et, dans bon nombre de cas (comme la viticulture dont l’étendue ne cesse d’apparaître au fil des découvertes), un discours identique pourrait être tenu pour les provinces environnantes. Il eût été préférable de prendre quelques sites significatifs par thèmes et de s’y appesantir, alors que ceux-ci sont, au mieux, simplement mentionnés. Vient ensuite le tour des voies de communication (terrestres, fluviales ou maritimes) et des échanges. On est parfois étonné par la candeur de certains propos comme ceux sur la solidité des ponts romains ou sur l’ingéniosité des Anciens capables de si bien utiliser les gués. L’organisation de la société fait alors l’objet de quelques pages avant que ne soient évoqués les loisirs et la vie quotidienne illustrée, entre autres, par l’iconographie des nombreuses stèles conservées à Sens. Ici aussi, les généralités, les lieux communs sont nombreux, comme la mention de lupanars, de tavernes, de bibliothèques et de gymnases dans les thermes. L’auteur reprend ainsi le brillant développement de J. Carcopino dans sa « Vie quotidienne à l’apogée de l’Empire » mais relatif aux thermes impériaux de Rome. La Gaule Lyonnaise, pas plus que les autres provinces voisines, n’a livré assurément ce genre d’aménagement.
Le chapitre 5 est consacré à la culture et à la religion. Même si ce chapitre est un peu mieux construit que les précédents, on y retrouve toutefois des généralités, notamment sur l’éducation, empruntées à l’ouvrage classique d’H. I. Marrou. Le panorama demeure également très global en ce qui concerne la religion.
Ici aussi, les monuments de la province les plus emblématiques ne sont que mentionnés ou font l’objet de quelques mots très généraux. Le plus développé, le sanctuaire du Verbe Incarné à Lyon, a droit à une page, mais la description y est embrouillée et la vision qu’en retire le lecteur reste floue.
Le chapitre 6 concerne la fin de l’Antiquité (IIIe-VIe s.). C’est l’histoire de la Gaule dans son ensemble qui y est principalement résumée ; la Lyonnaise n’y tenant qu’une part relativement faible. Là, comme ailleurs, l’archéologie ne trouve qu’une place maladroite qui mériterait une organisation plus rigoureuse.
Le volume se termine par une conclusion générale de plus d’une page où sont rappelées ce que l’auteur considère comme les spécificités de la province, mais qui pourraient toutefois être reproduites presque in extenso pour les autres provinces de Gaule.
Les chapitres 2 à 5 se terminent par une bibliographie spécialisée dont la pertinence peut être discutée : pourquoi mettre en avant la céramique et l’artisanat à Lyon ou le site de Bibracte dans le chapitre 2 ? Les deux premiers thèmes auraient été mieux placés dans le chapitre 4 qui a également pour sujet les céramiques. De même, on s’interroge sur le choix de retenir la photographie aérienne pour le chapitre 3 dédié aux campagnes alors que cette discipline n’y fait pas l’objet d’un traitement particulier. En revanche, la bibliographie sur la religion a bien sa place en fin de chapitre 5.
Ce livre se présente comme un « beau livre » de 358 pages, illustré tout en couleur. Le caractère du texte semble avoir été grossi et la mise en page du texte est lâche, peut-être pour accroître leur nombre et justifier un prix élevé (128 €). Le texte est souvent confus et l’analyse trop succincte. Le tout aurait mérité une meilleure relecture (p. 131 « des tentatives d’analyse ont été tentées »). Le même constat peut être dressé pour les illustrations qui ne méritent pas, pour la plupart, une pleine page, quand elles ne sont pas publiées deux fois (p. 229-230 ; p. 247 et 266). Leur qualité n’est parfois pas à la hauteur de l’esprit « beau livre » : certaines cartes sont illisibles (p. 167, 168, 169) et certaines photos de bas-reliefs (p. 215 à 218), comportent en leur centre une échelle centimétrique disposée à l’emporte pièce ; elles ne peuvent tout au plus qu’être des clichés de travail indignes de figurer dans un tel ouvrage.
Au final, le livre, tant sur le fond que sur la forme, est décevant. Pourtant, l’histoire et l’archéologie d’une province romaine peuvent toutefois être écrites. Pour s’en convaincre, on se reportera à La Gaule Narbonnaise de la conquête romaine au IIIe siècle apr. J.-C. sous la plume de P. Gros dont le hasard du calendrier des publications a voulu qu’il paraisse la même année.
Alain Bouet