Le volume contient les actes d’une table ronde internationale tenue à l’Université Bordeaux Montaigne le 15 novembre 2016. Il rassemble des articles composés sur trois thèmes : la confrontation des sources historiques (littérature, épigraphie, itinéraires) avec les données archéologiques ; les nouvelles méthodes d’étude et de leur application sur le terrain ; les nouveaux procédés et outils de publication et de valorisation du patrimoine routier.
Dans l’introduction, Francis Tassaux évoque pour commencer les rapports existant entre la carte et le viographe, dans le cadre géographique de la province romaine d’Aquitaine, étendue par Auguste jusqu’au voisinage de la Loire. Ce terme de viographe, indique-t-il, désigne un chercheur se consacrant à l’étude des cartes existantes afin d’y trouver des traces de voies anciennes. Il présente ensuite un historique de la recherche portant sur ces dernières, laquelle remonte parfois au XVIe siècle, tout en précisant la méthode suivie par elle, à savoir une consultation initiale des cartes, suivie dans certains cas de vérifications sur le terrain, et enfin d’une confrontation avec les sources antiques. Il évoque les grands noms du XXe siècle ayant marqué ce domaine de recherche, d’abord Albert Grenier, dont la synthèse a servi de modèle jusqu’au début des années 1970, puis Raymond Chevallier, qui a apporté un nouvel élan avec son recours à la photographie aérienne, accompagné et suivi en cela par René Agache et Jacques Dassié (on pensera aussi à René Goguey), puis par des émules dont Alain Leday, Jean Holmgren ainsi que Jacques Dubois, et a mis en oeuvre une méthode comprenant un va-et-vient entre photographies et cartes, une étude des distances entre points remarquables, des interprétations toponymiques (parfois excessives) et des sondages archéologiques, au demeurant trop rares à son époque, sauf dans le Limousin avec J.-M. Desbordes. Francis Tassaux procède ensuite à une exposition des nouvelles approches, et signale les performances en hausse de l’archéologie routière ainsi que l’élargissement de la problématique aux abords des voies. L’introduction se termine par une évocation des nouveautés en matière de projets, d’outils techniques, de possibilités ouvertes, de besoins auxquels il est désormais répondu, et des nécessités apparaissant dans ce nouveau cadre de constantes mises à jour des acquis. Dans les pages suivantes, un groupe d’auteurs, Florence Verdin, François Didierjean, Clément Coutelier et des collaborateurs, présente et commente les nouvelles approches et les résultats récents concernant les routes protohistoriques, romaines et médiévales d’une Aquitaine cette fois réduite au Médoc et aux Landes. Leur article met l’accent sur le renouvellement des instruments d’analyse, les innovations technologiques tant matérielles que logicielles, les performances en progrès constants, et fait état de l’appel à des entreprises privées et à l’IGN. Il a ainsi pu être repéré des tumulus et des itinéraires protohistoriques, parmi lesquels des cheminements littoraux ayant révélé une forte fréquentation, en rapport avec l’exploitation du sel. Les auteurs conviennent toutefois qu’il subsiste des difficultés pour les datations et terminent par le souhait de continuer à développer les investigations en faisant appel aux nouveaux moyens.
L’article qui suit, réalisé par Isaac Moreno Gallo, se consacre aux routes romaines situées en Castille et en León, et à leur identification sur l’application WebGIS, qui donne accès au Geographic Information System, ou Système d’Information Géographique. De ces routes, qui apparaissent à cet auteur comme répondant aux besoins d’une civilisation où chevaux et chariots tiennent une grande place, il décrit les procédés de construction observés, la méthode suivie pour leur identification dans les plaines et les montagnes, et le parcours de la recherche, qui fait approfondir la compréhension du réseau routier de cette région. Davide Comunale consacre ses pages à la période médiévale, et à la Sicile avec les routes Francigenae. Il présente les sources disponibles, des diplômes datés du XIIe et du XIIIe siècles, et décrit ensuite, avec plusieurs illustrations cartographiques précises et claires, les parcours de ces routes. Il évoque pour finir un projet de recherche en cours, nommé Magna Via Francigena, qui a commencé par une étude des sources historiques et documentaires, et a consisté ensuite à rassembler les données fournies par les associations locales qui ont travaillé sur les parcours, puis à effectuer une reconnaissance systématique des différents tracés, en procédant à un constant travail de divulgation des résultats d’une manière qui garantit la capacité d’un dialogue avec le public et la possibilité de communiquer des données scientifiques d’une manière accessible à ce public, un souci très louable.
Patrizia Basso expose les recherches récentes effectuées sur la voie Claudia Augusta, nominalement connue grâce à deux milliaires, qui va de l’Italie du Nord au nord-est des Alpes. Les prospections et les fouilles récentes ont offert des résultats sur sa structure, et ont fait découvrir le long de son tracé des vestiges, dont des sépultures, datés de la fin du Ier siècle a.C au début du IIe p.C. Elles ont également montré une continuité d’utilisation jusqu’au IVe siècle et un abandon avant les VIIIe-IXe. Il est également apparu ou s’est confirmé que les tracés mettaient à profit les caractères du sol, avaient parfois recours à des remblais, empruntaient des pentes, mais sans passser par des sommets. La conclusion exprime une nécessité d’intensification dans les prospections et les fouilles sur les voies anciennes. Concentrant ses regards sur la région italienne Frioul-Vénétie Julienne, Davide Gherdevich rend compte des analyses spatiales et des études concernant le développement des réseaux routiers anciens qui la sillonnent. Il expose un projet de recherche sur le Frioul lombard, faisant usage de toutes les sources de connaissances existantes, de la cartographie historique aux technologies les plus récentes, dont celles liées à la photographie aérienne, et partant du fait que l’occupation de ce territoire par les Lombards, arrivés en 564, reste mal connue. Sauf pour leur capitale, Cividale, et des nécropoles, il existe peu de données récentes. Dans le but de reconstituer le réseau routier d’alors, le projet met en œuvre plusieurs procédés, dont l’analyse du coût et du chemin le plus court, celle du champ de vision depuis Cividale et les castra identifiés sur le territoire, la recherche de l’altitude par rapport au niveau de la mer, celle des traversées de cours d’eau, l’évaluation des pentes, et aussi celle des coûts, l’ensemble utilisant la fonction “distance de chemin” du système logiciel ArcGIS : à son propos, Davide Gherdevich expose les paramètres et méthodes de calcul mis en oeuvre. Les pages suivantes présentent les résultats positifs obtenus dans les hypothèses de reconstruction du réseau routier, lesquelles rencontrent souvent des localisations de nécropoles et d’autres vestiges. L’auteur conclut en soulignant que les analyses effectuées fournissent des éléments d’un haut intérêt pour les travaux en cours et à venir, mais ne remplaceront pas les recherches archéologiques et l’étude des documents historiques.
L’article qui suit, de Vladimir Petrović, porte sur la voie romaine de Timacum Minus (Ravna) à Pautalia (Kyustendil, en Bulgarie occidentale), reliant la Mésie Supérieure et la Thrace, route étudiée à partir des apports de l’archéologie et des sources écrites dans sa traversée d’une région correspondant au sud-est de l’actuelle Serbie : un secteur dont l’intérêt se trouve accru par le fait qu’il s’agissait d’un secteur minier et d’une zone de contact entre deux provinces romaines de langue différente. Il détaille le parcours suivi, qui présente les traces d’une importante reconstruction sur l’itinéraire attendu de Philippe l’Arabe, décrit brièvement les structures antiques qui jalonnaient la route : stations, agglomérations, camps militaires et fortifications, présente les bornes milliaires et les inscriptions retrouvées dans sa proximité, revient sur les documents antiques, Itineraria et Table de Peutinger, en particulier sur les distances indiquées par eux, qu’il compare avec la réalité, et termine par des indications d’ordre toponymique ainsi que par des précisions sur plusieurs mutationes ayant fait l’objet de découvertes et d’hypothèses récentes. Pour finir, Sara Zanni consacre un article à la route d’Aquileia à Singidunum, Belgrade, étudiée dans le cadre d’un projet de recherche développé par Ausonius. Ce projet vise à une reconstitution aussi précise que possible de cette route d’une grande importance qui rejoignait le limes danubien. Les participants à ce projet y ont collectés toutes les données existantes, des sources livresques aux images satellitaires en passant par les prospections de terrain. L’auteure reproduit les parties de l’Itinéraire d’Antonin et de l’Itinéraire de Bordeaux concernant cette route, et décrit les informations fournies sur elle par la Table de Peutinger, expose ensuite la méthodologie appliquée, analyse de la cartographie moderne, des études précédentes, et des données récemment apportées par la télédétection, l’ensemble des acquis et des hypothèses élaborées ayant conduit à la création d’un SIG destiné à alimenter et à faciliter les prospections et les vérifications de terain, reconnues comme indispensables à plusieurs égards précisés dans le texte. Puis Sara Zanni expose les moyens informatiques utilisés pour mettre à la disposition de la communauté scientifique les produits de cette recherche, sur les plateformes libres d’accès AdriAtlas et IllyrAtlas, en cours d’élaboration. Elle évoque enfin son projet de parcourir cette route à pied, selon la manière des Romains, pour un contact plus étroit avec elle et les habitants de ses abords, un projet ayant reçu le nom de Viatores. En conclusion, elle dresse le bilan en matière de fiabilité des données acquises durant la première année des travaux entrant dans le cadre du projet Ausonius : pour un peu plus de la moitié d’entre elles, elle apparaît bonne ou très bonne.
L’ouvrage se termine par un index des sources livresques, cartographiques et épigraphiques (où il aurait été utile de préciser les éditions utilisées, toutes n’offrant pas la même qualité scientifique, afin de recommander les meilleures), puis un autre, des noms propres géographiques. On regrettera l’absence d’un troisième, d’une utilité récemment apparue, qui aurait rassemblé et développé les acronymes informatiques rencontrés au fil des pages.
Pour conclure, les contributions rassemblées dans le volume couvrent chacune des régions différentes, mais se montrent thématiquement proches et concordantes, ainsi que l’annonce le titre du livre : recours aux sources, nouvelles observations, résultats des recherches, méthodes et moyens tant en en cours qu’en prévision, évaluation des acquis, publication et mise à disposition des données acquises grâce à l’informatique et à la mise en ligne. On soulignera que chaque article se trouve enrichi d’illustrations et de cartes nombreuses, et suivi d’une abondante bibliographie. Les articles rassemblés apportent de nombreuses données et hypothèses nouvelles sur les routes situées dans les régions dont ils traitent. Le lecteur observe une mise en lumière des gigantesques changements intervenus depuis l’époque de parution du seconde édition du livre de Raymond Chevallier, déjà marquante alors, et des magnifiques progrès dans la recherche dus à ceux de la technologie et à l’informatique, dans les capacités d’observation, sur le terrain, en hauteur, dans les ordinateurs utilisés par les chercheurs. Et l’ouvrage ne nous présente et commente en réalité qu’une étape dans une progression qui va se poursuivre. Les logiciels de mémorisation, d’exploitation et de visualisation des données permettent différents niveaux entre la vision synthétique, globale, et celle des détails les plus précis, et donc de plus en plus nombreux. Ils offrent une liberté d’accès grâce à internet, mais créent une grande dépendance par rapport à une technologie de plus en plus complexe, et qui risque de devenir de moins en moins accessible à un lectorat de chercheurs non étroitement spécialisés dans un domaine. Or l’accessibilité à différents niveaux et pour différentes spécialités dans la recherche reste la condition pour le meilleur partage des données. De multiples et forts avantages, mais aussi quelques sources de possibles difficultés. Les auteurs des articles présents dans ce volume se montrent conscients de ces différents aspects, dans une publication qui apparaît pleine d’intérêt et d’une lecture stimulante.
Robert Bedon, Université de Limoges
Publié en ligne le 11 juillet 2019