Cet ouvrage porte sur la partie qui concerne l’Afrique de la lex agraria du 111 av. J.-C. En effet cette lex concerne l’Italie (l. 1-42) l’Afrique (l. 43-95) et Corinthe (l. 96-105). Elle se trouve dans la Tabula Bembina, provenant de la région d’Urbino, dans les Marches.
L’auteur commence par expliquer son plan et il fait un résumé de l’ouvrage (p. 9-22). Ensuite, il se lance sans solution de continuité dans la discussion sur l’identification du texte, qui s’avère compliquée par son caractère lacunaire : il est convaincu du fait que cette lex agraria est la loi-plébiscite du tribun de la plèbe Marcus Baebius. Selon lui, il s’agit d’une loi-cadre pour l’Africa. Il présente de même à ce moment et de manière succincte l’historiographie concernant l’établissement du texte et expose de façon résumée les grandes lignes de sa propre version du texte. Il divise son interprétation de la loi par en-têtes (p. 13-17). La bibliographie et les principes de publication viennent conclure ce premier et bref chapitre.
Le gros de l’ouvrage est divisé en deux parties, on peut considérer la première (p. 25-109) comme la synthèse. La deuxième (p. 111-136), de son côté, se consacre à l’établissement du texte. L’auteur préfère ainsi rentrer dans le vif du sujet, son ouvrage étant adressé à des spécialistes. Il s’attend à ce que le lecteur connaisse préalablement cette lex agraria.
La première partie est divisée en trois sous-parties : I. La terre ; 2. Les hommes ; 3. Le droit. Dans la sous-partie consacrée à la terre (p. 25-57) l’auteur divise les points importants de la loi sur la terre:
- a) Terre publique qui a été ou sera privée, assignée aux colons ou bien vendue.
- b) Terre publique qui doit le rester
- c) Terre assignée à des autochtones
L’auteur considère sur le premier point que la terre assignée aux colons n’était pas soumise au uectigal. Sur le troisième point, il pense qu’il ne s’agit pas d’une terre assignée à des autochtones, mais de terres privées des autochtones n’ayant aucune redevance envers Rome. Il prouve par moyen des cartes cadastrales (p. 28-30) que la cadastration des terres proches des peuples autochtones cités dans la loi n’est pas une centuriation romaine et donc que ces terres ne sont pas celles qui ont fait l’objet de donations à des alliés de guerre (p. ex. Utique).
Par la suite, l’auteur interprète ce qui est introduit par le fragment extra eum agrum locum comme ‘les cas particuliers’ et il en dresse la liste (p. 33) et ce qui est introduit par ceterum agrum locum comme la terre publique non privatisée. Il développe ces “cas particuliers” de p. 33 à p. 54, ensuite il s’occupe de “la terre publique en location”.
1-Les cas particuliers
Ces “cas particuliers” sont développés de façon inégale, les plus importants étant le 1 et le 7. Concernant le cas 1, “la terre des colons et des inscrits comme colons”, la question se pose de savoir s’il s’agissait des terres sous le régime dominium ex iure quiritum ou bien des agri priuati uectigalisque. L’auteur affirme que l’on n’a pas assez de données pour affirmer l’un ou l’autre. Il pense que s’il y a une terre privée et, en même temps, vectigalienne il s’agit en effet d’une terre privée, mais vendue publiquement à Rome et ensuite échangée par le duumvir. Pour lui, la terre du colon et de l’inscrit comme colon constitue une propriété et non une possession.
Concernant le cas 2, “les peuples libres”, l’auteur se demande pour quelle raison on s’occupait de leur cas. Avait-il eu des abus de pouvoir ? Pour quelles terres ? Il pense que l’on s’était emparé de terres ancestrales des peuples libres. Le duumvir devait donc assigner aux citoyens romains les terres occupées par eux et donner en compensation d’autres terres aux peuples libres.
Le cas 3, s’occupe des “perfugae”, le 4 des enfants de Massinissa, le 5 de la terre privatisée non échangée, selon l’auteur elle sera redevable du uectigal. Le cas 6 est consacré à la terre assignée aux stipendiaires (p. 44), le stipendium étant l’impôt payé directement à l’état par un individu qui s’est vu octroyer une terre par le vainqueur dont il avait pu être auparavant propriétaire. L’auteur ne dit rien sur le texte transcrit.
Le cas 7 porte sur la terre où fut Carthage (p. 44-51). J. Peyras pense que non seulement la ville, mais toute la cité avait été condamnée. Il mentionne les l. 81 et 89, mais cette dernière ne parle pas de la partie urbaine de Carthage. Il considère que l. 81 le mot oppodum n’équivaut pas non plus forcement à la partie urbaine. Comme il considère que non seulement la partie urbaine fut maudite (ses arguments se trouvent p. 46-49), il se demande pourquoi mentionner la partie urbaine. Il s’appuie sur Macrobe, entre autres pour dire que toute la cité était concernée. Selon lui, l’oppidum désigne dans la loi (l. 85) une entité civique qui inclut la campagne.
Le cas 8 porte sur les Italiens. Il s’agit de combattants à la IIIe guerre punique selon l’auteur. On donne aux acheteurs italiens de la terre publique en échange de celle qu’ils ont achetée. Mais si l’acheteur avait le droit de cité, il garderait la terre achetée et non une autre. Cette nouvelle terre deviendra privée et redevable du uectigal.
2- La terre publique en location
C’est-à-dire ceterum [agrum locum quei in Africa est = tout le reste de terre et lieu qui est en Afrique.
Selon l’auteur, le citoyen, le rallié, l’allié latin qui le voudra louera en payant le uectigal, la dîme et le droit de pâture. Le citoyen romain sert de référence pour les redevances, tout locataire paye le même impôt qu’un citoyen romain. L’auteur insiste sur le fait que les habitants détenaient la terre en tant que possession et non en tant que propriété lorsqu’elle était vendue.
Le locataire paye sa redevance à l’état romain directement. Il pouvait exploiter le terrain de façons différentes : avec des esclaves ; métayage ; affermage à des paysans ; direction personnelle ; nomination d’un fermier à court terme ou perpétuel ; nomination d’un administrateur de bien-fonds ; constituer une societas. La surface louée, en effet, n’était pas limitée.
L’auteur conclut ce chapitre en affirmant que cette loi a fortement structuré l’espace de la future Africa uetus. Elle permet l’occupation de 3000 km2. Elle voudrait résoudre une situation chaotique, mettre fin à la confusion qui générait des troubles et des pertes. L’auteur veut que la loi minimise le nombre de communautés autonomes dans la région.
Dans la sous-partie consacrée aux hommes (p. 59-84) l’auteur se demande pourquoi autour de Carthage fleurissent aussi peu de cités au début de l’époque romaine. Il souligne que le grand nombre de cités dans la province d’Afrique est un phénomène tardif, antonino-séverien. Selon lui, la loi agraire peut expliquer l’absence dans les époques précédentes. Il se demande si d’autres communautés étaient mentionnées dans la pierre à part celles que l’on lit.
Il se consacre d’abord aux alliés de Rome. Son observation sur le fait que Thimida Regia et Zama Regia sont ainsi surnommées parce que Scipion les avait accordées aux enfants de Massinissa est intéressante. Deuxièmement il se consacre aux vaincus. Selon l’auteur, les latifundia africains viennent des villes qui ont été rasées lors de la IIIe guerre punique. Leurs habitants sont devenus des esclaves. Dans les villes non rasées se trouvaient les stipendiaires qui étaient obligés de payer le stipendium et qui étaient nécessairement en situation d’infériorité face aux citoyens romains. Il y en a très peu d’homines stipendiarii, c’est pourquoi l’auteur croit que les cités d’époque punique étaient fidèles à Carthage et ont été effacées. Troisièmement, il s’occupe des citoyens romains. L’auteur n’en parle pas beaucoup, car il les a mentionnés auparavant.
En quatrième lieu, l’auteur se concentre sur le statut personnel des colons et des inscrits comme colons. Il se demande si les colons de la Colonia Iunonia Karthago étaient nécessairement des citoyens romains. C’est l’opinion des modernes, quitte à admettre que ce statut leur a été accordé seulement au moment de la déduction. D’autres sont plus sceptiques. L’auteur affirme qu’il s’agit de citoyens romains en se basant sur la formule ex iu[RE ROMA[no appliquée à la donation-assignation. En cinquième lieu il parle des socii et des Latins. On précise quel statut a l’acheteur. Si c’est un Latin, il ne sera aussi bien traité que si c’est un citoyen romain. L’auteur affirme que l’acheteur latin sera considéré comme ayant reçu une assignation, le bien sera grevé du uectigal. La loi veut que le duumuir examine si les acheteurs sont des Latins. L’allié ou Latin est traité pareillement que le citoyen romain concernant le uectigal, les decumae ou la scriptura dues au peuple romain ou au publicain, car il ne s’agit pas de terres destinées à des colons, mais de l’ager publicus qui avait appartenu aux cités détruites.
En sixième lieu on aborde le fait que les lois concernent des individus. Quel que soit leur statut, les locataires et acheteurs sont toujours considérés individuellement. Le sujet c’est des homines, il n’existe pas d’associations. En septième lieu, inversement, l’auteur s’occupe des societates. Il déduit en effet l’existence d’au moins une societas par le mot publicanus qui apparaît l. 73. Ils pouvaient percevoir l’impôt d’une terre privée et vectigalienne.
Comme conclusion de cette sous-partie l’auteur affirme que les communautés acceptées sont seulement les 7 peuples libres. Pour les transfugae et les fils de Massinissa, il ne voit que des prérogatives communes, mais ils ne constituent pas des sociétés, comme c’est le cas des publicains. Le reste se déroule à titre individuel.
Dans la troisième sous-partie, consacrée au droit (p. 85-109), une liste de lois et des magistrats mentionnés sur le texte est dressée. L’auteur reprend le débat sur l’identification de la loi étudiée, penchant pour une loi Baebia. Ensuite il analyse les lois précédentes mentionnées en suivant l’ordre du texte, mais parfois il saute en avant en cherchant des arguments qui expliquent les lignes dont il est en train de s’occuper. Il répète (p. 94) que la loi étudiée vise à régler exhaustivement les dispositions qui ont suivi l’application et la suppression de la lex Rubria.
En ce sens il y aurait eu une série de décisions clés : la confirmation de la donation-assignation faite aux colons par la loi Rubria ; l’assimilation à cette donation-assignation des achats à titre privé réalisés par les citoyens romains civils ; la transformation des lots coloniaux en ager priuatus uectigalisque par alliés et Latins.
Seulement p. 96 l’auteur donne une explication de ce que c’est la lex Rubria. Il se demande pourquoi la loi Baebia revient à plusieurs reprises sur les ventes publiques de terres africaines. Selon l’auteur, l’état romain voulait vendre les terres à des particuliers, car le nombre de colons prévus avait été dépassé. C. Gracchus et M. Flavius Flaccus, assassinés en 121 av. J.-C. avaient vendu des terres à titre privé.
D’autres lois mentionnées sont la lex Liuia (146 av. J.-C.) imposée à certains vaincus lors de la destruction de Carthage ; lex Sempronia dont on ne sait pas s’il s’agit d’une lex locationis censoriae (Mommsen) ou bien d’un plébiscite de C. Gracchus sur la taxation des terres en Africa ; une lex dicta de 115-114 ; une loi rejetée parce que contredisait la loi censoriale ; actes en faveur des enfants de Massinissa ; un sénatus-consulte. J. Peyras montre que la lex dicta (des censeurs) s’impose aux décisions de sénateurs, magistrats et promagistrats, mais pas au préteur “qui dit le droit à Rome entre les citoyens”.
La loi dont s’occupe le présent ouvrage, en définitive, résout des problèmes complexes. Elle remplace le lot colonial de la lex Rubria par une assignation individuelle. De même, elle intègre toute une série de lois précédentes.
La deuxième partie, bien plus brève que la précédente, s’intéresse à l’établissement du texte et à sa traduction en français. Celle-ci apparaît à gauche tandis que le texte original est à droite. Les notes occupent parfois plus d’espace que le texte. L’auteur y explique ses choix de restitution surtout par rapport aux autres commentateurs : Crawford, De Ligt, etc.
L’auteur mentionne la restitution “canonique” de Mommsen qui ne souhaitait restituer que ce qu’il considérait comme très probable. En revanche, dans cet ouvrage, il penche pour restituer le plus possible (voir particulièrement l. 58. ou l. 64-65) comme Crawford ou Johannsen. Ces explications arrivent un peu tard pour notre goût, puisque les conclusions ont été tirées précédemment.
Concernant les traductions, l’auteur tente de rendre l’ordre latin de l’hypotaxe. De même, la langue juridique l’oblige à être très fidèle au texte, mais le français en souffre. À titre d’exemple, le verbe correspondant au sujet principal c’est-à-dire “Le duumvir, qui…,” aurait pu être placé avant la phrase substantive faisant fonction de COD, plutôt qu’après, suivant l’ordre de la langue d’origine. Voir par exemple p. 92 (l. 90).
Les notes de bas de page sont garnies d’informations très détaillées au sujet de la langue latine juridique, par exemple l’explication de l’évolution du mot manceps. Les discussions sur l’établissement du texte et sur la réalité historico-juridique sous-jacente à la loi sont faites avec exhaustivité en apportant les avis de toute la bibliographie antérieure depuis le début du XIXe siècle.
En définitive, il s’agit d’un ouvrage de grand intérêt sur un sujet qui revêt une grande difficulté. Il est à lire avec deux pages ouvertes, celle de la synthèse et celle du texte traduit et noté, car les informations contenues se complémentent.
Hernán González Bordas, Université Bordeaux Montaigne, Post-doctorant LabEx
mis en ligne le 28 janvier 2016