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Cet ouvrage est le septième volume de la série des publications consacrées au site de Sagalassos en Turquie. Après la décoration architecturale romaine (L. Vandeput, SEMA 1, 1997), la céramique sigillée (J. Poblome, SEMA 2, 1998), la céramique commune (R. Degeest, SEMA 3, 2000), les ossements animaux (B. De Cupere, SEMA 4, 2001), la Chôra (H. Vanhaverbeke & M. Waelkens, SEMA 5, 2003) et la palynologie du site (M. Vermoere, SEMA 6, 2004), c’est au tour des nécropoles et des monuments funéraires des périodes hellénistique et romaine de Sagalassos d’être analysés.
Le livre comprend dix chapitres organisés de la manière suivante :
Le chapitre 1 comprend une longue introduction présentant le site (topographie, histoire), la méthode et les objectifs de l’étude, l’état de la recherche sur le funéraire ainsi qu’une présentation (utile) de la terminologie adoptée dans le volume. Cette dernière ne comporte qu‘une série de relevés de tombes de différents types (les tombes construites en sont absentes) accompagnés d‘une légende fléchée. Ce choix « à l’économie » paraît surprenant si l’on tient compte de la variété des tombes rencontrées et des nombreux problèmes liés à l’utilisation, parfois abusive, ou fautive, de certains termes architecturaux. La terminologie étant un premier pas vers le choix d’une classification typologique, en ce qu‘elle présente le vocabulaire utilisé pour cette dernière, une justification de ces choix aurait été la bienvenue.
Le chapitre 2, intitulé « Monuments funéraires et nécropoles », est consacré à la localisation des quatre nécropoles (nord, sud, est et ouest) et de quelques monuments isolés.
Le texte est accompagné de deux grandes cartes livrées avec le volume.
Le chapitre suivant est consacré à l’analyse de la fabrication des tombes, du matériau utilisé au procédé d’extraction et de taille, en passant par les techniques de construction. Cette section est particulièrement intéressante puisque nombre des ostéothèques et sarcophages du site sont issus des carrières locales, lesquelles recèlent encore plusieurs structures inachevées, révélant ainsi le processus de leur élaboration.
Le chapitre 4, le plus important (111 pages), présente l’étude typologique et chronologique des quatre types de tombes les plus répandus sur le site, à savoir ostéothèques, sarcophages, tombes construites et arcosolia. Chaque section débute par un argumentaire visant à justifier la création de telle ou telle entrée typologique. Suit une présentation des différents sous-types, dont chaque section est détaillée par les caractéristiques stylistiques du type considéré. L’A. fournit ici une étude très complète des structures. Il donne notamment de nombreux tableaux récapitulatifs offrant une vue d’ensemble des répartitions tant géographiques que typologiques des
monuments. Dans le texte, chaque détail est précisément décrit, examiné, compulsé et mis en parallèle avec les différents exemples présents sur le site. Les datations proposées par l’A. s’appuient essentiellement sur une analyse comparative des critères stylistiques rapportés à un corpus bibliographique étoffé. Les ostéothèques sont divisés en deux sous-type : les ostéothèques rectangulaires (en forme de petits sarcophages) et ceux en forme de vase. Les premiers apparaissent assez tôt à Sagalassos, au début du IIIIIIIIIe s. a.C., tandis que les seconds, plus tardifs, à guirlande ou à cannelure, ne sont produits qu’à partir de la fin de l’époque augustéenne. Ces derniers semblent remplacés, au cours du IIIIe s. p.C., par les sarcophages, qui imitent les types déjà connus d’Éphèse, de Dokimeion, de Prokonnèse ou encore d’Aphrodisias. C’est à la même époque qu’on commence à tailler les arcosolia, dans les façades rocheuses situées au nord de la ville ; tout comme on commence à ériger les fameuses tombes construites, divisées en édicule, tombe‑temple ou encore hexagone, qui connaîtront leur apogée à la fin du IIe s. p.C. et durant tout le IIIe s. p. C.
L’ensemble de l’analyse est bien mené, même si l’on note cependant quelques « coquilles », dont on peut se demander parfois si elles ne trahissent pas un problème de fond plus sérieux. Ainsi, le chapitre intitulé « Grabbauten » est subdivisé en « Memorialbauten » et « Grabbauten » (voir la remarque faite plus haut concernant la terminologie).
Quelques tombes mises au jour sur le site et dont le type semble isolé ne sont pas intégrées dans cette analyse. Il s’agit notamment d’une sépulture en urne, de tombes à chambre voûtées et d’une sépulture commune tardive. Elles sont toutefois présentées dans un chapitre distinct (5), avec une courte analyse et une proposition de datation (2 pages).
Le chapitre 6 comprend le seul passage dédié à l’interprétation des données récoltées dans ce volume. L’A. cherche ici à dégager les grands traits de l’organisation sociale de Sagalassos à partir de son analyse des monuments funéraires. Malheureusement, il ne semble pas avoir atteint son objectif : cette section est la plus courte de tout le volume (moins de 2 pages, dont une colonne et demie consacrée à la période hellénistique). Compte tenu de la masse d’informations traitées, on se serait attendu à une analyse plus fine de la situation sociale des habitants de Sagalassos. Or, l’A. se contente de mettre en parallèle le développement typologique des tombes et l’histoire politique de la Pisidie. L’analyse souffre, il est vrai, du manque d’inscriptions (quatre seulement on pu être repérées), mais la profusion des tombes permettait une analyse plus riche que celle proposée ici. Les données récoltées sur les monuments du site (dimensions, décor, géographie, topographie, etc.) offraient par exemple la possibilité d’effectuer une étude comparative des structures au sein d’une même nécropole.
De la même manière, le chapitre 7, qui recense les tombes mises au jour dans le territoire de la cité, offrait l’opportunité d’appréhender les rapports ville/territoire à travers le nombre des tombes, les types utilisés (d’autant plus que les types ruraux semblent beaucoup plus variés : tumuli, tombes en brique, cippes, colonnes, etc.) et leur chronologie.
On reste également sur sa faim en lisant le chapitre 8, consacré aux rituels liés au lieu d’ensevelissement. L’A. se contente en effet d’énumérer, sur trois pages, les traces de ces rituels : cuves à libation, support de dépôts votifs, reliefs représentant des processions, etc.
Il faut en fait attendre la longue conclusion (chapitre 9), pour lire la véritable synthèse du travail proposé ici. L’A. reprend l’analyse typo‑chronologique effectuée plus haut et présente les traits principaux du développement des tombes à Sagalassos. Les conclusions de cette analyse montrent que l’essentiel de la production de structures funéraires est compris entre le IIIe s. a.C. et le IIIe s. p.C., même s’il existe quelques tombes antérieures et postérieures à cette période. On apprend ainsi que les premières tombes du site semblent dater de la fin
du IVIVe s. a.C.
L’épais catalogue, placé en fin de volume, suit la division typologique proposée dans le chapitre 4. Il comprend une riche description méthodique de plus de 500 tombes réparties comme suit : 103 ostéothèques, 264 sarcophages, 129 arcosolia et 11 tombes construites. Bien que les textes soient relativement complets (dimensions, décoration, type), il aurait été utile d’y intégrer un repère chronologique.
Sur la forme, il s’agit d’un beau livre, dans la tradition des volumes publiés par Brepols. Le large corpus de photographies (553) est en général de bonne qualité. L’utilisation du volume est facilitée par la présence d’un index détaillé. On est, par contre, un peu perdu lorsque l’on cherche une information concernant un type particulier de tombe et sa datation : un schéma illustré récapitulatif du développement typo‑chronologique des structures aurait été plus qu’utile.
On l’aura compris, sur le fond, ce volume n’est pas dédié à l’analyse historique du site ou des populations de Sagalassos, comme le sommaire ou le court texte sur les objectifs (p. 7) auraient pu le laisser croire. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un excellent outil de travail pour quiconque est confronté sur le terrain à des structures funéraires comparables. En effet, l’analyse technique des membres architecturaux est complète, extrêmement riche et bien menée. À ce propos, on regrettera cependant le manque criant de relevés de structures dans un volume principalement destiné aux archéologues. Si l’on en trouve quelques-uns, ils sont soient anonymes, notamment dans la section consacrée à la terminologie, et l’on ignore de quelle tombe ou monument il s’agit, soit dispersés dans le texte, surtout dans la section des « Grabbauten ». On comprend aisément qu’il paraît impossible de présenter, dans une telle publication, l’intégralité des relevés des 505 tombes présentées dans le catalogue. Mais on aurait aimé voir quelques exemples des structures les mieux conservées, ou les plus représentatives.
Pour conclure, on ne peut qu’être admiratif devant la masse de travail fournie par l’auteur qui, en sept saisons sur le terrain (de 1994 à 2001), a réuni une documentation plus qu’impressionnante. Ce faisant, il permet non seulement de lever le voile sur le contexte funéraire d’une des cités les mieux conservées d’Asie Mineure, mais aussi d’enrichir massivement le corpus, réduit et dispersé, des tombes hellénistiques et romaines d’Asie Mineure. Enfin, il faut souligner la rareté de ce type d’études systématiques et être
reconnaissant à l’auteur d’avoir entamé une telle démarche, en espérant que les acteurs de la recherche de terrain en Turquie lui emboîtent le pas.

Olivier Henry