Dans son dernier ouvrage, Paulin Ismard défend une thèse forte, exprimée sans ambiguïté : « L’État n’a jamais existé dans la cité grecque que sous la forme purement négative de ses esclaves publics »[1]. De ce fait, il propose une réflexion aussi bien sur l’esclavage public que sur la polis. La lecture s’en trouve certes d’une part facilitée, puisqu’elle décline dans de nombreux aspects les conséquences d’une telle thèse, mais d’autre part compliquée par une ambiguïté terminologique et conceptuelle. En effet, lorsque Mogens Hansen, qui est ici convoqué, défend le modèle d’une cité-État, il le fait au nom d’une définition empruntée aux juristes. Pour la reprendre ou la récuser, il aurait fallu à tout le moins revenir sur l’enjeu que représente l’usage du terme État et donc sur la définition de ce dernier[2]. De manière significative, si l’introduction consacre un développement à l’esclavage, dans une perspective comparatiste, il n’est nullement fait référence à la problématique de l’État, alors même que celle-ci constitue un élément déterminant de l’argumentation[3]. Cet oubli n’est sans doute pas sans lien avec le projet global de l’ouvrage. Affichant comme sujet Les esclaves publics en Grèce ancienne, il est pour l’essentiel un livre sur la démocratie athénienne. Il n’est ainsi pas aisé de faire la part de ce qui relève d’un phénomène général et transpériode (« les esclaves publics » ou dêmosioi), ce que soutient un recours à l’anthropologie (« dépayser l’esclavage gréco‑romain »[4]) d’une part, et de ce qui appartient en propre à la « Grèce ancienne » (en général, Athènes) d’autre part. Paulin Ismard est du reste lui‑même obligé d’en convenir. Évoquant un exemple provenant d’Éphèse pendant la première guerre de Mithridate (88-86 a.C.), il doit reconnaître : « Une telle conception hiérarchique des statuts semble inconnue à l’Athènes de l’époque classique »[5]. Apparaît ici toute la difficulté d’un raisonnement engageant une hypothétique Grèce ancienne, rabattue le plus souvent sur des réalités athéniennes, construite par des exemples divers (tant par leur provenance géographique que par leur chronologie) mais contrastée par d’autres, présentés comme des contre‑exemples soulignant la singularité d’Athènes. Ouvrage publié dans une collection particulière, L’Univers Historique, aux éditions Le Seuil, nul doute que certains éléments discutés ici sont le produit de l’édition et non de l’historien Paulin Ismard. Comme le rappelle Gérard Noiriel, il ne faut pas négliger « le système des contraintes qui pèsent aujourd’hui sur tout historien qui entreprend de publier un livre »[6]. Or, cette collection n’hésite pas à publier des ouvrages dont le titre prétend explicitement remettre en cause les idées dominantes, les éditeurs semblant préférer parfois la thèse aux arguments qui la fondent[7]. Les échos contemporains d’un livre d’histoire ancienne intitulé La démocratie contre les experts sonnent à l’évidence comme une invitation à réfléchir aux contradictions éventuelles de la démocratie actuelle lancée à tout citoyen et toute citoyenne français-e.
Toutefois, Paulin Ismard a fait le choix délibéré d’intégrer les dits échos à son propos, voire même d’en faire une clé de lecture des réalités anciennes. Ce faisant, il nous oblige tout autant à débattre du contemporain que de l’Antiquité, débat dont le corollaire est le problème de la distance que l’historien-ne doit avoir avec son objet[8]. Il affirme ainsi que « la cité grecque ne peut offrir des ressources de sens que sur le fond d’un écart radical avec notre propre condition politique »[9]. Trois éléments sont pointés pour asseoir cette affirmation : des droits politiques restreints à une minorité ; les activités de production accomplies par les esclaves comme condition de l’activité politique du citoyen ; l’articulation étroite entre la récusation du principe de représentation politique et le recours à l’esclavage[10]. Cette considération en trois points doit s’entendre en creux comme une description des fondements de la démocratie contemporaine : les droits politiques sont accordés à la majorité ; la production de biens et de services est accomplie par les citoyens ; le principe représentatif, conséquence des occupations productives, dispense du recours aux esclaves. Pour le dire plus simplement, le prix de la démocratie directe serait le recours à l’esclavage[11]. Chacun de ces trois points mériterait un commentaire approfondi, ne serait-ce que pour montrer qu’ils ne vont pas de soi[12]. Il est toutefois possible de pointer la contradiction suivante. La reconnaissance de droits politiques à la majorité suppose de considérer que la dite majorité gouverne[13]. Or, comme l’a montré Bruno Karsenti dans sa lecture des Principes du gouvernement représentatif de Bernard Manin (1986), dans une démocratie représentative, les citoyens ne gouvernent pas[14]. Bien au contraire, ils sont gouvernés et leur pouvoir consiste seulement dans la désignation des gouvernants, désignation qui ne saurait être élaborée à partir de considérations sur le contenu du gouvernement à venir : « Le prix à payer pour que la liberté de choix devienne opératoire, c’est qu’il n’y ait rien à choisir qui soit vrai, absolument vrai, qui corresponde à une essence de la qualité du gouvernant, ou à une idée du bon gouvernement telle qu’une science du politique pourrait l’atteindre et l’exhiber à la pensée des hommes »[15]. Loin donc d’être le résultat d’une enquête dans les sources, l’altérité radicale de l’Athènes classique est une production mécanique de ce rapport incontrôlé au monde contemporain.
Il en va de même pour la notion d’expert qui, in fine, ne semble pas avoir d’autres justifications que celle d’une auto-intelligibilité postulée du présent[16]. Sont donc des experts « le dirigeant de la Banque centrale européenne, le directeur des CRS comme celui des Archives nationales, les inspecteurs du Trésor public tout comme les greffiers des tribunaux ». Certes, comme Paulin Ismard le reconnaît, il s’agit d’une « analogie boiteuse »[17]. Celle-ci permet néanmois d’ébaucher une définition impressionniste de l’expertise dans le monde contemporain[18]. L’expert serait un « ‘serviteur’ de l’État »[19]. Un problème apparaît alors. L’expertise désigne une position sociale tout autant qu’une compétence particulière. Elle suppose une connaissance, une reconnaissance et, dans une certaine mesure au moins, une méconnaissance de l’arbitraire qui la fonde[20]. Les dirigeants de la Banque centrale européenne sont-ils les plus compétents pour exercer leurs fonctions ? D’autres personnes ne seraient-elles pas tout autant compétentes, voire même plus ? Plus fondamentalement, de qui et/ou de quel principe ces experts tiennent-ils leur autorité ? Il est alors difficile de ne pas évoquer la question de l’État. L’expertise est une catégorie opératoire à partir du moment où il y a « un consensus sur le sens du monde »[21]. Elle ne saurait être acceptée sans un accord minimal sur ce qu’est un savoir expert et une compétence, c’est-à-dire sans un rite d’institution, « un rite qui institue une différence définitive entre ceux qui ont subi le rite et ceux qui ne l’ont pas subi »[22], diplômes, concours, etc. L’analogie invite donc à réfléchir à ce qui fait autorité. Pour le dire autrement, il convient d’interroger l’autorité, sinon le pouvoir, des esclaves publics dans la cité.
Paulin Ismard consacre à ce problème une grande partie de son ouvrage. Il adopte une approche nourrie par la notion foucaldienne de savoir/pouvoir qu’il historicise, puisqu’il souligne la rupture que représente l’avènement de la démocratie[23]. « En ouvrant l’accès de la participation politique au plus grand nombre, les régimes démocratiques instauraient […] de nouvelles relations entre savoir et pouvoir. La compétence héritée d’une longue familiarité avec le pouvoir était désormais impropre à légitimer l’autorité politique. Sans doute, dans certains domaines, l’expertise demeurait-elle indispensable, mais les valeurs du régime démocratique interdisaient que de telles charges soient confiées à une catégorie restreinte de citoyens. Les Athéniens préférèrent donc le plus souvent les attribuer à des esclaves, ce qui revenait en somme à reléguer cette expertise dans un ‘hors-champ’ du politique »[24]. Parmi ces domaines, une place importante est accordée aux activités de production, de conservation et d’utilisation des écrits publics. Toutefois, le plus souvent, les sources manquent pour décrire avec précision les attributions de tel ou tel dêmosios. La reconstitution de celles-ci ne va pas sans risque. Ainsi, affirme Paulin Ismard, « il est certain, par exemple, que la tâche d’archiviste supposait de rares qualifications : chargés de fournir différents documents aux magistrats à leur simple demande, les dêmosioi du Metrôon connaissaient précisément le contenu des actes publics qu’ils avaient eux-mêmes classés et, souvent, rédigés. Peu de citoyens étaient en mesure d’accomplir leur tâche »[25]. Cet exemple permet de faire apparaître la double tendance du raisonnement suivi et sur lequel la thèse défendue se fonde : la surestimation des tâches dévolues aux esclaves publics et la sous‑estimation des compétences des citoyens[26].
L’exemple de Nicomachos, anagrapheus c’est-à-dire commissaire chargé de la transcription des lois, en fournit une démonstration[27]. Il est qualifié de « seul expert que le droit athénien de l’époque classique ait jamais connu »[28]. Or, le plaidoyer à partir duquel il est possible de reconstruire cette affaire ne laisse pas de place au doute. Le reproche fait à Nicomachos ne porte pas sur sa charge mais sur le fait qu’il l’a utilisée pour outrepasser ses fonctions. « Il avait reçu mission de transcrire, dans le délai de quatre mois, les lois de Solon : il prit la place de Solon et s’institua législateur (nomothetês) ; au lieu de quatre mois, c’est six années qu’il fit durer sa charge ; au jour le jour, et contre argent comptant, il insérait tel article, effaçait tel autre. Nous étions réduits à recevoir d’une pareille main notre provision quotidienne de lois, et les parties en produisaient de contraires devant les tribunaux, disant toutes deux les tenir de Nicomachos »[29]. Ce qui revient à dire qu’en temps normal, l’anagrapheus n’est en rien un législateur, un expert, mais bien une petite main de l’administration de la cité, habile et compétente certes. Par ailleurs, et ce n’est pas le moindre problème posé par cet exemple, Nicomachos n’est pas un esclave public – il ne l’a jamais été –, il est citoyen[30]. Son père, certes, devenu citoyen tardivement, l’est pour autant pleinement. La fonction que Nicomachos exerce, anagrapheus, s’apparente donc à une commission, c’est-à-dire à une magistrature temporaire confiée à un citoyen. Selon toute vraisemblance, c’est en raison d’une certaine compétence en matière d’archivage qu’il a été désigné[31]. Il n’est du reste pas isolé et des magistrats chargés des écritures publiques, authentiques citoyens donc, ne manquent pas[32]. Les deux secrétaires (grammateis) dont les fonctions sont décrites par Aristote l’attestent de la manière la plus nette[33]. Le secrétaire « de la prytanie », tiré au sort à l’époque d’Aristote, exerce un contrôle souverain sur les archives, « il a la garde des décrets qui ont été votés, il établit une copie de tout le reste » ; « on tire aussi au sort un second secrétaire, préposé aux lois, qui assiste aux réunions du Conseil et qui, lui aussi, établit une copie de toutes les lois ». Le recours au tirage au sort manifeste que la compétence requise pour s’occuper des archives publiques n’était pas rare dans le corps des citoyens athéniens[34]. Il n’est donc pas possible de suivre Paulin Ismard lorsqu’il affirme : « Tout appareil bureaucratique ou administratif était appréhendé au mieux comme une regrettable nécessité, incompatible dans son principe avec l’idéal démocratique »[35].
C’est un autre pan de la thèse défendue dans cet ouvrage qui doit alors être repris. Pour reconstituer la manière avec laquelle les « Grecs » pensaient la fonction des esclaves publics, Paulin Ismard cite une inscription de la fin du IIe siècle a.C. à partir de laquelle il oppose deux expressions eleutheria leitourgia et politikê leitourgia, service libre et service de la cité[36]. Cette première formule qualifierait le travail de l’esclave public. Prenant appui sur le Politique de Platon, il affirme que les activités de service (hupêretikai) auprès des magistrats n’entrent pas dans le champ recouvert par le terme politikos. « La politique authentique ne saurait relever d’une expertise administrative, fût-elle ‘universelle’ : l’équation platonicienne ne fait en réalité qu’hériter d’un lieu commun partagé par les Grecs de l’époque classique et hellénistique et qu’elle traduit dans sa propre langue »[37]. Or, un passage de Démosthène indique qu’il n’en est rien. Évoquant le passé d’Eschine, l’orateur athénien rappelle que son adversaire fut un hypogrammateus, un sous-secrétaire, activité stipendiée à laquelle il associe les serviteurs de tous les magistrats (hupêrtountes hapasais tais archais)[38]. Le citoyen Eschine fut donc un serviteur de magistrat, chargé des écritures, sans être pour autant un esclave public[39]. Il est même plus tard élu secrétaire, une nouvelle preuve du lien existant entre la désignation à certaines magistratures et la compétence des individus qui concouraient aux suffrages des Athéniens.
Ce n’est donc pas à l’aune de l’expertise que l’idéal démocratique athénien peut être mesuré. Une pièce de Sophocle, citée par Paulin Ismard, indique une piste qui mériterait d’être prolongée, Œdipe roi[40]. Prenant appui sur la lecture foucaldienne de ce texte, considère que deux personnes possèdent un savoir complet sur l’assassinat de Laïos : le devin Tirésias et le berger, esclave royal. « Le savoir de l’esclave coïncide avec le savoir du dieu et tous deux délimitent négativement les frontières du savoir qui est en possession d’Œdipe et, plus largement, de la communauté civique »[41]. Le commentaire de Michel Foucault autorise pourtant une autre approche de cette tragédie. Si l’esclave apporte un témoignage décisif, la résolution de l’affaire ne passe pas uniquement par ce dernier. Dans cette pièce, « on a donc six détenteurs de la vérité qui viennent se regrouper deux par deux pour faire un jeu de moitiés qui se complètent et s’ajustent, s’emboîtent l’une dans l’autre. En quelque sorte c’est le jeu des six moitiés »[42]. La structure présente six moitiés, se regroupant deux par deux, pour constituer la vérité. Celle‑ci est dite par le dieu et le devin, par Œdipe et Jocaste, par les deux bergers. En outre, si l’esclave apporte un témoignage décisif, c’est parce qu’il a vu. C’est pour cette raison que le Chœur ne se contente pas de la parole de Tirésias[43]. Du reste, à ce moment‑là de la pièce, les apparences sont en faveur d’Œdipe[44]. Comme l’a bien montré Michel Foucault, Œdipe roi est une pièce qui pose la question de l’articulation entre vérité et pouvoir, bien plus qu’entre savoir et pouvoir[45]. La royauté d’Œdipe – sa tyrannie pour mieux dire puisqu’il est turannos – repose sur sa capacité à avoir su dire le vrai et à résoudre ainsi l’énigme, seul[46]. Si le kratos lui échappe à la fin de la pièce, c’est parce qu’il n’a pas su, « cet Œdipe qui savait les fameuses énigmes »[47]. Il n’a plus le monopole du dire-vrai légitime. La force du vrai que Tirésias revendique reposait sur sa seule personne, sur ses capacités individuelles[48]. Désormais, il s’agit de déterminer quand le dire‑vrai s’identifie, se confond, avec le fait d’avoir vu le vrai. Mais, avoir vu le vrai ne suffit pas. De fait, une double incertitude demeure et n’est pas levée. Il n’est jamais affirmé de façon certaine qu’Œdipe est bien l’assassin de Laïos, ni qu’il est assurément le fils de Jocaste. Cette dernière se suicide sans en faire l’aveu. Seule la délibération entre égaux, égaux parce que pouvant tous prétendre au dire-vrai légitime, est alors à même d’instituer le vrai, de lui donner sa force. Ainsi, si la démocratie directe athénienne ne connaît pas, ni ne reconnaît, d’experts en choses politiques, c’est avant tout en raison de la définition de la citoyenneté qu’elle engage, définition qui permet à chacun de prendre la parole et d’être écouté, parce que tout discours de citoyen peut légitimement prétendre contenir une vérité.
Christophe Pébarthe
[1]. P. Ismard, La démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne, Paris 2015, p. 210. Cf. déjà C. Castoriadis, Ce qui fait la Grèce, 2. La cité et ses lois. Séminaires 1983-1984. La création humaine 3, Paris 2008 , p. 55-56 qui reprenait « La ‘polis’ grecque et la création de la démocratie » dans Id., Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe, Paris 1986, ici p. 361-364.
[2]. P. Ismard, op. cit., p. 169-171. Cf. Chr. Pébarthe, « Sur l’État… grec ? Pierre Bourdieu et les cités grecques », REA 114, 2012, notamment p. 548 et ici même p. 199-202.
[3]. Elle occupe du reste une place plus importante, ne serait-ce que par son titre, dans un article récent dans lequel Paulin Ismard résume son livre (« Le simple corps de la cité. Les esclaves publics et la question de l’État grec », Annales H.S.S. 69, 2014, p. 723-751, en particulier p. 723‑726).
[4]. P. Ismard, op. cit., p. 22.
[5]. P. Ismard, op. cit., p. 120.
[6]. G. Noiriel, « ‘L’Univers Historique’ : une collection d’histoire à travers son paratexte (1970‑1993) », Genèses 18, 1995, p. 110 ; l’auteur souligne.
[7]. Elle a ainsi accueilli récemment un livre, certes écrit par un historien professionnel, dont le propos visait à contester une opinion communément admise mais qui s’affranchissait du moindre sérieux scientifique (cf. Ph. Büttgen, A. de Libera, M. Rashed et I. Rosier‑Catach dir., Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l’islamophobie savante, Paris 2009 et D. Laperle, « Aristote au Mont‑Saint‑Michel : une polémique très médiatique » dans Y. Gingras dir., Controverses. Accords et désaccords en sciences humaines et sociales, Paris 2014, p. 3563).
[8]. Sur la question de la distance, cf. Chr. Pébarthe, « L’inquiétante familiarité ou comment tenir les anciens Grecs à distance » dans Essais hors série 1: L’estrangement : Retour sur un thème de Carlo Ginzburg, textes réunis par S. Landi, 2013, p. 107-128.
[9]. P. Ismard, op. cit., p. 214 (nous soulignons).
[10]. Ibid., p. 215.
[11]. Telle est la conclusion explicite de l’ouvrage (Ibid., p. 215).
[12]. Nous avons montré ailleurs que les citoyens athéniens étaient pleinement investis dans les activités productives (Monnaie et marché, Paris 2008, p. 192 et 199-203).
[13]. Ce point a été contesté notamment par Cornelius Castoriadis opposant les 37 000 individus (élus…) de son temps, qui gouverneraient véritablement, selon lui, aux 37 millions d’électeurs/trices, soit 0,1% (cf. C. Castoriadis, « Anthropologie, philosophie, politique » dans Id., La montée de l’insignifiance. Les carrefours du labyrinthe 4, Paris 1996, p. 147.).
[14]. Br. Karsenti, « Élections et jugement de tous » dans Id., D’une philosophie à l’autre. Les sciences sociales et la politique des modernes, Paris 2013, p. 111-134.
[15]. Ibid., p. 122.
[16]. Rappelons que Marc Bloch a justement récusé le principe selon lequel le présent fournirait sans médiation les conditions de sa compréhension, ce qu’il qualifiait de « privilège d’auto-intelligibilité » (Apologie pour l’histoire ou métier d’historien dans Id., L’Histoire, la Guerre, la Résistance, Paris 2006, p. 876).
[17]. P. Ismard, op. cit., p. 206. Une analogie identique est faite par C. Castoriadis, op. cit., p. 56 (Jacques Delors) et art. cit., p. 364 (« peut-être Donald Regan et certainement Paul Volcker auraient‑ils été esclaves à Athènes »). Mais ce dernier analyse la notion d’expert (art. cit., p. 361-363).
[18]. Il y aurait une différence radicale avec la place accordée à l’expertise dans la démocratie contemporaine. La situation d’aujourd’hui serait la suivante : « il paraîtrait baroque, voire irresponsable, de prétendre qu’un savoir politiquement utile puisse résulter, ne serait-ce que partiellement, d’un processus délibératif avec le tout-venant » (Ibid., p. 134 ; les conférences de consensus reposent sur la prétention inverse).
[19]. Telle est la finalité de cette analogie (cf. P. Ismard, op. cit., p. 205). Le cas des économistes aurait sans aucun doute permis de saisir l’ambiguïté de la notion d’expertise (à ce sujet, cf. Fr. Lebaron, La croyance économique. Les économistes entre science et politique, Paris 2000).
[20]. Cf. P. Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France (1989-1992), Paris 2012, p. 260.
[21]. Ibid., p. 266.
[22]. Ibid., p. 267.
[23]. Si le premier chapitre s’intitule « Genèse » (p. 31-61), il semble que la rupture l’emporte sur la continuité.
[24]. P. Ismard, op. cit., p. 60. Cf. aussi Ibid., p. 133 sur « l’idéologie démocratique de l’Athènes classique » : « en confiant des tâches d’expertise essentielles à l’administration de la cité à des individus qui en étaient exclus, les Athéniens ne faisaient qu’accomplir une partie du programme démocratique, qui refusait que l’expertise d’un individu puisse légitimer sa prétention au pouvoir. L’esclavage public est ainsi au cœur du dispositif qui noue la question du savoir et du politique dans la cité démocratique de l’âge classique ».
[25]. Ibid., p. 136 (nous soulignons).
[26]. Sur ce dernier élément, cf. Chr. Pébarthe, Cité, démocratie et écriture. Histoire de l’alphabétisation d’Athènes à l’époque classique Paris 2006, notamment p. 33-110.
[27]. P. Ismard, op. cit., p. 109-110 et 144-147. Cf. aussi Chr. Pébarthe, op. cit., p. 129-141. Les fonctions précises des anagrapheis en temps normal ne sont pas bien connues (Ibid., p. 168-169).
[28]. P. Ismard, op. cit., p. 145 (nous soulignons).
[29]. Lysias 30.2-3 (trad. CUF).
[30]. Lysias 30.5 est sans ambiguïté sur ce point. On ne saurait donc considérer que Nicomachos aurait « un statut juridique incertain » (P. Ismard, op. cit., p. 144) ou « un statut incertain » (Ibid., p. 146), contredisant du reste Ibid., p. 110 («sur le plan légal, un statut de citoyen»)..
[31]. Contra P. Ismard, op. cit., p. 143 : « l’idéologie démocratique refusait de légitimer leur accession aux magistratures électives sur la base d’une quelconque expertise ».
[32]. Cf. Chr. Pébarthe, op. cit., p. 161-169.
[33]. Arstt., Ath. pol., 54.3-5 (nous suivons ici la traduction de Marie-Joséphine Werlings).
[34]. Pour ne rien dire des démarques : cf. Chr. Pébarthe, « Les archives de la cité de raison. Démocratie athénienne et pratiques documentaires à l’époque classique » dans M. Faraguna éd., Archives and Archival Documents in Ancient Societies, Trieste 2013, p. 115-123.
[35]. P. Ismard, op. cit., p. 171 (nous soulignons). La même thèse figure dans C. Castoriadis, art. cit., 1986, p. 364.
[36]. Ibid., p. 91-93 et Id., art. cit., p. 746-747 avec IG II2, 1013, l. 53-54 et SEG 24, 147, l. 5.
[37]. P. Ismard, op. cit., p. 65. Ce faisant, il prend appui sur un dialogue platonicien radicalement hostile à la démocratie pour déterminer le rapport que ce type de service entretient avec la démocratie. Par ailleurs, Platon n’entend pas définir ce qu’est la politique mais ce qu’est un anêr politikos, un citoyen politique (Pol., 257b9-c1 avec L. Brisson et J.-Fr. Pradeau, « Introduction » dans Platon, Le Politique, Paris 2003, p. 16-18).
[38]. Dém. 19.249 avec Chr. Pébarthe, op. cit., p. 236.
[39]. Nous ne pouvons que signaler ici le problème posé par le terme dêmosios qui ne désigne pas toujours un esclave public. P. Ismard, op. cit., p. 108-109 est conscient de cette difficulté qu’il contourne in fine, évoquant des cas de citoyens dêmosioi pour l’époque impériale tout en affirmant que « dans la plupart des cas, il est en réalité très difficile de trancher » (Ibid., p. 242 n. 42). Mais alors, pourquoi opter systématiquement pour la solution qui implique les plus grandes particularités ? Les effets de cette option sont patents lorsqu’il s’agit de décrire les supposés privilèges des esclaves publics, parmi lesquels figure Nicomachos, citoyen athénien…
[40]. P. Ismard, op. cit., p. 180-187.
[41]. Ibid., p. 184.
[42]. M. Foucault, Du gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 1979-1980, Paris 2012, p. 31.
[43]. v. 499-506.
[44]. v. 504-505.
[45]. Sans doute Paulin Ismard aurait-il pu envisager l’importance de la vérité dans la lecture foucaldienne s’il avait expliqué le terme d’alèthurgie forgé par Foucault (Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 8), terme qu’il cite pourtant (P. Ismard, op. cit., p. 185).
[46]. v. 397-398.
[47]. v. 1524-1525 (trad. Jean Bollack).
[48]. v. 356 : « la vérité que je nourris en moi a la force pour elle » (trad. J. Bollack). Le Coryphée ne dit pas autre chose : « le divin prophète, qui, seul de tous les hommes, a la vérité infuse » (v. 298-299, trad. J. Bollack). Œdipe lui conteste cette force (v. 370‑371).