Ce livre se concentre sur la nouvelle religion d’état instituée par Akhénaton et dont les développements ont permis d’y reconnaître une toute première forme de monothéisme prônant la vénération exclusive de l’aspect physique du dieu solaire, le disque Aton, doté d’une personnalité de démiurge créateur de toute vie sur terre.
Dans cette religion d’État, seul le roi était habilité à connaître le dieu et à dispenser un enseignement éclairant sa nature profonde.
Le premier chapitre traite des origines du monothéisme d’Akhénaton et de ses emprunts à la religion solaire de l’Ancien Empire, période considérée comme « un âge d’or de la théologie solaire ». Akhénaton a clairement utilisé des éléments importants de cette dernière : obélisque, Benben (bétyle), sphinx, uraei, disque solaire. Cependant, on peut faire une remarque tout à fait identique pour la plupart de ses prédécesseurs.
Le second chapitre évoque les développements religieux postérieurs à l’Ancien Empire. L’auteur évoque notamment Monthou qui était à l’origine un dieu solaire, et qui fut lié par la suite à la guerre. Amon, lié à l’ogdoade hermopolitaine, était l’un des dieux primordiaux créant l’œuf solaire. Son association à Min et à Rê lui ont donné sa dimension de démiurge. Son importance toujours croissante se constate dans les monuments construits à Karnak/Thèbes. Amon-Rê était profondément lié à la monarchie pharaonique. L’auteur souligne l’importance des activités de construction au bénéfice du culte d’Amon-Rê qui atteignent un paroxysme sous Amenhotep III.
Le troisième chapitre est consacré aux débuts du règne d’Akhénaton, ainsi qu’à la question de la corégence qu’il réfute avec les arguments aujourd’hui bien connus qui ont été longuement discutés par ailleurs. Cette partie n’apporte aucun élément nouveau. L’auteur aborde à nouveau les aspects théologiques de la réforme, en particulier, l’importance majeure de Rê-Horakthy et Atoum comme sources d’inspiration pour Aton ou encore la prolifération de références à Aton sous Amenhotep III qui établissent un parallèle entre le roi et le disque, par exemple, l’expression « ce que le disque entoure » renvoie aussi au rôle du pharaon de maintenir le monde dans la création.
Le quatrième chapitre est consacré aux premiers monuments construits par Akhénaton à Karnak. Il discute l’image des colosses, notamment l’image « asexuée » du roi, longtemps interprétée comme une statue de la reine. Il reprend ici l’interprétation et les arguments de Lise Manniche. Il pense qu’il n’existe pas d’interprétation définitive pour la signification de ces colosses. J’avais personnellement publié un article sur ces mêmes colosses[1], suggérant de les interpréter comme des rébus géants liés à la personnalité d’Aton représenté ici par une image du roi pourvue d’attributs divins renvoyant à des caractéristiques d’Aton. Le colosse pseudo asexué était, de mon point de vue, une image osirienne du roi, féminisée, mais ne représentant pas Néfertiti et qui renvoyait à l’aspect féminin inclus à la nature d’Aton. On peut notamment remarquer que le colosse pseudo asexué porte encore la trace d’une barbe postiche. Nous savons aujourd’hui, grâce aux travaux de D. Laboury[2], que ces colosses du Gem-pa-aton étaient liés au jubilé fêté par le roi au début de son règne.
Dans le cinquième chapitre, l’auteur propose une approche phénoménologique de la religion d’Akhénaton plutôt que de la considérer comme une évolution, même si l’on constate une progression dans l’importance accordée au dieu déjà chez les prédécesseurs d’Akhénaton. Cependant cette approche « objective » a elle aussi, ses inconvénients. Cependant l’approche phénoménologique (Mircea Eliade), s’accorde mieux avec l’idée que la religion d’Akhénaton relèverait d’une hiérophanie, soit une manifestation ou révélation du dieu au roi. Ce faisant, cette interprétation réduit l’importance qu’ont pu avoir les enjeux politiques pourtant clairement liés à cette réforme, à savoir la diminution du pouvoir du clergé d’Amon. Pour l’auteur, c’est d’abord la rencontre avec « le numineux » qui serait à la base de la réforme d’Akhénaton. Le théologien-égyptologue J. K. Hoffmeier n’hésite pas à comparer Akhénaton à Saint Paul dans leur expérience d’une « révélation ». L’utilisation du terme « gm » revenant dans le nom de trois temples du roi serait un argument pour l’idée d’une révélation.
Le sixième chapitre dresse l’inventaire des temples d’Aton construits à travers l’Egypte jusqu’en Nubie : Dokki Gel (Kerma), Gebel Barkal, chapelle d’Aton à Abydos, Akhmîm, Assiout, Memphis, Héliopolis, ainsi que des blocs provenant d’un temple détruit par Horemheb au nord-ouest du Sinaï à Tell el Borg.
C’est dans le septième chapitre que l’auteur rassemble les arguments permettant de définir clairement la religion d’Akhénaton comme « monothéiste ». Les premiers signes d’iconoclasme apparaissent à Karnak, peu avant le départ du roi et de sa cour pour Amarna. L’auteur se demande si les temples furent fermés sur ordre du roi ou s’ils furent simplement privés de moyens, les forçant à fermer leurs portes. On ne peut douter que les moyens utilisés pour les constructions du roi privèrent les autres temples, comme le confirme la « stèle de la restauration » de Toutankhamon. Les efforts de ce roi et d’Horemheb en ce sens montrent qu’une dizaine d’années furent nécessaires pour la remise en état des temples à travers le pays. L’auteur soulève aussi la question de l’importance de l’armée dans l’expansion iconoclaste et les efforts de construction d’Akhénaton. Il clôt son chapitre en évoquant les cas de destruction d’images et d’inscriptions au nom d’Amon, s’étendant, par endroits, à d’autres divinités comme Hathor ou Khnoum. Des efforts remarquables ont été accomplis pour effacer l’image d’Amon, comme dans l’exemple des pyramidions des obélisques d’Hatchepsout (29,56 m de haut). Le terme ntrw, dieux au pluriel, fut également la cible d’Akhénaton dans la tombe de Nebamon et au temple d’Hatchepsout. L’auteur conclut que les dernières années passées à Thèbes et le déplacement à Amarna marquent le début du monothéisme d’Akhénaton. Au début de son règne, Aton et Amon, en plus des autres dieux coexistent, puis il y a une phase d’abandon avec le changement du nom du roi, puis une phase de persécution avec un programme agressif de destruction à l’encontre d’Amon et des dieux par effacement de leurs noms, images et fermeture de leurs temples. Cette dernière phase est le signe sûr d’un monothéisme. Violence et iconoclasme sont les caractéristiques du monothéisme, comme l’avait démontré J. Assmann dans son ouvrage[3]. L’auteur, citant Ory Goldwasser, rappelle que l’écriture du nom du dieu ne se termine pas par le signe hiéroglyphique habituel de la divinité, ce faisant c’est la « catégorie des dieux » qui est éludée. Aton est le dieu et ne fait pas partie des dieux.
Le huitième chapitre de l’ouvrage est consacré aux hymnes à Aton considérés comme des enseignements et désignés en tant que tels (sb3yt), une composition dont les noms du dieu montrent qu’elles datent d’avant l’an 9 du règne du roi. Ces hymnes, présentant une nature cultuelle, étaient destinés à être chantés dans les temples d’Aton au lever du soleil. Ils évoquent une théophanie quotidienne du dieu et son apparition constituait un moment de célébration et de prière. Les rayons solaires sont le « véhicule de la révélation ». L’analyse de l’auteur met en évidence cinq doctrines majeures présentes dans les hymnes : Aton est le dieu vivant qui pourvoit en vie ; Aton est le créateur universel, créateur du ciel et de la terre, de tous les pays, rivières, mers, peuples, animaux et végétation ; Aton manifeste son pouvoir quotidiennement du lever au coucher à travers le disque visible et ses rayons ; Aton est le dieu unique, il n’y en a pas d’autres ; Aton est transcendant et immanent, il est haut et distant, mais accessible et il nourrit et soutient la création dans toutes ses formes. Beaucoup de thèmes et de motifs sont clairement empruntés à la théologie héliopolitaine. En optant pour un langage traditionnel, la théologie d’Aton fait un lien avec le passé religieux et se présente comme une émergence nouvelle de celui-ci.
Le neuvième et dernier chapitre du livre est consacré à l’influence de l’Aténisme en Egypte et la Bible. L’auteur reprend ici des éléments déjà très connus et largement publiés par ailleurs. La damnation memoriae d’Akhénaton, Nefertiti et de leurs proches ne fut pas immédiate, mais commence avec Horemheb qui occultera les règnes de ses prédécesseurs, y inclus Toutankhamon qui commença l’œuvre de restauration du culte d’Amon. L’hérésie fut notamment comparée à la domination Hyksos. Le retour rapide à l’orthodoxie polythéiste s’est accompagné d’un iconoclasme envers Akhenaton, ses successeurs et les temples d’Aton prouvant que l’on cherchait à effacer de la mémoire le souvenir de cette période où régnait « l’ennemi d’Akhetaton ». L’auteur termine sur la question de la ressemblance entre le psaume 104 et les hymnes à Aton. Il pense qu’il n’existe pas de connexion directe entre ces textes, bien qu’une influence venant d’Egypte ne puisse être rejetée. Leurs similitudes sont davantage liées à une question de langage utilisé pour les traductions des œuvres. Ces ressemblances sont plus vraisemblablement le fait d’une théologie répandue à travers l’orient méditerranéen qui présente des thèmes cosmologiques communs, en particulier celui du soleil levant, qui s’accompagne de l’émergence de la vie, et qui met les êtres en mouvement et occupait une place importante. Le véritable monothéisme requiert une théophanie (avec croyance unique), un leader charismatique, et des disciples qui soutiennent et transmettent les traditions et les doctrines. Ces éléments avaient été réunis par Akhénaton, mais à la mort du souverain, ces principaux défenseurs comme les prêtres Meryrê, Panéhesy, Ay et Horemheb réalisèrent qu’ils ne pouvaient « nager à contre-courant » et abandonnèrent le culte d’Aton pour un retour à la religion traditionnelle, dans une Egypte qui n’était pas encore prête pour le monothéisme. Ce premier épisode monothéiste constitue un argument en faveur de l’émergence d’un monothéisme « mosaïque » lié à la religion de Yahweh durant le siècle suivant Akhénaton.
Cet ouvrage sur le monothéisme d’Akhénaton, en dépit de certaines redites inévitables, offre un regard nouveau et subtil sur la religion d’Akhénaton. Certes, l’aspect politique a été quelque-peu mis en retrait, mais Hoffmeier fournit une analyse minutieuse de la théologie d’Akhénaton en soulevant un certain nombre de points forts intéressants qui nous permettent de donner une nouvelle dimension à cet épisode passionnant de l’histoire égyptienne.
Cathie Spieser
[1] C. Spieser, « Réflexions à propos de la statuaire d’Akhénaton », Göttinger Miszellen 184, 2001, p. 55‑64
[2] D. Laboury, Akhénaton, Paris 2010.
[3] J. Assmann, Violence et monothéisme, Paris 2009.