Lorsque la Revue des Études Anciennes m’a proposé de faire le compte-rendu de ce livre, j’ai accepté avec plaisir, car son titre avait retenu mon attention et je me réjouissais de voir qu’un jeune auteur s’était risqué à traiter un sujet aussi difficile sur une aire géographique et administrative très vaste. Puis le livre est arrivé et là grosses déceptions et solides frustrations. Première déception : la couverture ; pour rester sobre et courtois, je dirai seulement qu’elle aurait pu être moins lugubre et plus attractive. Nouvelle déception en consultant la table des matières : d’une part, cet ouvrage n’est pas un « vrai » livre, mais un recueil de l’intégralité des articles de B. Goffaux — soit dix-neuf publications, dont une inédite — réunis en mémoire de ce jeune savant prématurément disparu par un groupe de collègues et d’amis ; d’autre part, le titre choisi par l’éditeur rennais est fallacieux, car la très forte majorité des textes concernent la péninsule Ibérique et ne traitent guère de la « vie publique » municipale. Certes, la « quatrième de couverture » lève la plupart de ces ambiguïtés, mais encore faut-il avoir le livre en main pour pouvoir la lire ; or comme de plus en plus d’achats se font — hélas — sur internet, nombre de lecteurs seront aussi surpris que moi.
Au dire des éditeurs scientifiques publics et privés, les livres « savants » se vendraient mal. Je n’ai pas les éléments pour juger de la pertinence de cette affirmation, mais à en juger par le nombre de publications mises sur le marché, il est légitime d’émettre quelques doutes… Quoi qu’il en soit, ce n’est pas en appliquant — maladroitement — les méthodes trompeuses de marketing des éditeurs de romans de gare qu’ils vont relancer leurs ventes. Sans parler des prix prohibitifs pratiqués par certains éditeurs privés —mais bien subventionnés —, comme Errance, qui semblent faire tout leur possible pour ne pas vendre leurs livres… Cela dit, et je crois qu’il fallait le dire par simple respect de l’acheteur potentiel, reste un bel ouvrage qui montre la cohérence et la profondeur des analyses de la recherche déjà foisonnante de B. Goffaux, un philologue, un épigraphiste et un historien conscient de l’importance, souvent primordiale, de l’archéologie (et de ses limites) en histoire ancienne, mais aussi des documents juridiques (Digeste…) et de l’historiographie.
Après l’avant-propos, la bibliographie de B. Goffaux et la préface, l’ouvrage est divisé en quatre parties thématiques — dont le titre est pertinent — et dix-neuf chapitres — ou plutôt études, dont deux en anglais — qui suivent, dans chaque thème, l’ordre chronologique des publications :
I. « Construction publique et évergétisme » : La construction publique en Étrurie à l’époque augustéenne, p. 19-40 — Entre le droit et la réalité : la construction publique dans les cités de l’Hispanie romaine, p. 41-52 — L’Histoire Auguste et la restauration du temple de Tarraco, p. 53-59 — Municipal Interventions in the Public Construction of Towns and Citiés in Roman Hispaniae, p. 61-70 — Promotions juridiques et monumentalisation des cités hispano-romaines, p. 71-85 — Évergétisme et sol public en Hispanie sous l’Empire (à propos de CIL II2/7, 97), p. 87-99.
II « Épigraphie et mémoire » : Mémoire et citation poétique dans l’Histoire Auguste, p. 103-116 — Destruction matérielle et constructions mémorielles dans le discours épigraphique des cités de l’Occident méditerranéen sou le Haut-Empire, p. 117-125 — CIL II2/5, 316 (Igabrum) et la chronologie des premiers flamines de Bétique, p. 127-145.
III. « Entre public et privé : pouvoirs et formes associatives » : Schola : vocabulaire et architecture collégiale sous le Haut-Empire en Occident, p. 149-165 — Schola, collège et cité : à propos de CIL XIV 2634 (Tusculum), p. 167-182 — Schola et espace civique à Avenches, p. 183-208 — À la recherche des édifices collégiaux hispaniques, p. 209-234 — Cultores, Basilica et Horrea à Mactar (Afrique proconsulaire) p. 235-252 — (en collaboration avec J. Arce) Entrepôts et circuits de distribution dans l’Extrême Occident de l’Empire, p. 253-266. Un apport particulièrement important qui renouvelle largement cette recherche complexe.
IV « Cultes publics et religion en péninsule Ibérique et en Gaule » : Le culte au génie de la cité dans la péninsule Ibérique romaine, p. 269-284 — Formes d’organisation des cultes dans la Colonia Augusta Emerita (Lusitanie), p. 285-317 — Priests, conventus and provincial organization in Hispania Citerior, p. 319-337 — (en collaboration avec J. Hiernard) La double dédicace du sanctuaire des tours Mirandes (Vendeuvre-du-Poitou, Vienne) dans la cité des Pictons, p. 339-387. Une édition « définitive ».
Postface (très élogieuse) de P. Le Roux, Un discours de la méthode pour aujourd’hui : de l’histoire à l’archéologie, p. 389-393. La copieuse bibliographie de l’ensemble des articles est rassemblée en fin de volume (p. 395-433). Les indices sont très complets : index des sources littéraires et juridiques, des sources épigraphiques et numismatiques ; index des lieux, index des noms. Toutefois, un index des notions aurait été apprécié.
En mettant à la disposition des lecteurs des textes fort utiles qui n’étaient pas toujours faciles d’accès, les éditeurs ont non seulement fait œuvre pieuse, mais ont aussi rendu service à la communauté scientifique, plus particulièrement aux chercheurs qui travaillent sur la péninsule Ibérique, mais pas que… Il faut les remercier de leur dévouement, car, sans ce livre l’importance des travaux de B. Goffaux sur l’urbanisme, le paysage urbain, l’histoire sociale, la mémoire municipale…, bref sur l’histoire des cités de l’époque impériale, serait sans doute restée mal connue.
Je laisse le soin aux spécialistes de ces différents sujets le soin d’approuver, de contester ou d’améliorer les opinions de notre regretté collègue.
Bernard Rémy