Les dix contributions de ce recueil sont les résultats de conférences tenues à Lausanne à l’automne 2009 et consacrées principalement au littoral septentrional de la mer Noire.
Les études sont regroupées autour de trois thématiques : l’histoire du royaume du Bosphore, l’écriture de l’histoire antique en Russie et la présentation des fouilles récentes de sites archéologiques pontiques. Des planches en couleur suivent la première et la troisième partie. Une brève introduction rappelle les liens entre la Suisse et l’archéologie russe et les principes suivis pour la translittération.
Au début de la première partie, l’« introduction à l’archéologie du royaume du Bosphore Cimmérien » par P. Burgunder est en fait une analyse historiographique d’une partie des parutions consacrées à ce thème accessibles en Occident. Il évoque ainsi le rôle des Suisses dont Fr. Dubois de Montperreux dans l’étude des antiquités du Bosphore, l’histoire de la publication du Corpus Inscriptionum Regni Bosporani et l’Tmuvre de J. G. Vinogradov, puis l’ouvrage de V. F. Gajdukevic, Das Bosporanische Reich, avant de passer en revue les publications sur les fouilles du territoire bosporan : publications soviétiques sur l’archéologie, Archaeological Reports, les Chroniques des fouilles et découvertes archéologiques dans le Bosphore Cimmérien de Chr. Müller parues dans le BCH, les volumes Ancient Greek Colonies of the Black Sea de D. V. Grammenos et E. K. Petropoulos… L’auteur met en valeur la réception limitée en Occident des publications soviétiques et le poids de l’idéologie sur l’archéologie en URSS : importance de l’économique et du social et des relations entre populations grecques et indigènes.
À travers une analyse des fouilles récentes, J. A. Vinogradov apporte des réflexions sur la problématique des relations gréco-indigènes durant les premières étapes de la colonisation de l’espace bosporan. Le contact avec les populations indigènes, en partie nomades, a influencé le processus de colonisation de cet espace. La taille importante des établissements, les traces d’incendie et de fortification vers 550 en témoignent. Le caractère grec des établissements est indubitable, mais il y a des adaptations à ce nouvel environnement : céramiques modelées, habitations semi-enterrées, abandon de la viticulture et de l’oléiculture, établissements agricoles saisonniers habités par des populations locales.
La communication d’A. V. Podosinov est un aperçu de l’histoire bosporane du Ve s. av. J.-C. au IVe s. apr. J.-C. pour un large public mais comporte très peu de références.
Dans la seconde partie, I. L. Tikhonov évoque le développement de l’archéologie classique au sein de l’Université de Saint-Pétersbourg depuis le XVIII e s en insistant sur les contributions des principaux archéologues russes. Il aborde le processus d’institutionnalisation de l’archéologie qui est achevé dans les années 1930 en insistant sur son contexte intellectuel. Pour les années suivantes, il nous présente une histoire interne au département d’archéologie de l’Université, mais sans véritablement insister sur les apports historiques qui ont pu y naître.
C. Meyer examine l’archéologie bosporane à travers l’oeuvre de Rostovtseff concernant la toreutique gréco-scythe. À partir de l’analyse d’un relief du kourgane de Karagodeouachkh, Rostovtseff fait des parallèles entre la Russie après 1905 et le monde bosporan, en cherchant dans l’histoire bosporane les origines spirituelles de la Russie dans la rencontre entre le monde grec et la religiosité orientale – précurseurs du christianisme. L’auteur déconstruit la vision de Rostovtseff ainsi que son interprétation iranisante du relief, que Meyer identifie comme la représentation d’un culte rural. C’est une invitation à relire Rostovtseff avec un autre regard.
Svetlana Gorshenina étudie l’archéologie de l’époque tsariste au Turkestan à travers l’histoire coloniale. Elle retrace l’évolution de ce concept, puis analyse la réflexion russe et soviétique sur l’archéologie au Turkestan, avant de présenter quelques pistes que l’on retrouve dans d’autres contextes d’archéologie coloniale : apport « civilisateur » des colons russes, fermeture aux archéologues non métropolitains, intervention de militaires dans l’archéologie, recherche des racines nationales. L’archéologie est aussi un enjeu dans le cadre du contrôle colonial de cette région, disputée également par la France et le Royaume-Uni. Cela constitue une approche innovante qui aurait mérité d’être poursuivie sur d’autres parties de l’espace russe.
La troisième partie débute avec une présentation des fouilles récentes des couches archaïques du secteur O de l’île de Bérézan, identifié par D. M Chistov avec Borysthène. L’auteur replace les découvertes dans le contexte des problématiques de la colonisation : les relations entre les Grecs et les populations de la région, les différentes étapes dans l’évolution de l’établissement. Se sont succédé dans ce secteur des complexes métallurgiques, au milieu de cabanes semi-enterrées, un bâtiment en pierre construit vers 540-530, incendié ensuite, un bas-fourneau et des constructions semi-enterrées au dernier quart du VIe s., un bâtiment public (un hestiatorion ?) à la fin du VIe s. et enfin des cabanes semi-enterrées. De la fin du VII e s. au troisième quart du VIe s., Bérézan semble avoir été un établissement grec de commerce et de travail des matières premières, notamment les métaux, avant de devenir au Ve s. un point de mouillage et de transbordement.
V. V. Krapivina présente de manière succincte les fouilles des années 2006-2010 dans différents secteurs de la cité d’Olbia : la ville haute, les remparts, la nécropole. Cette mise à jour utile aurait gagné à être replacée dans une perspective historiographique plus large.
A. Avram et I. Bîrzescu décrivent l’évolution de la « zone sacrée » d’époque grecque, le téménos d’Istros, à partir des découvertes des fouilles anciennes et des résultats de leurs travaux plus récents. Ils présentent une fosse sacrée aménagée au IV e siècle et comblée au début du Ier s. identifiée avec un abaton, près du temple d’Aphrodite. Un petit temple édifié dans le dernier tiers du VIe s. et incendié dans le premier quart du V e s. pourrait être dédié à la Mère des Dieux. À l’époque hellénistique, une seconde voie sacrée, bordée de stèles, semble avoir été construite. Un petit monument, daté de la première moitié du I er s. av. J.-C., semble être un autel d’Aphrodite. L’histoire de la « zone sacrée » se complète ainsi peu à peu.
Vl. Stolba se propose de reconstituer la vie rurale de l’établissement de Panskoe I, situé aux confins des territoires d’Olbia et de Chersonèse, et qui a fonctionné entre le dernier quart du Ve s. et 270 av. J.-C. Stolba aborde les constructions, la nécropole, les productions agricoles, l’artisanat céramique, l’économie monétarisée, les cultes domestiques, le niveau culturel de cet établissement. Une population gréco-indigène y résidait, avec même des couples mixtes. On a ainsi une vision globale d’un site rural d’une cité grecque.
L’ouvrage présente une abondante illustration, photographies et plans, mais qui gagnerait parfois à être mieux mise en valeur par des légendes plus précises et un meilleur lien avec le texte. Il faut aussi noter un problème de cohérence dans la translittération à partir du russe : Rostovcev et Rostovtseff, fon Štern et von Stern, par exemple, cohabitent, y compris parfois dans un même article.
Comme il arrive souvent pour les actes des conférences, les contributions de ce volume sont inégales : des articles de vulgarisation, utiles pour le grand public, sont proposés à côté de méticuleux comptes rendus de fouilles, qui sont l’un des intérêts majeurs du livre pour les spécialistes.
Thibaut Castelli