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L’introduction de l’ouvrage capte immédiatement l’intérêt du lecteur en évoquant, d’une manière à la fois détaillée et vivante, le premier jour des jeux inauguraux de l’Amphithéâtre Flavien, donnant au passage de nombreuses informations sur le programme et les principes généraux des munera ainsi que sur les sensations visuelles, sonores et olfactives qui pouvaient être celles des spectateurs.

Dans le chapitre 1, l’auteur présente un résumé clair et concis des événements qui ont conduit à l’avènement de Vespasien, notamment la chute de Néron, avant d’évoquer le site de la Domus Aurea, sur lequel fut édifié l’amphithéâtre, et la symbolique de restitution de l’espace public qui fut donnée au vaste programme édilitaire de la nouvelle dynastie.

Le chapitre 2 rappelle les origines de l’amphithéâtre en tant que monument et celles du mot lui-même, puis décrit la structure et les aménagements de l’édifice d’une manière là encore très facile à suivre, plans et illustrations judicieusement choisis venant à chaque fois compléter le propos. L’auteur présente ensuite rapidement la disposition hiérarchique des spectateurs dans les différents secteurs de l’édifice. Cependant, son hypothèse selon laquelle les femmes du peuple assistaient au spectacle à côté de leur époux, le maenianum summum in ligneis étant réservé aux femmes des élites, ne semble s’appuyer sur aucune source antique ou travail de recherche contemporain. On peut également émettre des réserves sur son interprétation d’un texte de Dion Cassius (66, 25, 3) évoquant le ponton que Titus fit réaliser sur la naumachie d’Auguste « devant les statues » pour y donner des spectacles terrestres. N.T. Elkins y voit en effet une allusion aux statues des dieux disposées pour l’occasion dans le pulvinar de la naumachie. Mais le ponton aurait dû s’étendre bien au-delà de l’espace occupé par ce genre de tribune pour pouvoir accueillir une course de chars. De plus, il est peu probable que la naumachie d’Auguste ait été entourée d’une cavea permanente susceptible d’être dotée d’une telle installation. Les statues mentionnées par Dion Cassius sont sans doute celles de Gaius et Lucius, car le bois entourant la naumachie leur était consacré, la pièce d’eau comportant en outre un îlot sur lequel un monument à la mémoire des deux princes avait été érigé par Auguste[1]. En revanche, l’identification de la loge sud de l’amphithéâtre Flavien comme un pulvinar destiné à recevoir statues cultuelles et sièges honorifiques[2] s’appuie sur des indices plus solides, notamment des émissions monétaires des années 80-81, qui montrent au revers des sièges drapés supportant les attributs de certains dieux et déesses et des symboles généralement associés aux empereurs et impératrices divinisés analogues à ceux qui apparaissent sur les chars de procession. Le chapitre se termine par une rapide évocation des fontaines dont était aussi doté l’édifice et de sa décoration aussi riche que colorée, aujourd’hui largement disparue mais connue par des vestiges et par l’exemple d’autres amphithéâtres.

Le chapitre 3 est consacré à l’ensemble du programme édilitaire des Flaviens, dont l’amphithéâtre était l’élément central, pour montrer son rôle dans l’affirmation de la légitimité de la dynastie. Chaque monument est rapidement décrit, et sa symbolique décryptée : l’achèvement du temple du Divin Claude plaçait les Flaviens dans la continuité des « bons empereurs » de la dynastie précédente, tout comme la construction d’un temple de la Paix, rappelant la fermeture du temple de Janus par Auguste et son Ara Pacis. De même, la Meta Sudans restituait une fontaine analogue réalisée par Auguste, elle aussi chargée de symbolique, que Néron avait supprimée. Quant à l’amphithéâtre et aux bains de Titus, manifestations de la munificence des Flaviens à l’égard du peuple, comme l’arc de Titus ils commémoraient également la guerre de Judée, puisque le butin finança largement leur construction. L’auteur évoque alors les autres réalisations de Domitien liées à l’amphithéâtre, notamment les différents ludi servant à l’entraînement des gladiateurs et des bestiaires. La suite du chapitre s’intéresse aux nombreux procédés par lesquels les Flaviens, au-delà de leur programme édilitaire, se sont placés dans la continuité des « bons empereurs » julio‑claudiens, notamment par des mesures honorant la mémoire de ces derniers et par la reprise de leur iconographie monétaire. Puis N.T. Elkins rappelle les nombreux liens avec la mémoire d’Auguste de certaines autres réalisations de Domitien, notamment son forum, son stade et sa naumachie. Il revient ensuite à l’amphithéâtre pour souligner la restauration de l’ordre social que le monument représentait, à travers la hiérarchie des places qui y était prévue, par rapport au vaste parc de la Domus Aurea, dont une partie était accessible à tous sans distinction de rang. Selon lui, la reprise sur la façade de la succession des ordres décoratifs toscan, ionique et corinthien, déjà utilisée pour le théâtre de Marcellus, serait aussi une référence consciente aux réalisations augustéennes. Le chapitre se termine par un nouveau rappel du lien des munera avec le culte impérial, et par l’hypothèse selon laquelle les cent jours de jeux qui marquèrent l’inauguration de l’amphithéâtre furent avant tout liés à la déification de Vespasien. Cette hypothèse s’appuie sur le délai de quelques mois entre la mort de l’empereur et sa divinisation au début de l’année 80, et sur l’iconographie monétaire déjà évoquée présentant des sièges drapés supportant les symboles de certains dieux et des empereurs divinisés, signe qu’un événement religieux était ainsi commémoré. Il faut cependant noter qu’aucune source antique n’établit un tel lien entre les cent jours de spectacle de Titus et la divinisation de son père. Le texte déjà cité de Dion Cassius, le plus précis sur ces munera inauguraux, mentionne exclusivement, comme raison de leur édition, la consécration de l’édifice, événement religieux en lui-même. Plutôt que de considérer que c’est la divinisation de Vespasien qui fut l’occasion des jeux, comme le fait N.T. Elkins, il est donc peut-être préférable de supposer que Titus souhaita seulement, en repoussant de quelques mois la divinisation de son père, pouvoir faire coïncider cet événement avec les fêtes liées à la consécration du monument dont le nouveau diuus avait décidé la construction.

Le chapitre 4 s’attache à décrire les différentes phases d’un munus à travers l’exemple des spectacles inauguraux de Titus. N.T. Elkins évoque d’abord la pompa qui en marquait l’ouverture (tout pour les ludi circenses et les ludi scaenici) en s’appuyant sur les documents, surtout iconographiques, qui en attestent l’existence. Puis l’auteur revient sur les uenationes, leurs origines et leurs différentes modalités. Il accorde ensuite une attention presque équivalente aux mises en scène de thème mythologique des jeux de midi, souvent associées à l’exécution de condamnés, en accord avec l’intérêt nouveau qu’a développé la recherche, ces dernières années, pour ces spectacles peu évoqués par les textes[3]. Passant alors aux combats de gladiateurs, N.T. Elkins évoque la question de leurs origines, sans prendre parti entre l‘hypothèse étrusque et l’hypothèse samnite, pourtant largement favorisée par les chercheurs depuis les travaux de G. Ville[4]. Il rappelle ensuite les origines sociales, le statut juridique et les conditions de vie des gladiateurs, toujours de la même manière à la fois synthétique et complète. Cependant, sa liste des armaturae n’en recense qu’une partie, et l’on peut regretter l’absence de référence à certains ouvrages récents sur la question[5]. L’auteur rappelle aussi les modalités des combats et s’attache à réfuter un certain nombre d’idées reçues à ce sujet encore présentes dans le grand public et véhiculées par les médias contemporains. S’intéressant alors aux naumachies, N.T. Elkins en donne un rapide aperçu. On peut cependant regretter qu’il semble uniquement s’appuyer sur un article certes très complet de K. Coleman paru en 1993[6], alors que sont parues depuis deux monographies sur le sujet[7]. Le chapitre se termine par un rappel de la symbolique générale des jeux de l’amphithéâtre, destinée à célébrer la domination de Rome et de son prince sur tout l’univers et le maintien de l’ordre voulu par les dieux qui se trouvait ainsi assuré. La symbolique spécifique des jeux de Titus, telle que l’évoque notamment Martial, est ensuite mise en évidence. N.T. Elkins revient également sur l’hypothèse liant ces jeux à la divinisation de Vespasien.

Le dernier chapitre, intitulé « The Colosseum in Flavien Art and Litterature » commence par revenir sur le Livre des spectacles en tant que document sur les munera de Titus et de Domitien, mais surtout sur la manière dont le poète célèbre la nouvelle dynastie en les évoquant. Rappelant ensuite le lien des images et des symboles figurant sur les revers des monnaies impériales avec les succès, les réalisations et plus généralement les sujets privilégiés sous tel ou tel règne, l’auteur établit un parallèle entre les thèmes développés par Martial et ceux des émissions monétaires de Titus et Domitien consacrées à l’amphithéâtre et à ses spectacles. Que le choix des motifs ait été directement à l’initiative de l’empereur ou plutôt à celle de membres du Sénat désireux de faire leur cour au prince, comme le propose N.T. Elkins, ne change rien à leur symbolique, qu’il met clairement en évidence.

L’épilogue de l’ouvrage, enfin, retrace l’histoire du monument après la dynastie flavienne. Après avoir évoqué le déclin des munera dans l’empire tardif, l’auteur souligne surtout nettement le caractère très douteux d’une autre idée reçue selon laquelle le monument aurait été le cadre de nombreux martyres chrétiens, alors qu’aucun document ancien n’en porte témoignage. Mais il rappelle aussi de manière très judicieuse l’importance que cette croyance eut pour la conservation du monument sous la papauté, avant de consacrer les derniers paragraphes à ce qu’il peut évoquer de nos jours dans l’imaginaire collectif.

Cet ouvrage, qui relate d’une manière à la fois bien documentée et agréable à lire l’histoire du Colisée sous la dynastie flavienne, peut apprendre l’essentiel sur le sujet aussi bien au grand public qu’à des antiquisants non spécialistes de la question.

 

Anne Bajard, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607 – Institut Ausonius

Publié dans le fascicule 1 tome 123, 2021, p. 316-319

 

[1]. A. Berlan Bajard, Les spectacles aquatiques romains, Paris 2006, p. 175-177.

[2]. L’hypothèse avait déjà été proposée par B.L Damsky, dont l’article « The throne and curule chair types of Titus and Domitian », Schweizerische numismatische Rundschau 74, 1995, p. 59-70) est cité par l’auteur.

[3]. Outre l’article pionnier de K. Coleman (« Fatal Charades: Roman Executions Staged as Mythological Enactments », JRS 80, 1993, p.44‑73) et son édition du Livre des spectacles de Martial (Oxford 2006) que cite N.T. Elkins, il aurait été possible de mentionner notamment l’article de S. Tuck, « Spectacle and ideology in the relief decorations of the Anfiteatro Campano at Capua », JRA 20, 2007, p. 255‑272, qui a montré que ces reliefs évoquaient de tels spectacles mythologiques. Depuis est également parue sur la question la monographie de A. Berlan‑Bajard, Images, spectacles et pouvoir à Rome, les scènes historiques et mythologiques dans les munera, Bordeaux 2019.

[4]. G. Ville, La gladiature en occident des origines à la mort de Domitien, Paris 1981.

[5]. On peut citer notamment l’ouvrage d’E. Teyssier, La mort en face. Le dossier gladiature, Arles 2009, qui a repris de manière systématique la documentation sur les différentes armaturae.

[6]. K.M. Coleman, « Launching into History: Aquatic Displays in the Early Empire », JRS 83, 1993, p. 44-73.

[7]. L’ouvrage déjà cité de A. Berlan Bajard, Les spectacles aquatiques romains, qui étudie les origines, les modalités et la symbolique des naumachies, entre autres celles des Flaviens, n’est pas mentionné. L’ouvrage de G. Cariou (Morituri te salutant, Paris 2009) est signalé en note, mais sans que ses hypothèses sur la mise en eau de l’arène soient exploitées.