Ce livre est une version remaniée d’une thèse de doctorat préparée sous la direction de Jean-Christian Dumont et soutenue en 2005 à l’Université Charles de Gaulle-Lille III. Il porte sur la présentation, ou représentation, de soi dans les lettres de Cicéron, plus particulièrement dans les lettres à Atticus, à Quintus « et à d’autres correspondants privilégiés » (p. 13). Après une introduction générale, l’ouvrage se divise en deux parties, de longueur égale. La première partie (p. 41-156) traite de la présentation sociale de soi face au correspondant. Il s’agit d’abord de mettre en lumière les formes et les contraintes qui président à la figuration de soi. Celles-ci sont liées aussi bien à la nature propre de la communication épistolaire, ce « discours des absents » (chapitre premier), qu’à la conception romaine de l’amicitia (chapitre 2). Le chapitre premier montre que la lettre familière incarne « une tension entre absence et présence des co-énonciateurs, entre écriture et oralité, entre monologue et dialogue, entre solitude et amitié » (p. 61). Le chapitre 2 situe l’échange épistolaire dans le cadre de l’amicitia romaine et des obligations qu’elle entraîne : la présentation de soi doit s’adapter à la personne du destinataire, à sa dignitas, ainsi qu’aux circonstances. Le chapitre 3 confronte la notion cicéronienne de persona et le concept de « face » développé par la micro-sociologie goffmanienne et les interactionnistes, ce qui donne lieu, notamment, à une étude des séquences d’ouverture et de clôture de la lettre. Enfin le chapitre 4 est consacré à la lettre comme « portrait d’âme » (selon l’expression du rhéteur Démétrios, Du style, 227) et comme réalisation de la parole de conversation, analysée par Cicéron dans le De officiis.
La seconde partie (p. 157-264) aborde « trois modalités de l’usage de soi » (p. 40), trois formes de « l’expérimentation de soi-même » (p. 157). Le chapitre 5 traite de l’exercice de la délibération dans les lettres écrites en 49, au début de la guerre civile : dans ces lettres, « il s’agit d’évaluer avec l’amicus les circonstances et les choix d’actions possibles. Il s’agit aussi de s’évaluer soi-même » (p. 162). Le chapitre 6 s’intéresse aux « formes d’expérimentation de soi-même en relation avec l’espace choisi des villas » (p. 40) : si la villa est à l’image de son propriétaire, elle influe également sur les pensées et sur les sentiments de celui-ci. Enfin le chapitre 7 est consacré à la question des genres de vie, envisageant notamment les moments où l’épistolier, aux prises avec les difficultés de la vie politique, apparaît tenté par le masque du philosophe (une remarque de détail : contrairement à ce qui est dit p. 259, l’Anticaton de César ne répondait pas au Cato Maior, mais à la Laus Catonis, ouvrage de Cicéron rédigé à la demande de Brutus et aujourd’hui perdu, qui faisait l’éloge de Caton d’Utique, Cato Minor donc). L’ouvrage se termine par une abondante bibliographie (p. 269-298) et par un index des passages cités.
Cette étude repose sur une connaissance approfondie des lettres de Cicéron et de la Sekundärliteratur. Pour Jean-Pierre De Giorgio, la lettre familière, à l’époque de Cicéron, est avant tout « un espace où réfléchir sur l’image [de soi] politique, sociale et éthique qu’il faut composer et qui conviendra à la situation à venir. L’amicus est appelé, par le conseil et le dialogue à distance, à collaborer à cette construction » (p. 263). Cet aspect est certes présent dans certaines lettres, mais il ne nous paraît pas avoir l’importance qui lui est ici conférée. Il nous semble quelque peu réducteur de définir Cicéron épistolier comme « l’homme qui s’exerce pour présenter un visage adéquat » (p. 266). Par la richesse et la finesse des analyses, cet ouvrage stimulant n’en est pas moins une intéressante contribution à notre connaissance de l’œuvre épistolaire de l’Arpinate.
François Guillaumont