Dans le monde antique les notions géographiques n’ont pas la même rigueur de celles d’aujourd’hui. Malgré les tentatives d’Ératosthène de Cyrène (c. 276-194 av.J.-C.) pour donner un caractère « scientifique » aux termes géographiques, les découpages des territoires habités restent flous et les noms même qu’on leur attribue varient au gré de leur histoire. Ainsi, dans cette partie du monde qu’on nomme aujourd’hui le Proche-Orient, le Moyen-Orient ou le Levant, le terme de Coelé-Syrie recouvre, selon les périodes, des éléments de la Judée, de la Palestine et de la Pérée.
Les frontières des mondes antique, grec et romain, ne ressemblent guère à celles du monde contemporain, même si pour les besoins de la fiscalité, des communications et des ressources naturelles chaque empire a mis en place un système dont on trouve, par exemple, un reflet dans les traités d’arpentage romain. On mesure la difficulté de la recherche qu’ont menée les auteurs. Dans un ouvrage dense, d’une lecture austère et d’une érudition magistrale (253 notes pour 125 pages de textes), ils ont tenté d’éclairer une obscurité sur laquelle bute tout lecteur qui tente d’y voir plus clair et se pose des questions simples dont les réponses sont terriblement complexe : A quel moment parle-t-on de Palestine et de Judée ? Quelle est leur place dans la Syrie hellénistique, puis dans la province romaine de Syrie (on sait, par exemple, que, sous l’empire, le préfet de Judée, dépend de son puissant voisin le gouverneur de Syrie) ? Que signifie exactement le terme de Coelé-Syrie ?
La longue et riche introduction (pp.1-22) donne déjà des éléments de réponse que vont développer les six chapitres suivants. Commençons par les Grecs et, au premier chef, par « le père de l’Histoire », Hérodote. Il semble bien qu’il ait été le premier à mentionner la Palestine comme région. Le pays des Philistins, comme le nomment les Egyptiens, s’étend d’abord de Gaza au mont Carmel sur la côte et dans l’arrière-pays. Espace qui s’étendra plus tard du Sinaï jusqu’au Jourdain et au fleuve Litanie. Pour Hérodote, il n’y a pas de confusion possible avec la Phénicie : il connaît bien les Phéniciens qu’il identifie comme un peuple. Ce qui n’est pas le cas des Palestiniens. En fait chez les Grecs (chapitre I), les mentions de la Palestine sont fort peu nombreuses et il faudra attendre la conquête romaine, Pompée d’abord, Vespasien et Titus ensuite pour que réapparaisse le mot auquel Hadrien va donner un sens administratif en organisant, après la seconde Guerre juive, la province de Syria Palaestina.
Du côté des auteurs juifs contemporains on tente d’expliciter, en remontant à la Bible, les rapports entre les termes « Coelé-Syrie », « Palestine » et « Phénicie ». Philon d’Alexandrie explique, dans la Vie de Moïse, 1.163, que Moïse devait installer les Israélites « en Phénicie, en Coelé –Syrie et en Palestine, pays alors « appelé « des Cananéens », dont la frontière était à trois jours de marche de l’Égypte. »Josèphe, lui, emploie rarement le terme « Palestine » qu’il semble identifier à la Judée élargie. La Phénicie pose moins de problèmes : les communautés phéniciennes n’ont jamais formé un état et les Phéniciens étaient pour les Grecs des individus originaires des côtes syriennes ou des habitants de l’arrière-pays.
Le chapitre II, « La Coelé –Syrie avant Alexandre » est tout entier consacré à trois témoignages. Celui de Josèphe (CAp 1.179) indique clairement que la Coelé-Syrie est une partie intérieure de la Syrie qui inclut la Judée. Théophraste, dans son Histoire des plantes, identifie la Coelé-Syrie avec la « Vallée de Syrie », où l’on trouve les dattes qui se conservent le mieux. Le périple du Pseudo-Scylax, contemporain d’Alexandre, désigne par le nom de Coelé –Syrie la partie méridionale de la région côtière de la Syrie.
Les choses vont changer dès le IIIème siècle av. J.-C. lorsque Lagides, Séleucides, Juifs et Romains occupent la région (chapitre III). Strabon distingue deux Coelé-Syrie, l’une historique et l’autre contemporaine, celle-ci correspondant à la périphérie de la province de Syrie et aux villes de l’ensemble nommé « Décapole ».
Le chapitre IV est tout entier consacré au témoignage de Josèphe qui voit la Coelé-Syrie de l’intérieur. Pour lui elle n’a pas une définition fixe, la géographie se mêlant à l’histoire. Les Romains (chapitre V) donnent à la Coelé-Syrie une définition qui tient compte des royaumes clients et des provinces. Pline l’Ancien n’y voit pas un bloc homogène. Les redécoupages de l’ensemble varieront d’ailleurs tout au long de l’Empire romain.
La conclusion (en VI) s’appuie sur trois auteurs modernes : Félix-Marie Abel (1938), Elie Bikerman(1947) et Maurice Sartre (1985). Le premier reprend les définitions de Strabon, le deuxième souligne le caractère grec du nom de Coelé-Syrie, le troisième observe que l’usage d’un terme ne correspond pas forcément à sa définition administrative.
La conclusion tente une synthèse de toutes les définitions, insiste sur le caractère grec de la locution « Coelé-Syrie » et note qu’à partir de Pline l’Ancien le terme bascule de la Syrie du Sud vers la Syrie du Nord.
Voici donc brièvement résumée un ouvrage qui tente d’éclairer une réalité antique fort complexe qui ne correspond pas à nos critères géopolitiques modernes.
Claude Aziza, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III
Publié en ligne le 12 juillet 2018