Gonzalo Bravo et Raúl González Salinero éditent les actes du colloque AIER qui s’est déroulé à Madrid les 20-22 novembre 2013. Le titre de l’ouvrage traduit bien les intentions des organisateurs, rappelées dans une courte introduction : comment les réflexions sur les conditions de conquérant, puis de conquis vécues par les Romains ont-elles eu un impact sur la nature de la domination romaine. L’ouvrage couvre donc l’ensemble de l’histoire romaine et de l’Empire romain.
Le sommaire distingue 17 articles répartis dans cinq thèmes (les conférences du colloque), p. 19-336, et 16 autres placés sous le chapeau « Comunicaciones », p. 337-613 ; une distinction qui n’a pas forcément d’incidence sur la longueur et la qualité de ces derniers, rédigés par des doctorants ou de jeunes docteurs. Ainsi, parmi ceux qui s’intègrent bien dans la problématique du livre, certains, moins narratifs que d’autres et présentant une discussion historiographique solide, offrent un point de vue stimulant et qui pourra être approfondi dans les thèses en cours : Enrique Hernández Prieto « Capturados vivos: hispanos, púnicos, mercenarios y rebeldes en las primeras décadas de la conquista romana de la Península Ibérica » ; María de los Reyes de Soto García, « Conquistadores y conquistados: romanos y vettones a través de las fuentes arqueológicas en el valle del río Almar » ; José Manuel Aleda Celada, « Los santuarios oraculares de Apolo durante la conquista romana de Grecia y Asia Menor » ; Ruben Olmo López, « Pacisque imponere morem: los gobernadores provinciales y la imposición del orden romano a los conquistados en Occidente (siglos I a. C.- I d. C.) » ; Helena Gozalbes García, « Barbara capta : conquista y conmemoración en las monedas romanas de época altoimperial » ; Jaime de Miguel López, « El enemigo dentro de Roma : la traición de Gaínas (y Tribigildo) que supuso el rapto de los consejeros más cercanos a Arcadio » ; Jorge Cuesta Fernández, « Conquistadores y conquistados en la retrospectiva cristiana tardoantigua. Génesis y decadencia de Roma según Paulo Orosio (siglo V) ».
Par ailleurs, deux de ces « communications » traitent d’un point spécifique de manière très convaincante :
Diana Balboa Lagunero, pose la question de l’existence de suffètes sous la domination romaine (résistance punique ou promotion romaine ?) sous l’angle de la langue et de l’écriture puniques en valorisant différents parcours.
Manuel Parada López De Corselas, analyse l’iconographie de l’« épée de Tibère » trouvée près de Moguntiacum et conservée au British Museum, témoignage non seulement de la commémoration de la victoire, mais aussi de l’architecture militaire.
Pour initier la recension du reste de l’ouvrage, soit les 17 « articles », il me faut ici dénoncer un plagiat. Miguel Ángel Novillo López a intitulé son article « Julio César y el genocidio de usípetes y téncteros » (p. 91-102). Après quelques considérations surprenantes (César était-il malade, obsédé, fou ou psychopathe ? Quand il n’était pas au lit avec la femme d’un autre, il planifiait un massacre), il présente en deux pages et demie la Guerre des Gaules de Jules César et son arrivée en Gaule. À partir de la page 95 commence le traitement du sujet à proprement parler, pour lequel l’auteur soit cite de longs extraits de l’œuvre de César, soit recopie des passages du livre de L. Canfora, Giulio Cesare. Il dittatore democratico, dont les propos les plus originaux du savant italien. Ce sont plus de 100 lignes de l’article qui sont celles de L. Canfora, mentionné uniquement en note 2 (p. 91) avec tous les historiens qui ont rédigé des monographies sur César. À aucun moment M. A. Novillo López n’utilise de guillemets ou place une note après un passage recopié (traduit bien sûr). On ne sera donc pas étonné que certains historiens dont l’apport est relaté dans le corps du texte et auxquels fait référence L. Canfora n’apparaissent pas dans la bibliographie de M. A. Novillo (la moitié de ses références bibliographiques sont placées dans une note sur les portraits monétaires de César p. 92 !). Par ailleurs, l’article ne témoigne d’aucune approche critique sur un sujet pourtant polémique (le génocide). Voici quelques exemples du plagiat qu’il serait trop long de mentionner en totalité :
Texte de M. A. Novillo López p. 99 : « La opinión por parte de los contemporáneos acerca de la campaña de Cesar no parece demasiado entusiasta. Tambien esto es un elemento que se ha de tener en consideración cuando se valora la percepción de los ‘efectos a largo plazo ‘ de la campaña gálica y se sobrevalora teleológicamente la ‘fatalidad’ de tales efectos en una única trayectoria ».
Texte de L. Canfora, p. 132 : « La considerazione da parte dei contemporanei della campagna gallica di Cesare non sembra entusiastica. Anche questo è un elemento di cui tener conto quando si valuta la percezione degli ‘effetti di lungo periodo’ della campagna gallica e si sopravvaluta teleologicamente la “fatalità” a senso unico di tali effetti ».
Texte de M. A. Novillo López p. 99-100 : « es necesario traer a colación el popularmente conocido como libro negro de la conquista de la Galia, que Plinio el Viejo recogió en el séptimo libro de la Naturalis Historia (91-99). En dicho libro, se parangonan los crímenes cesarianos con el muy diverso balance de la carrera político-militar de Pompeyo –sin contar la grand cantidad de víctimas provocadas por el conflicto civil-. Según Plinio, hay de recordar el 1.200.000 masacrados por el procónsul con el único propósito de conquistar la Galia. Lo acusa, asimismo, de haber ocultado voluntariamente las cifras reales de la gran masacre : ‘no revelando la entidad de la masacre causada por las guerras civiles, César reconoció la enormidad de su crimen (Plin., NH., VII, 92)’. Por otro lado, otros historiadores más complacientes, como es el caso de Veleyo Patérculo, hablaban de 400.000 muertos en la Galia, y otros tantos o más prisioneros (II, 47, 1) ».
Texte de L. Canfora, p. 135-136 : « Il “libro nero” della conquista romana della Gallia lo scrisse Plinio il Vecchio. Nel settimo libro della Storia naturale (91- 99). È un “libro nero” – per usare un’espressione ora in voga – di straordinaria durezza. Vengono lì messi a paragone i crimini di Cesare con il ben diverso bilancio della lunga carriera politico-militare di Pompeo. Senza contare i moltissimi morti causati dalla guerra civile, provocata da Cesare col passaggio del Rubicone, quattro anni di efferata guerra fratricida dovuta all’ambizione di un uomo, senza procedere dunque a questa contabilità relativa al conflitto civile, bisogna ricordare – scrive Plinio – il milione e 200.000 morti massacrati da Cesare al solo fine di conquistare la Gallia. […]. E accusa Cesare di avere per giunta occultato le cifre del grande massacro: ‘non rivelando l’entità del massacro causato dalle guerre civili, Cesare ha riconosciuto l’enormità del suo crimine’ (VII, 92). Storici più compiacenti, come Velleio Patercolo, parlano di 400.000 morti in Gallia e altrettanti e più prigionieri (II, 47, 1) ».
Texte de M. A. Novillo López p. 100‑101 (conclusion) : « Naturalmente, la romanización de las Galias fue un fenómeno de tales proporciones históricas que se hace necesario que nos planteemos si la contabilidad de los muertos propuesta por Plinio con rotunda claridad no debería ceder el paso a lo que podría considerarse el acontecimiento decisivo de la formación de la Europa medieval y más tarde moderna, es decir, la romanización de los celtas debida a la conquista cesariana […] ¿ qué Europa habría existido sin César ? El sucesivo debate respecto a la figura y obra de César gira en torno a un problema completamente distinto : la cuestión de si la ambición, y no el propósito de abrir el paso a una nueva historia, representó para él el estímulo para actuar ».
Texte de L. Canfora, p. 138 : « Naturalmente la romanizzazione della Gallia è fenomeno di tali proporzioni storiche da imporre la domanda se la contabilità dei morti proposta da Plinio con estrema chiarezza (e con l’accusa bruciante a Cesare di aver nascosto le cifre) non debba tuttavia cedere il passo, in sede di bilancio storico, a quello che può considerarsi l’evento cruciale nella formazione dell’Europa medievale e poi moderna: la romanizzazione dei Celti, dovuta appunto alla conquista cesariana […] ‘che Europa avremmo avuto senza Giulio Cesare’ […] Il dibattito successivo riguardo la figura di Cesare ruota infatti intorno a tutt’altro problema: intorno alla questione se l’ambizione, e non il proposito di aprire il varco ad una nuova storia, abbia rappresentato in lui la molla per l’azione ».
Ce ne sont là que quelques extraits, mais je crois qu’ils sont suffisamment parlants et je renvoie le lecteur au reste de l’article de M. A. Novillo López, qui plagie aussi les pages 118-120 et d’autres phrases du chapitre XV du livre de Canfora (et il est possible que d’autres passages m’aient échappé).
Ceci dit, on peut revenir sur le reste de l’ouvrage. Les cinq thèmes traités sont : « Guerre et armée », « Ennemis de Rome », « La conquête de l’Hispanie : peuples et gouvernement » ; « Et après la victoire ? » ; « Romains et barbares ». Étant donné le nombre d’articles, les contingences d’une recension et la nécessaire mise au point sur l’article de M. A. Novillo López, j’espère que l’on me pardonnera la sélection opérée et un propos à vocation informative.
Jonathan Edmonson offre une réflexion personnelle très stimulante sur l’histoire de la conquête romaine de la péninsule Ibérique. Il replace alors le conquérant au cœur des réflexions historiques sur l’impérialisme, tout en apportant un regard critique sur les approches historiographiques récentes (notions de frontières et d’ethnies, usage politique de la victoire, les relations entre le Sénat et les gouverneurs, regards portés par le vainqueur sur les vaincus, etc.).
Fernando Fernández Palacios et Pilar Fernández Uriel analysent avec un regard critique et rigoureux la révolte de Boudica (contexte, causes, déroulement) et de manière plus inédite sa mise en scène.
Francisco Javier Guzmán Armario se penche sur le projet de conquête de la Perse de l’empereur Valérien ; les interrogations soulevées par l’auteur sur un sujet à la documentation laconique sont bienvenues.
Gonzalo Bravo analyse les motivations, les atouts et faiblesses de Zénobie et rend compte d’une évolution de la diplomatie romaine sous l’empereur Aurélien : la démonstration de force fut suivie d’une certaine clémence, vis-à-vis de Zénobie comme de Tetricus, que l’auteur qualifie de pragmatisme.
Narciso Santos Yanguas présente les premières conséquences de la présence romaine dans les Asturies, en rappelant qu’il s’est agi d’abord de contrôler et non d’occuper l’ensemble d’un territoire : seules les terres agricoles ou minières ont requis une installation. Ainsi l’intégration des astures transmontanos passa par le recrutement militaire ou minier et par l’installation de certains dans la plaine.
Enrique Gozalbes Cravioto rend compte de l’évolution du regard romain sur l’Afrique et les Africains aux IIe et Ier siècles av. J.-C. en insistant sur la place des composantes du pouvoir en Afrique dans les décisions prises par Rome, entre guerres et alliances.
Raúl González Salinero, analyse le premier regard porté par Quodvultdeus sur son évêché de Carthage à l’arrivée des Vandales, distingués par leur apparence, et responsables selon lui de l’abandon de certains territoires. Il estime également que les commerçants affament le peuple. C’est enfin une vision très critique de ses ouailles dont certaines cèdent aisément à l’arianisme.
D’autres articles moins directement liés à la problématique du livre peuvent malgré tout intéresser les chercheurs selon les domaines traités : Sabino Perea Yébenes étudie les sources utilisées par l’Arménien Moïse de Khorène lorsqu’il aborde des épisodes en relation avec Rome ; Eva María Morales Rodríguez analyse l’épigraphie des légions du Haut Guadalquivir ; Alejandro Fornell Muñoz présente les conditions de la domination romaine dans cette même région ; Juan Luis Posadas propose une lecture de La Germanie de Tacite.
Nathalie Barrandon