Ce volume constitue les actes de la Ninth Celtic Conference in Classics organisée en juin 2016 à l’University College de Dublin à l’initiative d’A. Powell. Suite au décès prématuré de ce dernier – l’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur une note de K. Welch dédiée à sa mémoire, l’édition a été menée à bien par A. Burnett qui a également rédigé l’introduction. Les 11 communications publiées s’articulent autour d’un angle d’approche original : s’interroger sur l’apport spécifique de la numismatique à notre connaissance des années 49 av. J.-C. à 14 apr. J.-C., soit du début de la guerre civile entre César et Pompée à la mort d’Auguste. Cette période cruciale est bien connue par de nombreuses sources littéraires, mais qui présentent l’inconvénient d’avoir été en majorité rédigées plusieurs années après les faits par des auteurs à qui l’instauration du principat semblait inéluctable. Ce point de vue n’était évidemment pas celui des acteurs des événements, mais les documents contemporains susceptibles de faire entendre leurs voix sont rares, à l’exception des monnaies. Celles-ci présentent en outre l’intérêt de ne pas avoir été uniquement émises par les grands imperatores, mais également par des personnages de moindre envergure comme Q. Cornificius. On distinguera au sein de cette période le temps des guerres civiles, qui fait l’objet de sept communications, et le règne d’Auguste auquel sont consacrées quatre communications.
Sans surprise, les études sont essentiellement typologiques. R. Laignou, p. 1-42, procède à une comparaison des types utilisés par les six principaux compétiteurs des années 44-29 (Brutus, Cassius, Octave, Marc Antoine, Lépide et Sextus Pompée). Elle conclut à l’existence d’un discours assez similaire malgré les divergences politiques. Ainsi, tous sauf Cassius confisquent la monnaie à leur profit, en y faisant figurer leur portrait et leur titulature. Tous se réclament des mêmes valeurs et promettent la victoire et la prospérité. Et tous s’adressent en priorité aux soldats. Même le choix des divinités n’est pas aussi tranché que dans les sources littéraires : on n’observe aucune préférence d’Octave pour Apollon, ni de Marc Antoine pour Hercule ou Dionysos. Il existe cependant des nuances. Ainsi, Octave met plus en avant sa personne, tandis que Marc Antoine inclut des membres de sa famille et des subordonnés. L. Carbone, p. 43-77, souligne l’importance des innovations introduites par Marc Antoine dans le monnayage de bronze en Orient. Celles-ci sont de trois ordres : iconographique, avec des portraits de Marc Antoine et de ses épouses successives (Fulvie, Octavie, Cléopâtre), mais aussi de gouverneurs comme L. Sempronius Atratinus ; informatif, avec des marques de valeur permettant aux utilisateurs de se familiariser avec les espèces romaines ; métrologique, avec l’introduction de l’étalon quart-oncial, parfois allégé, qui facilite les équivalences entre les poids romain et hellène. Ces mesures posent les bases d’un système qui sera repris par Auguste et ses successeurs, signe de son efficacité. Les émissions des chefs républicains réfugiés en Afrique après la défaite de Pharsale, Caton d’Utique et Q. Caecilius Metellus Pius Scipion Nasica, sont analysées par Cl. Devoto et B. Spigola, p. 79-96. Ces dernières font apparaître un grand contraste entre les deux hommes, Caton choisissant des types uniformes et dépourvus d’originalité, volontairement traditionnels, tandis que Scipion et ses légats optent pour des types variés, à la fois complexes et novateurs, comme dans le cas de la déesse égyptienne Sekhmet. Dans la lignée de l’article précédent, G. de Méritens de Villeneuve, p. 97-112, se penche sur les émissions de Q. Cornificius, gouverneur de l’Africa Vetus de 44 à 42. Peu nombreuses, celles-ci présentent une intéressante variété de types avec des motifs originaux comme Jupiter Ammon ou encore Cérès-Tanit. C’est à un aspect particulier du monnayage de Sextus Pompée qu’est consacré l’article de D. Wright, p. 113-122. Ce dernier s’est concentré sur l’utilisation de Scylla dont la présence, notamment au revers du denier RRC 511/4, serait un message adressé à l’Italie du Sud, une région potentiellement favorable à Pompée où Scylla était considéré comme un être protecteur. H. Cornwell, p. 123-144, réfléchit au type de Pax (orthographié PAXS) qui apparaît pour la première fois sur un quinaire de 44 av. J.-C. (RRC 480/24). Pax vient s’ajouter à une dizaine de personnifications comme Concordia, Libertas ou Pietas dont l’emploi numismatique dépend étroitement des circonstances politiques du moment. A. Suspène et J. Chausserie-Laprée, p. 145-155, présentent un nouveau trésor de 48 aurei mis au jour en 2015 lors de fouilles à Martigues. On y trouve des pièces au nom de Hirtius (4), Plancus (4) et Marc Antoine (3), ainsi que 26 aurei d’Octave aux légendes IMP CAESAR et CAESAR DIVI F. Deux points sont remarquables : d’une part, les liaisons de coins suggèrent que l’ensemble est issu d’un même congiaire mélangeant une majorité d’aurei d’Octave à quelques pièces de son rival ; d’autre part, de nombreuses monnaies ont été volontairement endommagées, parfois au point de ne plus être identifiables, signe de l’indifférence à leur message. A. Russell, p. 157-173, revient sur la question de l’abréviation SC figurant au revers des monnaies de bronze d’Auguste. Sans chercher à préciser la signification politique de ces lettres, dont le développement en S(enatus) C(onsulto) ne fait guère de doute, elle s’interroge sur la réception par les utilisateurs du message qu’elles véhiculaient. Les émissions des tresuiri monetales de 19 (?) av. J.-C. (L. Aquilius Florus, P. Petronius Turpilianus et M. Durmius) font l’objet de deux communications, l’une de Cl. Rowan, p. 175-192, l’autre de D. Woods, p. 193-210. La première souligne combien ces monnaies, en reprenant des types plus anciens, s’insèrent dans un vaste mouvement de création d’une mémoire historique commune sous Auguste. Le second montre l’importance de prendre en considération l’ensemble des émissions de ces trois monétaires, ce qui fait apparaître certaines règles complexes mais précises sur le choix des types (en particulier, le mélange entre une face consacrée à l’empereur et l’autre au monétaire). Il conclut à l’existence d’une sorte de thème imposé consistant en un jeu de mots sur le nom du monétaire. Dans la dernière contribution du volume, B. Greet, p. 211-231, s’intéresse à l’emploi de l’aigle dans les émissions monétaires d’Auguste. Cet animal polysémique, qui renvoie tant à Jupiter qu’aux légions romaines, serait aussi une incarnation de l’empereur lui-même. Son utilisation n’est pas toujours dépourvue d’ambiguïté, comme dans une pièce égyptienne où la tête d’Auguste est associée au traditionnel aigle ptolémaïque.
Si les communications emportent globalement la conviction, certaines de leurs affirmations auraient dû être nuancées ou étayées. On prendra ici deux exemples. A propos des légendes des compétiteurs des années 44-29, il est inexact de dire (p. 10) que les fonctions religieuses et les prêtrises sont moins prestigieuses que les charges civiles : les titulatures impériales, certes postérieures, montrent au contraire l’importance donnée à la religion. Dans la discussion sur l’aigle comme symbole augustéen, la position des ailes aurait mérité une analyse, car elle varie selon qu’il s’agit de l’enseigne légionnaire ou de l’animal de Jupiter (p. 213). Ces quelques remarques de détail n’ôtent rien à l’intérêt de ce volume de lecture agréable qui atteint l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir montrer l’apport de la numismatique à la connaissance des guerres civiles et du début du principat, tout en ouvrant de nouvelles et stimulantes perspectives de recherche.
Christophe Schmidt, université de Genève, Unité d’archéologie classique
Publié en ligne le 23 septembre 2022.