Ce volume est un travail collectif dirigé par Philip Betancourt, professeur à la Tyler School of Art de Temple University, spécialiste de céramique et de métallurgie et fin connaisseur de l’archéologie crétoise. Ph. Betancourt a su réunir une large équipe de scientifiques pour étudier le site de Chrysokamino et la métallurgie crétoise de l’Âge du Bronze, notamment l’extraction du cuivre par fusion. Il s’agit d’une présentation exemplaire de l’organisation, de la mise en place, du déroulement et de la publication d’une recherche archéologique, où trente deux chercheurs {{1}} (archéologues, métallurgistes,physiciens, géologues, spécialistes de la faune et de la paléobotanique et d’autres domaines encore) ont étudié à fond les questions que ce site a suscitées.
Le site fouillé, dont le toponyme toponyme Chrysokamino, qui signifie « fourneau à or », n’évoque pas le bon minerai, puisque c’était en fait un atelier de fonte de cuivre, se situe sur la côte est du golfe de Mirabello, en Crète orientale, à l’ouest du village moderne de Kavousi, lieu d’un habitat de l’Âge du Bronze fouillé également par des archéologues américains. Les recherches sur le site ont été conduites de 1995 à 1997 et ont mis au jour des activités humaines remontant à la fin de l’époque néolithique, un atelier de métallurgie, abandonné au Minoen Ancien III, un habitat occupé jusqu’en Minoen Récent III et une grotte utilisée comme lieu de sépulture tout au long de cette période.
Dans son « Introduction », Ph. Betancourt évoque l’origine du projet, le travail interdisciplinaire et le but des recherches qui était de comprendre le développement diachronique de l’atelier métallurgique local et de le placer dans un contexte plus général. Le volume comporte trois parties.
La 1ère partie (ch. 1-2, p. 3-44) présente la topographie et l’environnement naturel du site, avec sa petite ferme occupée jusqu’au MR III B et son atelier métallurgique à 600 m au N.-O., la grotte funéraire de Thériospélio au N.-E. de l’atelier, l’habitat et le petit golfe d’Agriomandra au débouché d’un ravin, qui servait probablement de port. Avec un réseau routier limité et des ressources naturelles pauvres, ce site n’aurait jamais pu nourrir une nombreuse population. Aucun indice ne permet d’affirmer l’existence de minerai de cuivre, mais le site élevé et venteux où se trouve l’atelier est conforme à celui d’un atelier de fonte de l’époque : deux questions qui sont développées dans la partie suivante.
La 2e partie (ch. 3-14, p. 47-189), qui est la partie principale, présente les résultats des fouilles de l’atelier de fonte à Chrysokamino et son rôle dans la métallurgie de l’Âge du Bronze. Des catalogues exhaustifs, accompagnés de dessins et de descriptions de toutes les trouvailles, y sont présentés. La première occupation du site daterait de la fin de l’époque néolithique et la structure absidale retrouvée à proximité aurait servi de cuisine pour les ouvriers saisonniers. Les tessons de céramique retrouvés sont en argile locale : un grand nombre d’entre eux appartiennent à des cheminées posées sur des fours creusés probablement dans la terre, mais qui n’ont pas encore été repérés. Pour la fonte on profitait du vent puissant qui souffle localement, comme dans les autres lieux de fonte retrouvés dans le monde grec (par ex. Kythnos). Cette opération était complétée par des soufflets avec des tuyaux en terre cuite dont des tessons ont également été retrouvés ; l’auteur, qui nous rappelle que de tels soufflets sont représentés sur la fresque de la tombe de Rekh-mi-re en Égypte, en propose une restitution graphique. Comme il n’existe pas de gisements de cuivre dans la région on suppose, avec de bons arguments, que le minerai était importé d’autres régions minières, peut-être du Laurion et de Kythnos, mais le cuivre de ces régions n’a pas exactement la même composition. En règle générale, un premier tri était effectué sur l’emplacement des mines, avant que le minerai ne soit transporté par terre ou par mer vers les ateliers de fonte, comme celui de Chrysokamino. Le produit de la fonte était par la suite acheminé vers d’autres ateliers crétois de fabrication d’objets, comme en témoigne l’absence totale de tout produit fini sur le site. L’entreprise aurait été organisée par une autorité centrale.
La 3e partie (ch. 5-22, p. 193-228) expose la prospection du territoire afin de placer le site de Chrysokamino dans son contexte historique, géographique et social. Non loin de l’atelier se situent l’habitat principal, le port et la grotte funéraire dont l’étude donne la date de la première occupation à la fin de l’époque néolithique. Mais Chrysokamino se trouve à proximité d’autres centres connus de l’Âge du Bronze, comme Mochlos, Pseira et, le plus important, Gournia, qui contrôlait l’économie de la région. La phase prospère se termine par des destructions dans toute la région et l’habitat de Chrysokamino est abandonné au MR IIIB.
Le volume est complété par quatorze annexes (p. 281-432) qui présentent des analyses scientifiques des vestiges (analyse pétrographique, détection d’arsenic dans les restes du cuivre retrouvé), la reconstitution expérimentale de la fonte du cuivre de Chrysokamino, ou qui répertorient les vestiges de toutes époques présents dans la région jusqu’à l’époque ottomane. Le texte est accompagné d’un grand nombre de cartes, de plans, de graphiques, de photos, d’une riche bibliographie et d’un index. Un livre complet, bien qu’on regrette parfois la qualité médiocre des photos, et que certains lieux importants n’aient pas été reportés sur les cartes et les plans, notamment Tholos, souvent cité dans le texte.
Cet ouvrage, présenté d’une manière claire et accessible même aux non spécialistes, est une étude approfondie du site de Chrysokamino, qui apporte de nouvelles connaissances sur les premières pratiques métallurgiques en Crète orientale, en montrant que ces activités sont plus anciennes dans le monde méditerranéen que ce que l’on pensait jusqu’alors. Par ailleurs, les contacts établis avec d’autres régions minières connues placent l’atelier en question dans un contexte plus large en enrichissant nos connaissances sur la métallurgie de l’Âge du Bronze. L’ouvrage contribue à l’effort commun qui se fait dans ce domaine, comme le prouvent les multiples colloques qui s’organisent sur le sujet, pour ne citer que le Symposium International sur la Métallurgie Égéenne à l’Âge du Bronze, organisé par le département d’Archéologie de l’Université de Crète en 2004.
Daphné Gondicas
[[1]] Armpis Eleni, Bassiakos Yannis, Beck Curt, Beeston Ruth, Betancourt Philip, Catapotis Mihalis, Crowell Brigit, Evely Doniert, Farrand William, Ferrence Susan, Floyd Cheryl, Gale Noel, Hafford William, Haggis Donald, Jones Glynis, Koukaras Byron, Muhly James, Myer George, Nodarou Eleni, Onyshkevych Lada, Palatinus Joe, Poulou-Papadimitriou Natalia, Powell Robert, Reese David, Schofield Ann, Shank Elisabeth, Sikla Evi, Stos Zofia, Stout Edith, Swann Charles, Thompson Christine, Yangaki Tanya.[[1]]