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L’idée était séduisante : relier, autour des productions fictionnelles sur l’Antiquité, celles issues de la culture populaire (roman historique, cinéma, bande dessinée) et celles issues d’une culture plus élitiste (réécritures d’épopées et de tragédies). On aurait eu ainsi une harmonieuse analyse qui aurait montré le tronc commun de ce type de fiction et ses racines lointaines (tragédie, opéra, peinture, sculpture) et la forêt de préjugés, d’ignorance et de mépris qui le masquent. Beau projet dont on craint bien qu’il n’ait pas été mené à son terme. Car il y a deux ouvrages en un…

Tout commence par une longue introduction, marquée au coin du jargon universitaire le moins approprié au sujet, avec force notes et surabondance de citations, comme si l’auteur éprouvait le besoin de s’appuyer sans cesse sur des béquilles.

On s’étonne ensuite, dans la première partie : « le péplum au cinéma » qu’il expédie (p.42) le mot péplum en deux lignes, ne semblant pas savoir que le cinéma français a toujours eu l’habitude de nommer les films historiques des « films à costumes », d’où le mot peplos, latinisé en peplum pour parler de l’Antiquité…

Dans la page suivante (43, avec une erreur sur le prénom d’Annie Collognat nommée « Anne » à la ligne 19), on regrette que VB n’ait pas eu un œil plus critique devant la stupidité de l’analyse de Roland Barthes dans « Les Romains au cinéma » ! Plus loin, p.51, s’il est exact que la dernière image du Spartacus de Kubrick a des allumes christiques, en fait il s’agit ici d’un schéma crucifixictionnel inversé : c’est le père qui est en haut (sur la croix) tandis que la mère lui présente le fils en bas (au pied de la croix). On appréciera modérément les longues pages (58-64) consacrés à l’Ulysse de Camerini : l’ironie un peu condescendante qui s’en dégage aurait pu être remplacée par une fructueuse comparaison –chronologie oblige- entre la reprise, dans l’immédiate après- guerre, de deux mythologies, celle biblique (Samson et Dalila de C.B. DeMille, 1949) et celle gréco-romaine. Plus loin, lors de l’analyse de La Chute de l’Empire Romain, il n’est pas exact de parler (p.79) de Timonides comme d’un stoïcien, alors qu’il est chrétien, ce que le spectateur découvrira lors de sa mort. Je passe rapidement sur la comparaison (p.96) incongrue et peu pertinente entre le Léonidas de 300 et Batman : le roi spartiate n’est pas personnage de BD milliardaire le jour et justicier la nuit !

Cette première partie (p. 3—107) justifie donc le titre et reprend des éléments bien connus et analysés depuis longtemps. On y voit avec étonnement une partie sur la BD, limitée à Alix, dont la longue analyse n’apporte aucun élément original, pas plus d’ailleurs que celle d’une autre BD, 300 de Frank Miller, avec laquelle la comparaison apporte une note de modernisme incongru.

Il faut cependant rendre grâce à VB de considérer avec sérieux le péplum (cf. p.55 : « Le péplum, en tant que genre moderne et populaire, serait-il à mettre du côté des jeux de l’amphithéâtre plutôt que de la République des lettres ? Non : il a aussi un pied dans les lettres et dans les préoccupations sérieuses. » ). Bien que la comparaison entre « les jeux de l’amphithéâtre » et la « République des lettres » me semble boiteuse, la réflexion de VB, fondée sur quelques films choisis, il est vrai, pourrait s’étendre à la quasi-majorité du corpus péplumesque.

Le second livre : « Et après ? » est sans doute le plus intéressant, qui apporte enfin des touches personnelles, sur les réécritures et cite opportunément quelques œuvres peu connues.   On aurait pu la titrer : « Et avant  ou « Et pendant ». Mais le « Et après ?» a un petit air de défi qui sonne bien. Passons sur la dénomination absurde de « roman péplum » et encore celle plus celle de roman « togé ». Absurde pour une raison fort simple : le péplum, terme apparu seulement en 1964, quasiment à la fin de ce que l’on nomme « le deuxième âge d’or », ne vise que le cinéma et encore ne s’agit-il de films d’un genre particulier, italiens et produits entre 1951 et 1964. C’est par un abus de langage et par commodité que le terme a été ensuite étendu à tous les films sur l’Antiquité. La comparaison entre « roman péplum » et « roman togé » (on comprend bien l’astuce !) indique qu’il y a deux types de romans sur l’Antiquité, alors qu’il y en a beaucoup plus. Par exemple, cette SF, que VB signale avec beaucoup de pertinence, où la range-t-on ?

La BD réapparaît dans un joyeux mélange (Époxy, Astérix, Péplum, érotisme, ringardise et laideur. On signalera que, contrairement à ce qu’affirme la page 182, le roman de Salgari, Cartagine in fiamme a certes inspiré un film mais c’est Carthage en flamme de Carmine Gallone (1959).

A ces réserves près, les chapitres 2 (Les réécritures d’épopées) et 3 (Les réécritures de tragédies) consacrés à la présence ou à la réécriture des mythes, dans la fiction littéraire et cinématographique sont passionnants. VB s’y montre nettement plus à l’aise, ses connaissances sont nombreuses et variées : il cite des auteurs souvent peu connus, sinon, par les amateurs de Fantasy, comme Thomas Burnett Swann (Le Cycle du Latium, 3 volumes, Points Fantasy, n°s P1670, P 1729, P1767 ou, par ceux de SF, comme Robert Silverberg (L’Homme dans le Labyrinthe, qui reprend l’histoire de Philoctète). Il aurait pu d’ailleurs, dans ce domaine, aller bien plus loin et montrer en quoi l’emploi de la SF pour parler d’Antiquité en dit long sur le statut de celle-ci dans notre société moderne.

Mais il montre fort bien que, dans les réécritures des épopées, on trouve des adaptations ou transpositions, ce qui – on le conviendra- n’est pas la même chose. Dans les réécritures des tragédies, plus nombreuses dans les adaptations cinématographiques, la dimension idéologique est importante. Encore que l’on ne sera pas forcément d’accord avec son analyse des adaptations des Médée d’Euripide et de Sénèque dans le cinéma contemporain (Pasolini et Von Trier), adaptations pompeuses et qui négligent la force du mythe au profit du clinquant de la nouveauté ou d’une vision tiers-mondiste tout à fait anachronique. Mais VB, qui donne d’excellents arguments en faveur de ces deux films –comme d’ailleurs la majorité des critiques de cinéma- a parfaitement le droit de n’être pas du même avis ! On aura compris que, pour lui, il y a deux types de cinéma sur l’Antiquité : le cinéma populaire et le cinéma destiné aux intellectuels. A chaque type de culture (ou d’inculture) son cinéma…

Il aura manqué, peut-être, à VB, d’avoir lu les textes (voir, pour la France, le numéro de la revue « Midi-Minuit fantastique » du 12 mai 1965) que Domenico Paolella, journaliste, écrivain et réalisateur de films « populaires », consacre au péplum et à ce qu’il nomme : « la psychanalyse du pauvre ». Mais il est toujours temps… Quoi qu’il en soit, on lira avec beaucoup d’intérêt cette partie, où l’on va de découverte en découverte. Et on verra peut-être alors, tous les films et toutes les œuvres littéraires cités avec un œil neuf.

La conclusion enfin a quelques lignes bienvenues sur la nécessité d’élargir le champ d’études de l’Antiquité. Ce qui reprend ce que disait implicitement le roman historique du XIXe siècle, puis le cinéma du XXe et dont personne ne doute au XXIe siècle

Claude Aziza, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III

Publié en ligne le 12 juillet 2018