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Le sujet de ce livre, tel qu’annoncé par le titre, apparaît à la fois trop ambitieux et insuffisamment problématisé. La préface précise qu’il s’agit d’une étude de Dion et de son environnement urbain — notion qui s’avère pour le moins floue et composite.
L’introduction, assez brève, juxtapose des remarques très générales sur les caractéristiques de la vie en cité. Des notions complexes, qui ont nourri une bibliographie abondante (telles que l’hybris, la stasis, l’agôn), sont résumées en quelques formules simplistes. Les trois cités qui forment la toile de fond de la carrière de Dion (Nicomédie, Nicée, Pruse) sont rapidement présentées comme trois grandes rivales se disputant la prééminence dans leur région depuis l’époque hellénistique jusqu’à l’époque ottomane (p. 18-19). En réalité, sous le Haut‑Empire, seules Nicée et Nicomédie sont en position de revendiquer la première place dans la province. Pruse est une cité plus modeste, qui s’oppose à sa voisine Apamée (que l’A. n’inclut pas dans sa présentation). Les deux chapitres suivants pourraient constituer la suite de l’introduction, puisqu’ils contiennent un bref rappel de l’histoire de la Bithynie jusqu’à sa réduction en province par Pompée, puis une présentation très descriptive des différents types de sources (archéologiques, littéraires, épigraphiques, numismatiques), qui se justifierait peut-être dans un manuel universitaire, mais n’offre guère d’intérêt dans un ouvrage scientifique. Le quatrième chapitre, encore très mince (p. 45-59), rassemble sous le titre « The Urban Environment » des considérations sur la dichotomie entre la ville et la campagne, sur les titres et les statuts civiques, sur l’urbanisme et les fortifications. Les deux pages consacrées aux titulatures des cités (p. 47-48) contiennent deux interprétations contestables voire irrecevables : celle du titre de métropole (considéré sans discussion par l’A. comme la traduction du statut administratif de capitale provinciale, alors qu’un article récent a prouvé de manière convaincante qu’il correspondait avant tout à un statut de centre religieux {{1}}) et celle d’une inscription de Nicée datée de 123 ap. J.-C. (INikaia, 29‑30) et attribuant à la cité un chapelet de titres prestigieux (qui ne sauraient renvoyer à des statuts anciennement possédés ; Nicée est bien métropole et néocore à cette date {{2}}).
Les chapitres 5, 6 et 7 constituent le coeur de l’ouvrage et portent respectivement sur les institutions (essentiellement civiques, même si les structures provinciales sont aussi évoquées), la classe politique (au niveau local, régional et impérial) et la carrière politique de Dion. S’ils apportent parfois, sur un point précis, une nuance ou une correction pertinentes (par exemple sur l’absence de critères censitaires dans la lex Pompeia, p. 67), ils apparaissent largement comme un résumé incomplet et parfois fautif de la thèse d’H.-L. Fernoux sur les notables de Bithynie {{3}} (pour les chapitres 5 et 6) et des travaux plus anciens de Chr. Jones et de M. Cuvigny sur les discours bithyniens de Dion {{4}} (pour le chapitre 7). On y trouve des contresens et des approximations à la fois dans la présentation du fonctionnement social et institutionnel de la cité et dans l’étude de passages précis de Dion. Ainsi, l’A. ne semble faire aucune distinction entre liturgie et évergésie (p. 69, 77) ; il considère que les titulaires des principales charges civiques sont quasiment tous citoyens romains (p. 81, 97 et 102), citant à l’appui de cette thèse H.-L. Fernoux, qui démontre précisément le contraire dans son livre ; il surinterprète divers passages du discours 40 et en tire la conclusion que l’homonoia prônée par Dion entre Pruse et Apamée était une tentative de synoecisme (p. 127-130) ; il s’en tient (p. 72) à une traduction fautive de dioikèsis (administration, au lieu d’assises judiciaires, en 45, 6), due à H. L. Crosby dans la Loeb et corrigée depuis par plusieurs commentateurs, dont M. Cuvigny ; il méconnaît également (p. 124-125) la reconstitution des faits proposée par ce dernier pour rendre compte des faveurs obtenues par Pruse de la part de Trajan (Dion n’a pas mené de délégation officielle auprès de l’empereur, mais a plaidé la cause de sa patrie en tant qu’individu privé ; l’ambassade à laquelle il fait allusion en 40, 13-14 est une ambassade de remerciements, menée par d’autres que lui, après l’obtention de ces faveurs). D’autres passages sont plus heureux, mais les exemples, toujours isolés, destinés à illustrer telle ou telle idée semblent choisis de manière arbitraire, sans projet d’ensemble. Le dernier chapitre (« The Bithynian Cities under the Later Empire », en fait un bref survol historique d’Hadrien à Constantin) et la conclusion (où l’A. manie de manière assez superficielle des concepts venus de la philosophie sociale) ne changent rien à cette opinion. À vouloir brasser trop large, l’ouvrage n’apporte pas grand-chose de neuf sur des sujets déjà bien travaillés ; hésitant entre la vulgarisation et l’érudition scientifique, il risque de décevoir autant les lecteurs curieux que les spécialistes de l’époque impériale.

Anna Heller

[[1]] B. P Puech, « Des cités-mères aux métropoles » dans S. Follet éd., L’hellénisme d’époque romaine : nouveaux documents, nouvelles approches (Ie s. a.C.‑IIe s. p.C.), Paris 2004, p. 357-404.[[1]]

[[2]] Voir A. H Heller, « Les bêtises des Grecs ». Conflits et rivalités entre cités d’Asie et de Bithynie à l’époque romaine (129 a.C.-235 p.C), Bordeaux 2006, p. 292-294 et 319-322.[[2]]
[[3]] . H.-L. Fernoux, Notables et élites des cités de Bithynie aux époques hellénistique et romaine (IIIe siècle av. J.-C.-IIIe siècle ap. J.-C.). Essai d’histoire sociale, Lyon 2004.[[3]]
[[4]]  C.P. J Jones, The Roman World of Dio Chrysostom, Cambridge-Londres 1978 et M. C Cuvigny, Dion de Pruse. Discours bithyniens, Paris 1994 [[4]] .