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Notre connaissance des monnayages provinciaux romains du Pont, aujourd’hui bien avancée grâce à la publication de travaux sur les ateliers de Comana, Kérasonte, Néocésarée, Sébastopolis et Trapézonte, vient de s’enrichir d’une nouvelle étude réalisée par J. Dalaison et consacrée aux émissions d’Amaseia. Certes, ce matériel était déjà familier des spécialistes grâce au Recueil général des monnaies grecques
d’Asie Mineure de W. H. Waddington, E. Babelon et Th. Reinach qui, au début du XXe siècle, avait fait connaître un premier et fort échantillon de ce que cet atelier avait pu produire tout au long de son histoire. Cependant, si le total des monnaies attestées alors tournait autour de 340, les recherches menées par J. Dalaison ont permis de recenser près de 1700 exemplaires, tous regroupés dans un catalogue de la meilleure facture. On s’en doute, un tel enrichissement de la documentation, dont l’étude du volume des émissions suggère que l’on dispose désormais de presque tous les coins de droit utilisés dans l’Antiquité, ne pouvait que susciter un examen approfondi de celle-ci, propre à renouveler ce que l’on savait jusqu’à présent de l’ancienne capitale des Mithridatides puis, sous l’Empire, du district du Pont Galatique.
L’ouvrage commence par une présentation des limites géographiques du territoire d’Amaseia, chapitre des plus intéressants déjà publié, à part, dans Anatolia Antiqua, Eski Anadolu, X, 2002, p. 261-276. Si les monnaies ne sont ici « d’aucune aide dans la détermination des limites de la cité » (p. 11, n. 2), elles témoignent en revanche de l’activité soutenue de son atelier à certains moments de l’histoire de l’Empire. Ainsi, attesté dès le Ier siècle ap. J.‑C., peut-être sous le principat de Tibère, plus sûrement sous ceux de Vespasien et Domitien, celui-ci connaît une première phase de forte production sous les Antonins, en particulier sous Marc Aurèle et Commode, puis une seconde, plus forte encore, sous les Sévères avant de fermer définitivement ses portes après le principat de Sévère Alexandre. Plus généralement, grâce à la mention de l’ère de la cité sur la plupart de ses émissions (en mémoire de son entrée dans l’Empire en 3-2 av. J.-C.), on sait que « les frappes s’étalent (…) dans le temps de façon assez discontinue et se concentrent sur quelques années à l’intérieur du règne de chaque empereur. La production se révèle relativement sporadique et irrégulière (…), sans que l’on puisse réellement déterminer des occasions particulières pour ces émissions » (p. 24).
Au total, l’atelier d’Amaseia a procédé à 17 émissions comprenant 31 séries réparties entre trois (voire quatre) modules correspondant certainement à l’assarion (comme le suggère la contremarque « AS » apposée sur certains exemplaires), au diassarion et au tetrassarion, le quatrième semblant être une fraction de l’assarion. Comme on pouvait s’y attendre au regard du temps écoulé, le rapport entre ces diamètres et le poids des pièces correspondantes a connu quelques évolutions entre le principat supposé de Tibère et celui de Sévère Alexandre (baisse progressive des poids, au moins jusque sous Septime Sévère), suivant en cela celles, simultanées, du numéraire romain. En procédant de cette façon, les gens d’Amaseia agissaient dans l’ensemble, à l’égard de leurs monnaies, comme les habitants des cités environnantes, d’où la conclusion que, « au sein d’une même aire géographique, il existait des «normes» et des constantes dans le système des dénominations » (p. 38). Cela étant, le calcul du volume des émissions d’Amaseia indique une production totale très supérieure, tout en étant modeste, à celui de ses voisines.
Pour répondre à ses besoins en numéraire, la cité paraît avoir utilisé plusieurs enclumes au plus fort de son activité monétaire, sous Marc Aurèle peut-être, sous Septime Sévère certainement. Les frappes n’étant pas continues, même à ce moment, les coins de droit non usés à la fin d’une émission étaient réutilisés tels quels lors de la suivante. De leur côté, les coins de revers les moins usés pouvaient faire l’objet de retouches, certaines d’entre elles modifiant la date de l’ère de la cité quand les frappes avaient lieu d’une année sur l’autre. Dans ce contexte, les coins de revers faisaient parfois l’objet de surfrappes, en particulier sous les premiers Sévères, et étaient orientés en général autour de 6h ou de 12h selon la période considérée (12h sous « Tibère », 12h/6h sous les Flaviens, 6h sous les Antonins et les premiers Sévères, 12h sous Sévère Alexandre).
Après avoir ainsi éclairé le fonctionnement de l’atelier d’Amaseia tout au long de l’époque impériale, J. Dalaison consacre le deuxième grand volet de son étude à la « politique monétaire » (p. 147) de la cité. Grâce à un travail de comparaison avec la production des ateliers environnants et de Rome, l’auteur remarque d’abord que les monnaies d’Amaseia, d’après les légendes et les portraits impériaux figurés au droit (le catalogue ne contient pas de provinciales romaines sans portrait impérial), s’inspirent beaucoup, sans pour autant pratiquer un mimétisme servile, des émissions impériales et en suivent l’évolution générale. « L’essentiel était que les utilisateurs des pièces identifient le plus rapidement possible l’effigie, par ce qu’elle avait de plus caractéristique et de plus distinctif pour chaque membre de la famille impériale » (p. 152).
De leur côté, types et légendes de revers permettent aux habitants d’Amaseia de manifester, comme ailleurs, « la fierté civique » (p. 190). Ainsi, le nom de la cité, à partir du principat d’Hadrien, s’enrichit de titres pompeux, en général au génitif, tels que ceux de « métropole », « première du Pont », « néocore », « Hadrianeia », « Seuereia Antônineia », « Seuereia Alexandreia ». Actes d’allégeance calculés aux maîtres successifs de Rome pour les uns, moyen d’afficher statuts et privilèges enviés pour les autres, ces titres permettaient aux Amaseiens de briller dans une course aux honneurs les opposant à leurs voisins de Néocésarée, capitale de l’éparchie du Pont. Dans le même esprit, certains types de revers célèbrent la personne de l’empereur (représenté à cheval ou faisant une libation) ou d’un membre de sa famille vu seul ou en sa compagnie (Marc Aurèle et Lucius Vérus, Caracalla et Géta, Géta César). Sur d’autres, de loin les plus nombreux, un panthéon local assez varié défile sous les yeux de l’observateur : Aphrodite en compagnie d’Arès, Asclépios seul ou avec Hygie, Apollon citharède, Athéna Promachos ou Enoplos, Dionysos, Europe ravie par Zeus transformé en taureau, dieu-fleuve Iris, Nikè, Sarapis, Tychè, Zeus Nicéphoros. Parfois, l’une ou l’autre de ces divinités est associée à un temple (abritant les images de Sarapis ou de Tychè), à un autel (surmonté d’un serpent symbolisant Asclépios) ou bien encore, type propre à la cité, à un bûcher (élevé en l’honneur de Zeus Stratios). Selon J. Dalaison, ces types sont sans doute les signes d’autant de cultes rendus à leur intention sur le territoire d’Amaseia, ainsi à Yassıçal, non loin de l’actuelle Amasya et emplacement probable d’un sanctuaire consacré à Zeus Stratios, divinité tutélaire de l’antique royaume du Pont à qui l’auteur consacre quelques précieuses pages (p. 174-177). À cet environnement architectural on associera enfin des vues stylisées de la ville d’Amaseia représentée dans un paysage tourmenté, avec des temples et peut-être une tombe, le tout à l’intérieur de fortifications élevées par Hermès, fondateur mythique de la cité.
Dans un dernier chapitre, J. Dalaison invite encore le lecteur à réfléchir sur la circulation et le rôle des monnaies d’Amaseia. Les quelques renseignements parvenus jusqu’à nous semblent indiquer que ces dernières ont peu circulé en dehors des limites de la cité, à l’image des autres ateliers de la région. Selon l’auteur, leur frappe, objet de fierté civique, visait avant tout à répondre aux besoins économiques de la vie quotidienne. Cela étant, les hauts niveaux d’activité relevés sous les premiers Sévères et la découverte à Doura-Europos de nombreux exemplaires amaseiens de cette époque seraient liés à la baisse de production simultanée de l’atelier d’Antioche de Syrie. Pour compenser le manque, les cités du Pont, dont Amaseia, auraient adapté, sur décision impériale, leur production de monnaies aux besoins en numéraire toujours importants des troupes stationnées à la frontière orientale de l’Empire.

Fabrice Delrieux