Luc Baray a souhaité, dans son ouvrage, montrer combien l’image que les auteurs gréco‑latins avaient des peuples barbares (des peuples brigands pour eux) était tributaire de leur idéologie et combien elle était stéréotypée. En réalité, les peuples « brigands » étaient des peuples appartenant à des sociétés barbares « qui luttaient contre l’hégémonie romaine selon leurs propres conceptions de la guerre ». Pour ce faire, il étudie dans une première partie (« Aux origines du brigandage », p. 11-39) les raisons qui, selon les auteurs anciens, poussaient les peuples au brigandage, à la piraterie et au mercenariat, intimement lié au brigandage pour Luc Baray ; il aborde ensuite, dans une deuxième partie, « Le refus de la singularité barbare » (p. 41‑69) : les auteurs anciens n’ont pas cherché à comprendre les peuples dont ils parlaient ; il termine (« Nouvelle approche du brigandage », p. 71-91) en proposant une nouvelle interprétation des « bandes » de Celtes qui affrontèrent Rome.
Dans la première partie, l’auteur étudie les différents déterminismes qui, pour les auteurs anciens, expliquent que certains peuples se livrent au brigandage ou à la piraterie. Le déterminisme le plus important est le déterminisme géographique : plus on s’éloigne de la zone méditerranéenne et plus on va vers la sauvagerie. Seul le commerce avec les Romains peut contrebalancer cette fatalité. Il n’en reste pas moins que les zones difficilement accessibles, même quand elles ont été conquises par Rome, sont peu perméables à la civilisation. Autre déterminisme important : le déterminisme socioéconomique : plus la région est pauvre, inhospitalière, et plus ses habitants auront tendance à pratiquer le brigandage. De même, les populations nomades ou semi-nomades pratiquent systématiquement le brigandage. Dernier déterminisme : le déterminisme socioculturel. Ces peuples barbares vivent en petites communautés repliées sur elles-mêmes, ils ne connaissent pas la vie urbaine. La ville est pourtant la seule façon de vivre de manière civilisée. Pour les auteurs anciens, seule la conquête, en apportant la civilisation, peut permettre la modification du mode de vie de ces populations et donc la suppression du brigandage. C’est une façon de justifier la conquête, et l’on ne peut se fier aux descriptions des auteurs anciens pour avoir une idée juste de ce qu’étaient ces peuples : elles relèvent du topos.
Dans la deuxième partie, Luc Baray montre que tout ce qui concerne ces peuples barbares est en réalité resté étranger aux auteurs anciens, qui n’ont du reste pas cherché à les comprendre. C’est ainsi qu’ils ont mal interprété les pratiques initiatiques des Celtibères, des Thraces et des Germains ou qu’ils ont présenté la lutte des Ligures contre Rome comme des actions de brigandage. C’est dans cette partie que l’auteur étudie le vocabulaire utilisé pour désigner les brigands (latro et praedo en latin, lèstès en grec). Peut-être aurait-il mieux valu placer cette étude plus tôt dans le livre.
Dans la troisième partie, l’auteur étudie d’abord les « bandes » celtiques du sud de l’Italie au IVe siècle av. J.-C. Il montre que le déplacement de ces « bandes » n’était pas aléatoire et qu’elles pratiquaient « la guerre à butin ». C’est un type de guerre que Rome ne saurait accepter : il s’agit d’une violence privée, qui n’a aucune légitimité pour les Romains, chez lesquels « l’État détient le monopole de la force légitime ». La question de la relation entre brigandage et mercenariat est ensuite soulevée. Chez les auteurs anciens, ces activités sont liées, ne serait-ce que parce que c’est la surpopulation qui est à l’origine (entre autres) de ces deux activités. Le mercenaire ne saurait cependant être confondu avec le brigand.
Ainsi que le veulent les principes de la collection « Illustoria », l’ouvrage comporte des annexes utiles : un cahier illustré (la carte 1 n’est toutefois pas très lisible), un lexique (il aurait fallu indiquer par un astérisque les mots se trouvant dans ce dernier) et une bibliographie.
Le livre de Luc Baray présente l’avantage d’offrir à un lectorat de non spécialistes une première approche d’un sujet relativement peu traité et de leur montrer, tout en leur présentant une autre image de ces peuples, que la vision que nous pouvons avoir de certains peuples anciens n’est pas une vision « objective », parce que les auteurs anciens avaient de nombreuses idées préconçues. Mais tout ce qui concerne la conquête romaine aurait mérité d’être plus détaillé, il manque une réflexion autour de l’impérialisme romain et du « discours impérialiste gréco-romain », avec une référence au moins à l’article de Paul Veyne (« Y a-t-il eu un impérialisme romain ? », MEFRA, 87, 1975, p. 793-855). La notion de fides, qui est une notion très importante s’agissant des relations entre Rome et d’autres peuples, n’est véritablement abordée qu’en conclusion, et aurait mérité de plus amples développements. Cela aurait aussi permis d’évoquer mieux les traités conclus entre Rome et certains de ces peuples, des traités pas toujours respectés par ces derniers. En défendant la cause des Celtes, des Africains ou encore des Isauriens, Luc Baray charge un peu trop leurs conquérants, les Romains.
Catherine Wolff