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Il n’est pas envisageable de résumer en quelques lignes l’intégralité des 684 pages (hors index) que compte cet impressionnant volume consacré à la transition entre monde mycénien et monde poliade en Grèce antique. Signalons toutefois que cet ouvrage appartient à une tradition historiographique qui, depuis une quinzaine d’années, s’applique à mieux comprendre l’histoire et l’archéologie des sociétés grecques entre la fin de l’âge du Bronze et le premier âge du Fer sous la forme d’imposants ouvrages collectifs visant à faire la somme des connaissances à un moment donné {{1}}. Ces entreprises se voulaient une forme de réponse aux synthèses menées par un seul auteur {{2}}.
Le premier thème, intitulé Structures politiques et sociales, est sans doute le plus incertain pour qui souhaite comprendre le passage d’une époque à l’autre, car si les structures politiques construites autour des palais mycéniens sont désormais bien comprises, nous restons en revanche dans l’ignorance des détails concernant les époques protogéométrique et géométrique. Et le texte homérique, qui, par bien des aspects, semble rester la seule source digne de valeur, est d’un usage dont on sait les difficultés. D’où la focalisation des auteurs sur la personne du basileus lorsque l’on aborde cette époque, sans que soient exposées de nouveautés sensationnelles sur la question. D’ailleurs, l’organisation de ce chapitre reflète cet état de fait, puisque quatre des six contributions (J.C. Wright, Th.G. Palaima, C.W. Shelmerdine, J.T. Killen) sont consacrées au monde mycénien, les deux restantes (P. Carlier et W. Donlan, ce dernier offrant seulement un résumé de sa communication) au monde homérique.
Le second thème est plus marqué par les questionnements actuels. Il s’agit en effet de faire la part entre continuité, discontinuité et transformation. On observe une nette tendance à insister sur les aspects de continuité (O. Dickinson, J. Maran, S. Deger-Jalkotzy, M. Kayafa), ou, si l’on veut le dire de manière plus politiquement correcte, sur les transitions. On change de monde, mais lentement, par un processus qui s’étend sur plusieurs siècles. Il y a là une divergence fondamentale par rapport aux thèses traditionnellement admises d’une rupture brutale entre les deux époques soutenues par les tenants de l’historiographie précédente. Fort heureusement, la collégialité de l’ouvrage est là pour souligner la variété des situations selon les objets d’étude, certains étant plus marqués par les ruptures que d’autres (A. Mazarakis Ainian, C. Morgan). Rappelons que toute période historique est constituée de continuités et de ruptures, et qu’il n’est pas souhaitable de présenter l’intégralité de cette période sous un seul angle de vue, au risque de perdre toute nuance du propos.
Le troisième thème porte sur les relations commerciales et d’échange (B. Wagner‑Hasel, J.P. Crielaard, D. Ridgway, M. Iacovou, N.Chr. Stampolidis et A. Kotsonas). Clairement, cette partie achève de porter un coup fatal à la vision du monde post-mycénien comme une période coupée du monde extérieur et repliée sur elle-même. L’enjeu est désormais à un traitement plus global de ces phénomènes afin de permettre une comparaison utile avec les périodes antérieures et postérieures (voir notamment dans le récent volume The Cambridge Economic History of the Greco-Roman World, Cambridge 2007 les contributions de I. Morris et R. Osborne).
Le thème suivant est consacré à la religion et aux cultes héroïques. De manière assez surprenante, les trois articles insistent sur les transformations et les ruptures, alors que ce thème portait plus traditionnellement aux études sur les continuités structurelles. Les auteurs (H. van Wees, C. Antonaccio, A.L. D’Agata) rappellent que derrière les institutions ou les noms, les pratiques se transforment profondément, les deux systèmes religieux n’ayant au final que peu de rapport entre eux ; toute considération sur le fondement des croyances étant de fait sujette à caution.
Si de nombreuses contributions précédentes trouvaient leur origine dans l’étude des poèmes homériques, le cinquième thème leur est plus spécifiquement consacré. Trois des quatre articles portent plus précisément sur une analyse interne des poèmes, notamment sur leurs aspects sémantiques (M. Meir-Brügger, E. Visser, M. Schmidt), sans nécessairement chercher à en faire le symbole d’une société ou d’une époque historique en particulier. Seul K. Raaflaub, brossant un rapide portrait des études homériques de ces dernières années, rappelle les enjeux historiques de ces textes.
Enfin, la sixième et dernière partie de l’ouvrage s’attache à mettre en lumière la diversité des cas régionaux ou locaux. On nous pardonnera de regretter ne pas voir apparaître de contribution consacrée à la Grèce de l’Est et particulièrement à l’Ionie, alors que les recherches récentes ont profondément renouvelé la question. La parution quasi simultanée d’un autre volume collectif sur le sujet (J. Cobet et alii, Frühes Ionien. Eine Bestandsaufnahme, Milesische Forschungen 5, Mainz am Rheim 2007) explique peut-être cette absence. La Crète se taille la part du lion avec trois articles (J.N. Coldstream, J. Whitley et S. Wallace). Sont ensuite traités la Thessalie (V. Adrini-Sismani), la Locride (F. Dakoronia), Athènes et Lefkandi (I.S. Lemos), l’Argolide (A. Papadimitriou), la Grèce occidentale (B. Eder) et enfin Chypre (V. Karageorghis).
L’absence de conclusion reflète sans doute la difficulté à concilier des approches et des positions parfois fort diverses dans un champ d’étude où les débats sont souvent vifs et houleux. Elle fait cependant perdre une partie de l’impact d’un tel volume, car, même si cela est souhaitable, il est peu probable que chaque lecteur prendra la peine de lire l’ensemble des contributions ici réunies. Le risque est alors que chacun se contente de puiser dans les auteurs qui lui sont connus, sans chercher à prendre la mesure de la grande diversité des situations que les articles reflètent. On n’en tiendra cependant pas rigueur aux éditrices, car une telle synthèse dépassait sans doute les objectifs de l’ouvrage. Et on ne peut que les féliciter d’offrir aux lecteurs une telle profusion d’éléments de réflexions. Nul doute que ce volume contribuera à faire reculer l’obscurité des « Âges Sombres » dans une approche qui, si elle peut être individuellement très marquée, reste au total très nuancée, à condition de prendre en compte l’ensemble des points de vue sur cette période complexe et encore riche d’enseignements à venir {{3}}.

Olivier Mariaud

[[1]]1. Ainsi D. Musti et al. éds., La Transizione dal miceneo all’alto arcaismo, dal palazzo alla città, Atti del Convegno internazionale, Roma, 14‑19 marzo 1988, Rome 1991. N.Chr. Stampolidis, V. Karageorghis éds., Ploes. Sea routes… Interconnections in the Mediterranean 16 th.-6 th. BC, Proceedings of the International Symposium held at Rethymnon, Crete, september 29th – october 2nd 2002, Rethymnon 2003. G. Kopcke, I. Tokumaru éds., Greece between East and West : 10th-8th Centuries BC, Papers of the Meeting at the Institute of Fine Arts, New York University, March 15-16th, 1990, Mainz am Rheim 1992.[[1]]

[[2]]2. Les études les plus novatrices sont essentielle-ment anglo-saxonnes : V.R. d’A. Desbourgouh, The Last Mycenaeans and their Successors. An Archaeological Survey c.1200-c.1000 BC., Oxford 1964. Id., The Greek Dark Ages, Londres 1972. A.M. Snodgrass, The Dark Age of Greece : An Archaeological Survey of the Eleventh to the Eighth Centuries BC, Edimburgh 1971. J.N. Coldstream, Geometric Greece, Londres 1977. R. Osborne, Greece in the Making, 1200-479 BC, Londres 1996.
C.G. Thomas, C. Conant, From Citadel to City‑State : The Transformation of Greece, 1200‑700 B.C.E., Washington 1999. O. Dickinson, The Aegean from Bronze Age to Iron Age : Continuity and Change between the Twelfth and Eighth Centuries BC, Londres 2006.[[2]]

[[3]]3. Signalons dans cette optique la publication prochaine d’une rencontre internationale tenue à Volos en juin 2007 intitulée : The « Dark Ages » Revisited. An International Conference in Memory of W.D.E Coulson, éditée par A. Mazarakis-Ainian.[[3]]