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Cet ouvrage publie les actes du colloque organisé à Athènes du 3 au 5 février 2010. Ce volume était attendu depuis longtemps par les spécialistes, certaines communications, comme celle de V. Lungu consacrée aux timbres de Cyzique, étant régulièrement citée. Du fait de l’édition tardive des actes, un certain nombre d’articles ont perdu une grande partie de leur intérêt pour les spécialistes, puisque leur auteur a publié depuis une recherche plus complète, comme c’est le cas des contributions de T. Panagou et de T. Stojanov. D’autres articles ont conservé une bibliographie ancienne, sans prendre en compte par exemple les ouvrages de C. Tzochev[1], ou de G. Cankardeş-Şenol[2]. Ce sont des aspects décevants de ce volume. L’ouvrage est divisé en 3 grandes parties consacrées respectivement au début du timbrage, aux centres de production classés par régions et aux centres de consommation. Les 37 articles sont plutôt de petite taille, puisqu’ils comportent entre 1 et 22 pages.

N. Badoud en guise d’introduction présente les grandes lignes de l’histoire de la recherche sur les timbres amphoriques depuis la première étude d’un timbre amphorique en 1555, et distingue les grandes phases. L’auteur affirme la nécessaire autonomie de l’étude des timbres par rapport à l’amphorologie. Je proposerai d’appeler cette discipline la sphragismologie, d’après le grec sphragisma, empreinte d’un sceau. L’auteur présente deux cartes à jour des centres producteurs, qui rappellent bien l’ampleur du phénomène avec près de 80 centres producteurs. On peut relever l’oubli des productions de Chersonèse Taurique, et la présence de certaines cités auxquelles l’attribution d’un timbrage est encore contestée comme Bizonè sur le littoral pontique.

Y. Garlan revient sur la finalité du timbrage et étudie la validité des trois grandes hypothèses : un timbrage privé, un timbrage public de nature administrative ou économique. La première idée développée au tournant des XIXe s. et XXes. dans un contexte de libéralisme économique mettait en avant le rôle des fabricants, mais omettait le rôle majeur des magistrats attestés sur de nombreux timbres. La deuxième hypothèse née au milieu du XXe s. a trouvé en V. R. Grace une grande défenseuse : le timbrage a pour but de contrôler la conformité des amphores et peut être utilisé par les consommateurs pour connaître l’origine et l’année de production du contenu, mais cela pose la question, pour l’auteur, de toutes les amphores non-timbrées qui sont largement exportées. Y. Garlan se montre partisan de la troisième hypothèse, en insistant notamment sur la non-lisibilité d’une partie importante des timbres à Chersonèse et Héraclée du Pont, sur de mauvaises impressions et sur l’obscurité de certains timbrages pour le Grec ordinaire. Il rejette ainsi toute idée de volonté publicitaire dans le timbrage. Mais on peut relever de nombreux exemples où le timbre a été imprimé deux fois à fin de lisibilité. Pour l’auteur, ce sont donc des spécialistes locaux qui sont chargés de comprendre ces documents administratifs probablement dans un but fiscal. Les différences de coefficient de timbrage s’expliqueraient par la nature privée ou publique des argilières exploitées.

La première partie revient sur les origines du timbrage. A. Marangou présente ainsi les timbres des jarres à anses de panier du palais d’Amathonte. Ces jarres du Ve s. portent près du fond des graffiti (symbole ou signes d’écriture locale) incisés avant cuisson. Les huit timbres connus comportent sur l’anse un scarabée tétraptère en relief, tenant un disque solaire et sur une des deux séries le hiéroglyphe égyptien nwb. Marques de propriété royale, ils témoignent des relations étroites des souverains d’Amathonte avec les royautés orientales (Égypte, Levant). P. Dupont étudie les débuts du timbrage grec. Le premier timbre connu, avec un oryx se trouve sur une amphore « samienne » de la première moitié du VIe s. À partir du milieu du VIe s., l’usage des timbres se diffuse sur les amphores dites « samiennes » (notamment des E) et « protothasiennes » de Zeest, des cercles de Lesbos et de Thasos (emblème). Ces timbres majoritairement originaires d’Ionie et secondairement du nord de l’Égée auraient pour l’auteur un caractère privé. V. E. Stefanaki et F. K. Seroglou s’intéressent aux types monétaires utilisés sur les timbres. Partant du parallèle entre les timbres et les monnaies, ils pensent que les timbres garantissent la provenance, la qualité et la capacité de l’amphore, mais aussi le volume de son contenu, notamment à Akanthos. Mais le timbrage ne peut pas être interprété de la même manière dans tous les centres producteurs et sur tous les supports (pesons, tuiles…). Seulement cinq cités (Mendè, Chios, Cos, Rhodes, Samos), et seulement au début de leur timbrage entre le dernier quart du Ve s. et le dernier quart du IVe s., utilisent des timbres semblables aux monnaies. L’interprétation de ce choix est complexe, mais peut signaler l’intervention de la cité dans le processus ou la volonté d’indiquer l’origine. Cet usage serait lié à des évolutions des étalons monétaires ou à l’adoption d’un nouveau type d’amphore.

Le cœur de l’ouvrage est consacré aux centres de productions majeurs comme Thasos et Rhodes, mais aussi aux divers centres secondaires. O. Picard met en valeur les convergences entre les timbres et les monnaies thasiennes, notamment parce qu’elles comportent des indications semblables (emblème, nom, ethnique) et qu’elles semblent être les témoins des évolutions institutionnelles. Le timbrage attesterait que l’amphore respecte la loi et n’a pas de valeur juridique en dehors du territoire civique. L’auteur met ensuite en avant les synchronismes entre les monnaies, les timbres et l’histoire politique. Ainsi le timbrage et un nouveau monnayage apparaissent vers 390, alors que la démocratie est rétablie à Thasos en 389. L’abandon des tétradrachmes et le passage du groupe 3 au groupe 4 des bronzes vers 340 sont mis en relation avec le passage du timbrage ancien au timbrage récent. Cela coïnciderait avec l’arrivée au pouvoir de proches de Philippe II de Macédoine. Mais, depuis, les travaux de Ch. Tzochev cités plus haut ont eu tendance à effacer ce passage du timbrage ancien au timbrage récent en plaçant certains des timbres récents dans les années 350 et la fin du timbrage « ancien » vers 330. D’autres évolutions du système monétaire sont mises en avant par l’auteur, sans que des liens soient vraiment identifiés avec le système de timbrage. L’hypothèse de M. Debidour sur la fin du timbrage récent sur laquelle s’appuie l’auteur pour y relever une concomitance avec l’interruption du monnayage à la fin du IIIe s. tombe, puisque les travaux de Ch. Tzochev montrent que le timbrage se maintient encore durant la première moitié du IIe s. Les relations entre les évènements politiques, le timbrage et le monnayage doivent être réexaminées afin de reposer sur des fondations plus solides. L’article a déjà été publié dans le BCH 141 (2) de 2017.

Fr. Salviat se propose d’étudier avec une approche prosopographique les inscriptions et les timbres thasiens. Du fait de sa définition du rôle du magistrat présent sur les amphores, à savoir vérifier la capacité des amphores, il établit un parallèle avec les agoranomes. Il suppose que la peu prestigieuse magistrature sur les amphores était exercée avant d’être théore et archonte. En se reposant sur l’état des recherches sur les catalogues de ces deux magistratures thasiennes en 2019, il propose quelques identifications. Cela lui permet de développer des patronymes présents sur les timbres du IIIe s. et d’identifier ces magistrats amphoriques avec des archontes ou théores ou des membres de leur famille. Il propose de même 15 identifications pour le timbrage ancien, même si certaines semblent problématiques puisque l’année de fonction du théore est antérieure à la date du timbre qui comporte son nom. Peut-être faut-il y voir des descendants. Ainsi Labros (Y. Garlan 384 ou C. Tzochev 381) est-il identifié avec un archonte de 396, Labros, fils d’Artysiléos. Les personnes traditionnellement appelées fabricants sont pour l’auteur des exploitants de vignobles, par suite l’auteur peine à expliquer pourquoi la mention en clair disparaît du timbrage récent. Il en rapproche certains des magistrats connus par les inscriptions. De nombreux stemmas permettent de mieux comprendre la logique des identifications. L’article est stimulant avec des identifications proposées pour près de 80 magistrats amphoriques, mais d’autres arguments fondés sur les contextes archéologiques sont nécessaires pour valider les identifications proposées notamment en présence d’homonymes et justifier le début du timbrage thasien en 402, près de dix ans avant la date retenue par Y. Garlan. Cela a en effet des conséquences sur d’autres timbrages, notamment celui d’Héraclée du Pont.

M. Debidour propose un bilan de ses décennies de recherches sur les timbres thasiens et trace quelques pistes : mieux fixer chronologiquement le début et la fin du timbrage récent thasien, s’interroger sur le nombre de fabricants par an qui peut être très variable, des nombres faibles pouvant indiquer un déclin de la production, mais aussi le remplacement d’un magistrat en cours d’année. La répartition des emblèmes pour chaque fabricant semble dépendre du magistrat sans qu’on en comprenne la logique. La découverte de nouveaux ateliers et de leurs dépotoirs pourra permettre d’avancer dans la résolution de certains de ces problèmes.

En association avec le découvreur M. Ionescu, M. Debidour publie un timbre trouvé à Callatis (Roumanie) du magistrat thasien Aristotélès regravé sur un timbre de Timoklès. Des timbres de Timoklès ayant été regravés également avec le nom des magistrats Alkeidès et Poulys, il faut conclure que plusieurs années peuvent se passer avant la regravure d’une matrice avec le nom d’un autre magistrat. Cette regravure aboutit à une nouvelle proposition chronologique pour le groupe IV (314-308) du timbrage thasien récent. L’article a été également publié dans la revue roumaine Pontica en 2017 (p. 367-372) avec une iconographie légèrement différente.

C.Tzochev présente les résultats de son étude de la graphie des lettres des timbres thasiens, afin de pouvoir rapprocher chronologiquement différents magistrats par le biais d’un graveur commun. Ce type d’étude avait déjà été mené ponctuellement par Y. Garlan et M. Debidour. Après avoir précisé sa méthodologie, l’auteur présente deux exemples de graveur du IIIes. Ses regroupements de magistrats reposent sur le principe que le service d’un graveur ne s’interrompt pas. Si la méthode est stimulante, elle rapproche des éponymes parfois assez éloignés dans la chronologie proposée par M. Debidour. On peut d’ailleurs remarquer qu’il distingue pour certains magistrats deux mains différentes, notamment pour Simaliôn, qu’il date de 207-198, ce qui laisse penser que plusieurs graveurs ont exercé de manière contemporaine. Cette recherche sur les graveurs est élargie dans son ouvrage signalé plus haut, paru en 2016.

T. Stojanov propose une synthèse sur les timbres du groupe de Parméniskos dont le nom au génitif est distribué sur deux lignes. Il étudie plus en détail les timbres de ce groupe attribué à Mésambria (Bulgarie) du fait d’arguments s’appuyant sur l’onomastique, l’iconographie et la composition chimique. Les amphores mésambriennes timbrées ou non, dateraient de la première moitié du IIIe s. av. J.-C. Héraclée du Pont est l’objet de la réflexion d’Y. Garlan sur le groupe de timbres des fabricants anciens de V. Kac, dont le nom est mentionné sur les timbres sans magistrat. Il propose d’identifier les emblèmes comme la marque des magistrats et de dater ce groupe de timbres, non du début du timbrage à Héraclée dans les années 390, mais d’une période légèrement postérieure qui aurait été marquée par une crise politique, qui aurait eu pour conséquence l’absence de la mention du magistrat. Il réaffirme le caractère public du timbrage. V. Lungu publie un timbre attribué à Bathys Limen, un port de Cyzique, trouvé à Mytilène. Elle republie les deux autres timbres cyzicéniens. Ces exemplaires très divers sont datés du deuxième tiers du IIIes. et semblent correspondre à des productions limitées d’amphores timbrées. M. Lawall met en évidence l’origine d’une autre série de timbres du groupe de Parméniskos: les timbres d’Alkanor, dont le nom au génitif est distribué sur deux lignes. En s’appuyant sur des arguments liés à leur diffusion dans l’ouest de l’Asie Mineure (16 exemplaires à Ilion) et dans l’est de la Thrace, et à leur composition chimique, il les attribue à la Troade. Les six matrices semblent correspondre à un fabricant travaillant plusieurs décennies. Ils dateraient de la première moitié du IIIe s. av. J.-C. En réfléchissant sur le groupe de Parméniskos, l’auteur s’interroge sur l’existence d’un système politique ou économique commun aux régions (Mésambria, Cassandréia, Troade…) productrices de ces timbres bilinéaires. La lisibilité de ces timbres renforce l’idée pour l’auteur que l’explication de ce timbrage n’est pas uniquement à chercher dans les cités productrices, mais également dans les centres consommateurs où ces timbres permettraient de bénéficier de privilèges accordés à la famille par des décrets de proxénie. On peut néanmoins s’interroger sur la solidité de cette hypothèse, avec notamment le problème de l’homonymie, en préférant voir dans ce style commun de timbres des imitations ou un effet de mode. G. Jöhrens propose une synthèse sur les timbres hellénistiques de Milet, dont l’identification a été confirmée grâce à des analyses chimiques. Il faut dorénavant y ajouter des timbres à monogramme, précédemment attribués à Phocée, mais qui proviennent, en fait, du port milésien d’Ioniapolis. C. Brixhe revient sur les timbres pamphyliens (IIe –Ier s.) dont il a publié un catalogue en 2012. Il soulève plusieurs questions non résolues concernant le système de timbrage, faute de fouilles d’ateliers : localisation de la production, place des magistrats et des fabricants, chronologie… C. Autret présente un nouveau centre de timbrage en langue grecque, mais d’époque impériale : Antioche sur le Kragos en Cilicie Trachée. Pour le moment, neuf timbres en relief ANT sur le col d’amphore (AK 1) avec deux pâtes différentes ont été découverts.

N. Badoud et D. Dana s’intéressent à l’onomastique des fabricants rhodiens, afin d’en faire un instrument d’histoire sociale, car les timbres amphoriques présentent de nombreux noms inconnus par ailleurs. Ils recensent 394 noms (liste publiée en annexe), dont huit noms de femmes et neuf noms accompagnés d’une mention de leur origine étrangère. Ils insistent sur la faible part des noms composés sur les timbres de fabricants par rapport aux noms figurant dans les inscriptions, ce qui témoigne de leur appartenance à une autre couche de la population. Une partie d’entre eux porte des noms étrangers, notamment en provenance d’Asie Mineure, zone en relation étroite avec Rhodes. Un commentaire de certains noms est proposé en annexe. Un bon exemple d’« histoire par les noms» qui permet de voir la part importante, près de 50%, des personnes d’origine étrangère parmi les fabricants.

N. Badoud à travers l’étude de la place des femmes et des non-citoyens dans le monde des fabricants d’amphores rhodiens cherche à mettre en valeur le caractère fiscal du timbrage. Il insiste sur le caractère officiel du timbrage rendu visible par la présence progressive d’un emblème et d’un nom de mois et par le maintien de timbres circulaires, beaucoup plus complexes à réaliser. Il distingue des ateliers publics avec des timbres circulaires et un emblème civique des ateliers privés qui seraient libres de leur choix, mais auraient interdiction d’utiliser des timbres similaires à ceux des ateliers publics. Cette distinction entre les ateliers publics et privés serait liée à la nature fiscale du timbrage. Cette dernière impliquerait aussi, à partir de 270, et pour près de 150 ans, le timbrage de 100 % des amphores et, à partir de 240, la mention du mois qui génère des prélèvements fiscaux mensuels sur la fabrication des amphores. Pour expliquer la forme différente des timbres entre les ateliers publics et privés, il émet l’hypothèse que les taxes sont plus élevées pour les ateliers publics, qui bénéficieraient d’avantages comme une main‑d’œuvre servile, dont témoigneraient les timbres secondaires. La prise en bail d’un atelier est coûteuse et la cité souhaite davantage que d’autres propriétaires une solidité financière qui n’est pas à la portée de tous les non‑citoyens, d’où la fierté du métèque Ainéas qui est qualifié d’ergastériarque (chef d’atelier public) sur un timbre rond à la rose. Le timbre illustré fig.2 pourrait se lire Μέτ̣ο̣ικος Αἰνέας ἐ̣ρ̣γα(στηριάρχας) ce qui pourrait soutenir davantage l’argumentation de l’auteur. Les timbres comporteraient des indications sur le bail. L’emblème serait ainsi le signe d’un contrat privé ou public entre le propriétaire de l’atelier et son exploitant. Certains fabricants sont associés à plusieurs emblèmes qui correspondraient pour l’auteur à ceux des potiers. N. Badoud interprète les deux lettres sur certains timbres comme le nombre d’années de bail. Cette hypothèse pourrait s’avérer très utile pour le classement des timbres d’éponymes, puisqu’elle permettrait d’ordonner les éponymes en fonction du nombre d’années de bail du fabricant associé. Mais ce sont de longues durées puisqu’on trouve des nombres jusqu’à 45, ce qui pose la question de la transmission du bail à un héritier. N.Badoud élargit sa réflexion sur le caractère fiscal du timbrage aux autres centres producteurs et suppose que les timbres portant un symbole de la cité proviennent d’ateliers publics. Dans les petits centres et au début du timbrage, explique‑t‑il, ce sont ces timbres qui sont utilisés, car il n’existe alors qu’un seul atelier public. Ce n’est qu’avec le développement de la production qu’il devient utile d’identifier les fabricants. Sinope, Thasos et Cnide montreraient l’existence d’ateliers à emblème fixe se transmettant sur plusieurs générations ou à emblème variable qui témoignerait de l’itinérance de potiers. Néanmoins, les spécialistes des timbres de Thasos s’accordent sur le fait que ces emblèmes sont attribués par les magistrats sans qu’il y ait d’emblème régulier au sein d’un atelier. Il associe l’usage généralisé de l’emblème civique d’Héraclès archer sous Aristoménès à une crise liée au retour de Thasos dans l’alliance athénienne en389. La cité aurait alors repris le contrôle des ateliers. Cependant aussi bien, Y. Garlan que C. Tzochev sont d’accord pour le placer au plus tôt en 380. En s’appuyant sur l’exemple de Délos, où deux timbres ἀπὸ Διοσκόρων pourraient correspondre au sanctuaire des Dioscures, il suggère que les sanctuaires posséderaient également des ateliers. À Cnide, les deux andres dont les noms apparaissent sur les timbres de Cnide passeraient contrat avec des publicains pour la collecte des taxes. À Akanthos, les timbres témoignent de la capacité de l’amphore, qui serait taxée en fonction de sa taille. Pour l’auteur, l’absence de timbrage dans certaines cités correspondrait à un affermage des argilières par la cité qui n’aurait donc pas besoin de taxer les récipients. C’est une contribution dense et stimulante, où l’auteur présente de nombreuses hypothèses sur le caractère fiscal du timbrage et la propriété publique de certains ateliers, qu’il n’est pas possible de détailler faute d’espace. Elles susciteront de nombreuses réactions parmi les autres amphorologues.

M. Garcia Sanchez s’intéresse lui aussi à la question de la propriété des ateliers, mais avec une vision différente. Pour lui, le fabricant à Rhodes est propriétaire d’un atelier et choisit son emblème. À travers l’exemple de la dynastie de fabricants rhodiens (puis cnidiens) d’Aristoklès 1 et celui des fabricantes Timô 1 et 2, il met en valeur la transmission des noms, mais aussi des ateliers amphoriques par héritage. J. Lund étudie grâce au matériel provenant des fouilles du Mausolée d’Halicarnasse l’évolution de la forme des anses d’amphores rhodiennes. Il distingue 3 types principaux : arrondis (période I-IIc), angulaires (période IIc-VI) et cornus (période VII). La méthode permet d’identifier des fabricants ou des éponymes homonymes ou des timbres mal imprimés. Néanmoins certains homonymes utilisent le même type d’anse et certains timbres sont sur des anses légèrement différentes de celles attendues. Le rythme de l’évolution de l’anse diffère probablement un peu d’un atelier à l’autre.

A. Marangou révise la chronologie des timbres de la seule cité crétoise qui a timbré, Hiérapytna, Elle établit le catalogue des douze timbres connus. Imprimés en relief sur l’anse, ils semblent provenir de six matrices différentes. Les emblèmes (abeille, palmier et aigle) sont repris de l’iconographie monétaire. L’onomastique ne donne aucun indice de datation. Les quelques contextes archéologiques permettent de dater ces timbres de la seconde moitié du IIe s. ou du début du Ier s. L’auteur se demande, s’il n’y a pas une volonté d’imitation des amphores les plus courantes de l’époque, rhodienne à la basse époque hellénistique, puis romaine à l’époque impériale, aussi bien pour la forme et l’emplacement des timbres que pour la morphologie des amphores. T. Panagou propose une réflexion sur les centres producteurs d’amphores timbrées du monde égéen, dont on connaît moins d’une centaine de timbres. Elle présente une typologie en fonction du contenu du timbre. Elle attire l’attention sur la diversité des centres et émet des hypothèses pour comprendre leur système de timbrage : des lettres isolées, des monogrammes ou des emblèmes peuvent constituer des marques d’atelier, des emblèmes civiques ou l’ethnique de la cité témoignent d’un contrôle de la production par la cité, un nom et un emblème ou/et un ethnique sont plus complexes à expliquer, mais peuvent parfois reposer sur des imitations des systèmes de timbrage des grands centres producteurs, des noms isolés sont probablement ceux de fabricants. L’article se révèle aussi une mine bibliographique pour la découverte de ces centres mineurs.

D. Kourkoumélis fait une mise au point sur les amphores de Corcyre (les Corinthiennes B). Les premiers timbres ont des formes géométriques à la fin du Ve s. et au début du IVe s. Par la suite, les timbres comportent des emblèmes présents aussi sur les monnaies, mais également des lettres isolées ou des monogrammes. La diffusion de ces amphores en Méditerranée occidentale témoigne du dynamisme durable du commerce corcyréen, notamment de vin, du Ve au IIIe s. D. Manacorda publie une synthèse sur les timbres en grec de la région de Brindisi produits à partir de la seconde moitié du IIe s. probablement à relier à l’arrivée en Italie d’esclaves potiers provenant de Corinthe en 146. Les noms sur les timbres sont ceux de maîtres ou d’esclaves et ils sont inscrits en grec, en latin, ou dans les deux langues. L’usage du grec disparaît peu à peu, notamment en raison du statut de municipe accordé après la guerre sociale de 90-88 : de nouvelles élites romaines remplacent les élites locales, avec des familles plus prestigieuses. Gl. Olcese étudie les timbres d’Ischia datés de la fin du IVe s. et de la première moitié du IIIe s. Sur les quelques 300 timbres connus, figurent une quarantaine de noms grecs et une dizaine de noms osques, présentés sous différentes formes (complets, abrégés, monogrammes…). Il existe également des emblèmes et des timbres gemmes. Certains noms abrégés se retrouvent aussi sur des briques souvent avec la mention ΔΗ ou ΔΗΜΟ et sur des monnaies de Naples. Sont-ce les mêmes personnages ou des homonymes ? Ces amphores timbrées produites à Ischia se diffusent à Naples, mais aussi en Sicile. Si, à Marseille, les productions amphoriques existent depuis 540, le timbrage étudié par L.-Fr .Gantès ne commence que vers 500 avec trois types de timbres (lettres, lettres et monogramme en cartouche) qui sont considérés comme des abréviations de noms correspondant à une numérotation annuelle, liée à un timbrage public. À partir de 300 jusque vers 150, apparaissent en plus des marques symboliques, qui suggéreraient à l’auteur une production privée. Seul un type amphorique est timbré avec un coefficient de timbrage proche de 1%, aussi bien à Marseille qu’à Lattes.

La troisième partie sur les centres de consommation permet de rappeler l’importance des timbres amphoriques comme éléments dateurs en Méditerranée orientale et en mer Noire. L’article de Kr. Göransson sur les timbres d’Euespéridès en Libye reprend le contenu de sa thèse (2007) en ignorant les corrections du Bulletin amphorique (REG, 2012, no 455). Les timbres cyrénaïques sont mentionnés, sans illustration, ce qui rend impossible leur identification par d’autres archéologues, s’ils ne se réfèrent pas à la thèse. Les fouilles de la nécropole d’Hellénika à Paphos ont permis de découvrir un matériel amphorique majoritairement rhodien daté du IIe s., comportant notamment plusieurs associations nouvelles de timbres de magistrats et de fabricants. Un timbre de fabricant montre également une regravure qui pourrait suggérer une succession dans l’atelier. A. Dobosz présente les trouvailles des fouilles polonaises à Néa Paphos : plus d’une centaine de timbres à 90% rhodiens. L’auteur présente les timbres rares : deux rhodiens, quatre pamphyliens, un proto‑thasien et un égéen inconnu en forme de cœur. P. Monsieur et J. Poblome présentent 45 timbres découverts à Kinet Höyük, l’ancienne Issos, qui est abandonné dans la première moitié du Ier s. Là aussi, les timbres sont très majoritairement rhodiens et leur étude ainsi que celles des monnaies permet de mieux appréhender la chronologie du site et de la production de la sigillée orientale A.

A. Bozkova et M. Gyuzelev présentent les timbres d’Héraclée du Pont trouvés en Thrace au sud de la chaîne des Balkans. Leur diffusion assez réduite a lieu principalement durant la première moitié du IVe s. Un tableau les présente sommairement, s’appuyant sur les deux chronologies concurrentes : celle de V. I. Kac et celle plus récente (2016) d’Y. Garlan. A. Avram publie le contenu (77 timbres) d’une fosse sacrée située en face du temple d’Aphrodite dans la cité grecque d’Istros, sur le littoral de la mer Noire. Elle a été créée au début du IVe s., avec dans le fond un enclos de pierre et un dépôt d’amphores thasiennes. D’après les données des timbres amphoriques et de la stratigraphie, elle aurait été remplie vers 100 après un séisme, avant la destruction de la zone sacrée vers 48 av. J.-C. attribuée au Gète Byrébista. Des interventions ultérieures ont perturbé la stratigraphie. Quelques suggestions de lectures : no 53 Βρομίου couronne (RF-BROMIOS-11 ou 23), no 69 probablement [Δα]μ̣οφῶν, une troisième ligne non signalée. L. Buzoianu et M. Barbulescu présentent à partir du site fortifié d’Albești dans le territoire de Callatis (Roumanie) plusieurs synchronies entre les grandes séries amphoriques (Héraclée du Pont et Thasos, Sinope et Rhodes) en proposant des contextes précis. Ces synchronies peuvent être des indices, mais on trouve un même magistrat rhodien, Polykratès, associé dans des contextes comportant des timbres sinopéens des groupes VI C 1 (245-238) à VI D (223-210), ce qui incite à examiner ces associations avec précaution. N. Mateevici présente les timbres amphoriques découverts dans l’hinterland du nord-ouest de la mer Noire. J. P. Zajcev publie en provenance de Néapolis de Scythie (Crimée) cinq cols d’amphores rhodiennes qui révèlent deux associations nouvelles du prêtre Anaxandros avec un fabricant. M. Matera présente rapidement la situation des importations amphoriques dans les fouilles polonaises de Tanaïs (Bas-Don), où sont surtout représentées Rhodes (278 timbres) et Sinope. Alors que de 250 à 190, les importations sinopéennes dominent, elles diminuent ensuite. Pour l’auteur, cela s’expliquerait par le fait que Sinope exporterait de l’huile moins utilisée à Tanaïs au fur et à mesure de la barbarisation du site.

Les illustrations sont nombreuses et de bonne qualité. Les index (noms et emblèmes) facilitent la recherche d’un timbre particulier dans le volume. Ils incluent aussi des emblèmes qui ne sont pas mentionnés dans les lectures des timbres. Des résumés en français se trouvent à la fin de l’ouvrage. L’intérêt de l’ouvrage réside dans le regroupement des synthèses sur des groupes méconnus de timbres, même si certaines ne sont plus à la pointe de la connaissance, et sur ces articles stimulants sur le timbrage de Thasos et Rhodes. Ce livre constitue pour les lecteurs non spécialistes une référence pour des productions très variées et une source de réflexion sur la place du timbrage amphorique. En effet en filigrane, apparaît la question du caractère public ou privé du timbrage et donc sa finalité, qui est diversement interprétée dans le cadre des débats sur l’économie grecque comme une « économie de marché » ou une « économie administrée ». Si pour la majorité des systèmes de timbrage, le caractère public et fiscal semble démontré comme le soulignent dans la conclusion les éditeurs, il subsiste néanmoins des interrogations au sujet des cités peu productrices et autour des modalités du choix, public ou privé, des formes de timbres et des emblèmes utilisés.

Thibaut Castelli , Université Paris Nanterre

Publié dans le fascicule 1 tome 123, 2021, p. 303-310

 

[1]. Amphora Stamps from Thasos: results of excavations conducted by the American School of classical studies at Athens. XXXVII, Princeton 2016.

[2]. Lexicon of Eponym Dies on Rhodian Amphora Stamps, paru en quatre volumes, Paris 2015‑2017.