Le volume d’hommages au professeur Vivian Nutton regroupe dix contributions sur le thème qui a occupé V. Nutton durant sa carrière de chercheur : l’histoire de la médecine, aussi en lien avec la société et l’économie. Rebecca Flemming, en guise d”introduction, revient sur les étapes de la carrière de V. Nutton. L’ouvrage se divise ensuite en deux grandes parties. La première, consacrée au prix de la santé et aux échanges rassemble quatre articles ; la seconde « Pluralisme et diversité » en compte six.
Le coût de la santé dans la Rome impériale est le sujet traité par Véronique Boudon-Millot qui rappelle que Galien de Pergame (129 – 216) met en garde les futurs médecins : non seulement ils ne s’enrichiront pas par l’exercice de la médecine, mais ils perdront leur art s’ils deviennent riches — Galien lui-même a pourtant accepté des sommes très importantes de la part de patients fortunés et les a acceptées comme reconnaissance de ses compétences… Le prix des études est élevé et Galien adopte un point de vue aristocratique consistant à réserver l’apprentissage de l’art médical à ceux qui ont les moyens de suivre des praticiens de renom. Au coût des études s’ajoute le prix des instruments (en argent, si possible) et celui des médicaments et remèdes que le médecin confectionne lui-même et dont il doit se procurer les ingrédients. A l’époque de Galien, il faut donc supposer une situation ouverte à tous les profils, où les malades peuvent croiser à la fois des praticiens bien formés, qui disposent d’une aisance garantissant leur indépendance d’esprit et peu enclins à réclamer des honoraires exorbitants, et aussi des médecins-charlatans soumis au gré des patients et motivés exclusivement par le gain.
Dans un article intitulé « La correspondance de santé dans le monde gréco-romain » Laurence M.V. M. Totelin met en évidence les échanges de recettes et de préparations de remèdes par voie épistolaire, gratuitement, entre amis ou entre un maître et ses disciples. L’envoi de paquets mixtes, contenant des ingrédients, des plantes des épices ou des préparations pharmaceutiques, était très répandu, comme l’illustrent des papyrus et des ostraka révélant des demandes de patients ou même de médecins.
Les pages sur Dioscoride et son étude du comportement des castors sont rédigées par John Scarborough qui rappelle combien la célébrité des glandes (testicules) de l’animal a fait imaginer de produits frauduleux vendus sous la fameuse étiquette du castoreum, notamment contre les maladies des femmes et contre l’épilepsie.
Combien coûte un bébé ? Ou, plus exactement quel est le salaire d’une nourrice dans l’Egypte romaine ? A cette question se proposent de répondre Antonio Ricciardetto et Danielle Gourevitch (†), grâce à l’examen d’une cinquantaine de papyri du milieu du premier siècle p.C. jusqu’au début du IVe siècle. Outre quelques témoignages de l’emploi d’une nourrice dans le cadre de familles aisées, la plupart des sources se réfèrent à des femmes chargées de nourrir et d’élever des enfants trouvés, en vue d’une condition servile, dont le prix de revient — le poste de la nourriture étant réduit au plus bas — ne dépassait ainsi pas celui de l’achat d’un esclave adulte, ce qui représentait donc, pour le maître, un investissement tout à fait rentable. L’habitude de l’exposition des enfants fut modifiée en 331 à l’initiative de Constantin, par une loi qui donnait à celui qui recueillait l’enfant le choix de sa future condition (libre ou servile) et en 529, sous Justinien, par la liberté accordée d’office à tout enfant trouvé.
La seconde partie s’ouvre sur un article de Geoffrey E.R. Lloyd qui revient sur le pluralisme de la médecine antique, c’est à dire la diversité de formation, de condition d’exercice et d’écoles de pensée des médecins. Un détour par les études de cas des médecines chinoise et égyptienne montre combien les traités grecs des Epidémies (I à VII) ou Maladies (II et III) se concentrent sur la description des symptômes plus que sur l’indication des remèdes. Le médecin hippocratique se présente comme faillible et laisse à son lecteur le choix de la thérapeutique, sans l’imposer. Aussi hétérogène qu’elle paraisse, la médecine grecque y gagne indéniablement en variété et en complexité.
Le lien entre la malaria, les naissances et le culte d’Artémis est le sujet d’Elizabeth Craik qui rappelle d’abord que les fièvres (paludéennes ou non) sont les maladies les plus fréquemment mentionnées dans le Corpus hippocratique. Les médecins savent désormais que le Plasmodium falciparum, agent de transmission de la maladie, provoque, parmi les femmes enceintes, des avortements spontanés que décrivent les traités des Epidémies III, V et VII. Les femmes invoquent Artémis pour aider les parturientes, et E. Craik note qu’il ne s’agit certainement pas d’un hasard si la fille de Leto, avec l’épiclèse Locheia préside aux accouchements et, Limnaia, parcourt marais et marécages, lieux infestés de moustiques.
Robert Arnott s’intéresse à la santé à l’âge du bronze. Il montre que l’étude des tablettes mycéniennes et des squelettes de l’helladique moyen (2000-1550 a.C.) atteste le recours à des guérisseurs-médecins parmi les familles dirigeantes. Des archives découvertes dans la capitale du royaume hittite, à Hattusa-Bogazköy racontent la maladie du roi hittite Mursili II (1321-1295 a.C.), aphasique, en relation avec un dieu mycénien de la santé, Péan ou Apollon, sous les traits du dieu anatolien Apaliunas.
Dans « Le médecin Antistius et les Ides de mars », Ann Ellis Hanson, s’appuyant sur le texte de Suétone (Vie des douze Césars, Iulius I, 82), unique source sur la présence de ce médecin auprès du corps de César rapporté à son domicile, s’interroge sur ce personnage méconnu. Certains ont voulu l’assimiler à Aristius, un chirurgien mentionné par Scribonius Largus dans les Compositiones, mais il n’est pas mentionné ailleurs. D’autres le pensent membre de la gens Antistia. Sa présence est peut-être celle d’un proche du dictateur. Il est toutefois possible qu’il ait été mandé comme légiste, pour examiner les vingt-trois plaies et décider laquelle fut mortelle. Antistius disparaît de la scène historique sans avoir rédigé de rapport officiel, semble-t-il.
David Leith propose des compléments sur trois médecins, disciples d’Asclépiade de Bithynie, premier grec à jouir d’une grande célébrité à Rome, aux côtés de Thémison de Laodicée, son disciple, fondateur de l’école méthodiste. Le premier médecin est Philonidès de Dyrrachion (Epidamne), si l’on en croit Herennius Philon, un grammairien de la fin du premier siècle p.C., repris par Stéphane de Byzance. Après ses études à Rome auprès d’Asclépiade, il s’installa en Illyrie où il rédigea de nombreux traités. Le deuxième médecin est Marcus Artorius, connu grâce à Caelius Aurelianus (Ve siècle p.C.) comme disciple d’Asclépiade et médecin d’Octave-Auguste avant Antonius Mousa. Il serait l’auteur de textes médicaux utilisés par Soranos d’Ephèse (IIe siècle p.C.), puis par Caelius Aurelianus. Enfin Lusius, est lui aussi cité par Caelius Aurelianus comme l’auteur d’un traité sur les maladies chroniques. Ces trois médecins illustrent la vitalité des disciples d’Asclépiade et de leur école, malgré le silence de Galien.
Helen King consacre les dernières pages du livre à ce qui est écrit de la vie d’Hippocrate sur internet, mélange d’informations confirmées et de récits de la plus haute fantaisie, comme l’histoire d’un séjour en prison.
Le livre se clôt sur une bibliographie (26 pages), la liste des œuvres publiées de V. Nutton (13 pages) et un toujours utile index global (13 pages). Chacun des contributeurs a évoqué une dette, intellectuelle ou amicale, envers Vivian Nutton, découvreur d’idées nouvelles, passeur de savoir et défricheur de pistes : ce livre lui rend assurément un bel hommage dans les différents domaines qu’il a explorés.
Evelyne Samama, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Publié en ligne le 17 janvier 2023.