A. Bouet, après deux ouvrages remarquables consacrés aux thermes et de multiples articles qui enrichissent notre connaissance de l’architecture gallo-romaine, dédie cette importante étude à une annexe commune dans les thermes, mais répandue aussi partout ailleurs : les lieux d’aisance. Les Romains n’avaient pas notre répugnance culturelle à l’égard de cet aspect de leur vie, dont les vestiges archéologiques ne révèlent qu’un élément pratique. L’auteur ne se contente donc pas d’une étude de ces vestiges, depuis le vase de nuit jusqu’aux constructions les plus sophistiquées, voire les plus prestigieuses, qui avaient jusqu’à présent monopolisé, ou presque, l’attention des chercheurs, mais il aborde aussi toutes les modalités du recueil et de l’élimination des déchets humains. Il enrichit donc singulièrement l’ouvrage que R. Neudecker avait consacré à ce sujet (Die Pracht der Latrine, 1994), bien qu’il ait restreint son enquête aux provinces gauloises, germaniques et alpines. Restriction du reste toute théorique, car, par le biais des comparanda, ce sont les constructions de tout l’empire qui sont finalement passées en revue. Cet enrichissement résulte non seulement du nombre des édifices pris en compte (l’archéologie a fait de notables progrès en ce domaine), mais aussi de la variété des dispositifs analysés, notamment les fosses, cuvelées et alimentées en eau ou non, et les avaloirs sur égout en pleine rue. Les latrines à bancs disposés sur un ou plusieurs côtés d’une pièce, sur plan rectangulaire ou semi-circulaire, ou installées sur un plancher, sont cataloguées, mesurées, expliquées et datées. Puis sont répertoriés les divers vases, dont les amphores disposées dans les rues et dont le contenu est récupéré par les foulons. L’architecture est ensuite abordée en détail : les portes à tenture et celles à tourniquet, les diverses dispositions qui ménageaient une relative intimité, les fenêtres et la circulation de l’eau, les embellissements enfin, statues, vasques et fontaines. Les analyses, précises et éclairées par des comparaisons pertinentes et le recours aux sources littéraires, nous apprennent tout sur le fonctionnement de ces installations et seront bien utiles aux fouilleurs, pour leur interprétation de vestiges souvent lacunaires. L’ensemble est complété par une réflexion sur l’insertion des lieux dans les divers monuments et ensembles architecturaux (fora, édifices de spectacles, thermes, maisons), et sur les règles qui peuvent avoir présidé à l’installation des fosses. L’évolution des latrines est suivie depuis leur apparition, à la fin du Ier s. av. J.‑C., puis leur multiplication, avec des modalités régionales, au cours du Ier s. ap. J.‑C., et surtout au IIe s., où, publiques et privées, elles témoignent d’une attention croissante à la gestion des déchets. La tendance s’inverse au IIIe s., où le retour à l’épandage sauvage marque une régression de l’organisation municipale, et la pratique disparaît au IVe s., où l’on n’enregistre qu’une seule construction monumentale, aux Thermes impériaux de Trèves, et où seules les villae sont encore munies d’installations hygiéniques. L’A. ne néglige ni les aspects financiers (droit d’accès, notamment), ni l’entretien quotidien et l’exploitation du stercus, ni les problèmes de pollution, de stockage périphérique et d’amendement des sols, ni les moyens de nettoyage intime, ni les comportements du public, à la fois séparé du monde extérieur, mais réuni en un même endroit non cloisonné. L’analyse de la fréquentation de ces lieux apporte un éclairage inattendu sur la hiérarchisation sociale, qui ne se limite pas à la distinction entre citoyen et esclave ou entre centurion et hommes de troupe, et sur la séparation – ou non – entre les sexes. Si les graffiti muraux ne nous apprennent que peu sur les fantasmes des utilisateurs, la paléoparasitologie nous éclaire en revanche progressivement sur leur état sanitaire, assez semblable à celui des pays sous-développés du monde contemporain. La conclusion, sur ce point, est mitigée : l’accroissement de la propreté, que l’extension du dispositif a engendré, ne va pas forcément de pair avec des progrès de l’hygiène, faute d’une connaissance scientifique du phénomène microbien. Quant à la conclusion générale sur la multiplicité des types et la représentativité des provinces occidentales par rapport au reste de l’Empire, on ne peut que la partager. L’ensemble est appuyé sur un catalogue de 230 pages, soigneusement illustré de plans normés et servi par des annexes indispensables (tables, bibliographie, sources, index des noms de lieux). Je ne ferais qu’un reproche à ce catalogue : son classement des sites par provinces et non directement par ordre alphabétique, classement qui n’apporte guère d’avantages (les cartes de répartition éparses dans le volume permettent d’apprécier l’équipement des provinces à diverses époques), mais qui complique la recherche pour qui n’a pas en tête la localisation de Ladenburg ou de Buoux, même s’il peut recourir à la table des sites. Ce détail ne peut en tout cas pas altérer l’appréciation d’ensemble sur un ouvrage dont on ne saurait trop recommander la lecture, car il va bien au-delà, on l’aura compris, de l’histoire de l’architecture : il fait aussi abondamment appel aux témoignages littéraires et il nous éclaire sur de multiples aspects, peu abordés, de la civilisation romaine tout entière, mais qui n’en sont pas moins révélateurs de son degré de raffinement et de son état d’esprit. Le plus surprenant est de les voir rapprocher, par l’A., de pratiques modernes, voire encore contemporaines, et de constater que ce livre est encore parfois d’actualité.
Pierre Aupert