L’ouvrage de H. Dessales est le fruit d’une brillante thèse soutenue en 2002, dont la publication était attendue. Son titre indique un travail sur l’habitat urbain dans l’Italie romaine. Or, la présente étude est centrée sur les maisons de Pompéi et d’Herculanum, même si l’alimentation en eau, sujet de la deuxième partie, est elle traitée dans l’ensemble de la péninsule italienne.
Cet important travail s’articule en trois parties de longueur inégale, dont la réflexion logique nous permet d’entrer au cœur de la maison romaine. La part belle est faite, dans une première partie, à une étude typologique des fontaines domestiques. Divisée en quatre chapitres, celle-ci est enrichie, en annexe au quatrième chapitre, d’un catalogue réunissant les représentations peintes de fontaine, situées dans les maisons de Pompéi et d’Herculanum. La deuxième partie, divisée en trois chapitres, est consacrée à l’alimentation en eau des domus. Y sont détaillés les différents systèmes d’alimentation hydraulique des maisons. Cette partie s’accompagne, en annexe au chapitre 5, d’un catalogue regroupant les caissons de répartition en plomb, découverts dans l’ensemble de l’Empire romain. En dernier lieu, la troisième partie s’articule en trois chapitres et s’intéresse à l’utilisation de l’eau dans les domus. L’objectif affiché dans cette dernière partie est de percevoir l’organisation interne des maisons. En annexe au chapitre 10, un catalogue regroupe les descriptions des implumvia transformés en fontaine.
Cette présente étude abondamment illustrée fournit un catalogue de 133 fiches (p. 392 à 508), de sept planches, d’une riche bibliographie de 42 pages (p. 523 à 565) et pour finir de différents index : index des sources antiques, index géographique, index topographique (p. 567 à 588).
La première partie propose une typologie des fontaines domestiques, dans le but d’appréhender les structures dans leur contexte, et pas simplement dans leur aspect architectural. H. Dessales présente une classification des fontaines domestiques tout en émettant des réserves sur un tel projet. Un tel exercice est pourtant rendu obligatoire pour rendre compte des modèles, des procédés de copies et d’imitation architecturale. L’auteur propose ainsi, non pas une méthode typologique, mais une lecture diachronique des fontaines, afin de mieux rendre compte leur insertion et leur évolution dans l’habitat.
Dans un premier chapitre, l’auteur s’intéresse aux origines préromaines des bassins et des fontaines. L’eau s’y révèle très tôt comme un élément structurant des jardins royaux. Les grands principes de la mise en valeur architecturale des bassins et des fontaines, à travers leur association aux pièces de réception et aux portiques, seront largement repris, à partir du Ier siècle avant J.-C., dans les riches villas palatiales, dont le rôle prédominant dans la diffusion en Italie des jeux d’eau n’est plus à démontrer.
Passé ce nécessaire chapitre introductif, nous pénétrons au cœur du sujet, où bassins et fontaines en élévation font l’objet d’une minutieuse étude basée sur un catalogue complet des cités vésuviennes et sur celui, plus restreint car tributaire d’une documentation lacunaire, des domus et des villae à bassins ornementaux italiennes et provinciales.
H. Dessales classe les fontaines domestiques en deux groupes principaux : les fontaines construites et les ornements mobiles. Le mode de distinction ainsi choisi tend à dégager des schémas tant fonctionnels que formels. Au sein de la première catégorie, celle des fontaines construites, se distinguent les bassins, compositions à plan horizontal, des fontaines en élévation. Dans le chapitre 2 consacré aux bassins, et après une étude lexicale requise, l’auteur esquisse une première classification typologique d’où émergent les différents groupes de bassins se succédant dans le temps : lacus, impluvium, piscina, euripus, nilus et canopus. Ces différentes structures appartiennent à trois grandes formes : bassins à plan simple, tracés décoratifs et plans particuliers ou à la géométrie complexe. Dans le chapitre 3, les fontaines en élévation font l’objet d’une approche relativement similaire. Ici, les critères de classement se basent sur la place des fontaines dans l’habitat. Ainsi l’auteur propose de les regrouper en trois catégories : les structures couvertes, les structures à ciel ouvert et les structures plus complexes en position isolée. Les différentes descriptions des fontaines en élévation nous amènent à réfléchir, non pas tant à une évolution morphologique, mais plutôt à l’intégration évolutive de ces structures dans l’espace résidentiel.
L’auteur consacre le chapitre 4 au second groupe de fontaines, les ornements mobiles (statues, vasques et fontaines en blocs miniatures). L’étude des formes et des différentes composantes des fontaines trahit la volonté de reproduire, par un processus de miniaturisation toujours plus évident, les compositions des infrastructures publiques ou celles des villas aristocratiques.
Au terme de cette première partie, l’étude typologique met en relief les similitudes structurelles entre les différentes catégories, fontaines construites et mobiles. H. Dessales met en exergue le fait que l’eau était utilisée pour son pouvoir métaphorique, permettant la création de microcosmes paysagers. Les décors des fontaines matérialisent les rêves d’évasion et d’appropriation culturelle des propriétaires. Pour les diverses structures construites, l’auteur souligne les procédés de copie et de transposition architecturale. Les fontaines des maisons urbaines reproduisent dans des versions standardisées et simplifiées les compositions des villas aristocratiques, des palais impériaux et des monuments publics. La mise en série des formes de bassins permet d’observer des formules typologiques spécifiques sur certains sites qui pourraient s’expliquer par le travail d’ateliers peu inventifs. Pour chaque catégorie décrite, il existe une version de substitut sous la forme de pseudo-fontaines qui reproduisent toutes les caractéristiques typologiques établies mais restent privées d’eau.
La question de l’alimentation hydraulique des domus est abordée dans une seconde partie. Le chapitre 5 de l’ouvrage est consacré à l’examen des systèmes fermés, puits et citernes, les plus anciens et les plus stables dans le temps, et des systèmes ouverts alimentés en eau courante. Au sein de ce chapitre, Pompéi fait l’objet d’un développement particulier.
Dans le chapitre 6, l’auteur s’interroge sur l’approvisionnement en eau des particuliers, entre l’utilisation de l’eau stockée des citernes et le recours au réseau public d’eau courante (aqua ducta), permis par la construction d’aqueducs. À la lumière des sources littéraires et juridiques, l’usage de l’aqua ducta en contexte privé apparaît comme une concession d’abord exceptionnelle sous la République, soumise par la suite à un très strict contrôle impérial. L’étude des différents types d’approvisionnement hydraulique des maisons fait apparaître la variété des solutions adoptées et la complémentarité entre eau stockée et eau courante.
Dans le chapitre 7, l’eau sert de prisme pour appréhender la géographie sociale et urbaine d’une ville romaine. L’eau est ainsi le reflet des structures sociales et spatiales, et aide à percevoir l’organisation hiérarchisée de la ville. L’eau apparaît comme un symbole de représentation sociale avec l’adduction en eau courante qui permet l’utilisation de structures thermales et la mise en place de fontaines décoratives. Ainsi l’auteur propose une géographie sociale de Pompéi, à partir de la distribution des fontaines privées. Le statut du propriétaire est indiqué par la taille de sa maison et par le fait d’être raccordé au réseau public d’eau courante. La répartition des fontaines publiques à certains points de la ville permet de rendre compte les zones riches et pauvres de la ville.
La dernière partie est centrée sur les liens entre utilisation de l’eau et organisation interne de la domus. Le chapitre 8 s’intéresse l’emploi de l’eau au sein de la maison, en mettant en exergue la gradation des espaces alimentés en eau courante, des thermes aux fontaines en passant les cuisines et les latrines. Au sein de ce chapitre, une recherche stimulante est menée sur les quantités d’eau utilisées dans la maison romaine. Cet aspect permet de percevoir l’eau nécessaire aux habitants d’une domus. L’eau devient même une unité de calcul en matière de recherches démographiques. Le volume d’eau des citernes des maisons de Pompéi, combiné au captage des eaux par la toiture, conduit H. Dessales à une estimation démographique des habitants des domus, et en conséquence de la ville.
L’utilisation de l’eau des fontaines dans l’espace domestique est le sujet du chapitre 9. La première utilisation des fontaines n’est pas d’assurer les ressources en eau potable d’une maison, mais leur eau sert à l’agrément des propriétaires, participant à la mise en scène du banquet. Elle était également utilisée pour l’irrigation des jardins, la mise en place de la pisciculture et les plaisirs thermaux.
Un autre point d’intérêt est développé dans le dernier chapitre de l’ouvrage, la nette différenciation entre les espaces de service et les pièces de réception dans l’utilisation de l’eau courante. Seules les pièces d’apparat font l’objet d’un raccordement à l’eau courante avec le recours de fontaines et de bassins qui participent à la mise en scène du dominus. Ainsi, les modifications touchant les structures hydrauliques de l’atrium et du péristyle-jardin à partir de l’époque julio-claudienne définissent de nouveaux axes visuels. L’eau est mise en scène à travers de bassins monumentaux et « murs-fontaines », points focaux d’une perspective saisissable depuis la rue, qui tend à se recentrer à l’époque tardive sur les espaces intérieurs.
En conclusion, nous pouvons féliciter H. Dessales de cet important ouvrage tant essentiel sur l’étude des structures hydrauliques que dans le renouvellement des questionnements sur la maison romaine. Ce présent ouvrage enrichit l’importante bibliographie portée aux sites de Pompéi et d’Herculanum, avec un éclairage nouveau porté aux domus.
Séverine Garat
mis en ligne le 28 janvier 2016