L’ouvrage, de belle facture, comporte 486 pages incluant une brève introduction qui présente le plan choisi (en partie chronologique et en partie thématique), les sujets abordés et les perspectives esquissées, une bibliographie générale alphabétique des sources primaires et des études critiques mentionnées dans le volume, un index des noms anciens, un index des auteurs modernes, une présentation des contributeurs, un résumé détaillé de chaque article accompagné de mots-clefs en français et en anglais et une table des matières de fin de volume. Il regroupe vingt-deux contributions issues en grande partie de journées d’étude qui se sont tenues à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand en mai 2009, avec quelques ajouts. L’ensemble vise à éclairer aussi bien les représentations mutuelles de poètes et d’orateurs, comme annoncé dans le titre, que l’auto-représentation des poètes et orateurs au moyen d’un discours sur l’autre catégorie socio-professionnelle. Il traite également, ce que laisse moins attendre le titre de l’ouvrage mais qu’annonce l’image d’illustration de la première de couverture, une mosaïque du IIIe s. ap. J.-C. représentant Ulysse (figure paradigmatique de l’art oratoire) résistant aux Sirènes (symboles des charmes de la poésie), de l’utilisation de personnages fictifs dont le statut se rapproche, sous certains aspects, de celui d’orateurs ou de poètes, voire d’orateurs et de poètes, pour mener une réflexion sur les divers usages du discours. La perspective générale du volume est plus littéraire que sociale ou historique, mais un certain nombre de contributions, avec beaucoup d’à propos, s’appuient sur le contexte socio-culturel de composition des œuvres considérées pour mettre en perspective les représentations en fonction des attributions respectives des métiers de poète et d’orateur et de leur évolution au cours des siècles. Les articles couvrent plus de onze siècles, à la fois dans le domaine grec et dans le domaine latin, allant d’Homère à Philostrate.
La première partie, intitulée « Concurrence et complémentarité de deux images en construction », parcourt à elle seule plus de neuf siècles d’histoire et comprend un grand nombre d’articles qui ne traitent pas de représentations d’orateurs ou de poètes réels, mais de figures qui peuvent être perçues comme telles – parfois de manière discutable. Une série d’autres articles insiste, avec beaucoup de finesse, sur la plasticité des figures de poètes et d’orateurs, sur la réversibilité de leurs rôles et sur l’évolution de leurs représentations réciproques au cours de périodes charnières (tournant des Ve-IVe s. av. J.-C. à Athènes, milieu du Ier s. av. J.-C. à Rome).
S. Perceau, « Des mots ailés aux mots en flocons : quelques portraits de héros en orateurs dans l’Iliade» (p. 23-37), débute en prenant le lecteur à contre-pied, dans la mesure où elle rétablit la fonction originelle d’un passage de l’Iliade, lu dans l’Antiquité – comme de nos jours – comme le support d’une réflexion sur deux styles oratoires opposés : la description des discours de Ménélas et d’Ulysse par Anténor (Il. III, 200-224). Replacée dans l’économie de l’œuvre, la description n’a pas pour objet de faire de Ménélas le représentant du « style brachylogique » et d’Ulysse celui du « style élevé » (p. 26), mais vise à révéler le caractère des personnages, et en particulier celui d’Ulysse πολύμητις, ce dernier mettant en place une « stratégie de diversion » pour emporter l’adhésion de son auditoire par un « coup de force » (p. 35).
M. Briand, « Les paradoxes de l’orateur mélique : les discours de Jason, Chiron, Méléagre et d’autres, chez Pindare et Bacchylide » (p. 39-56), suscite d’autres interrogations, puisqu’il inclut dans son étude différentes figures mythologiques qui font usage de discours plus ou moins développés, dans le cadre de scènes diverses (supplication, prophétie, confrontation, rencontre aux Enfers), afin de montrer que ces différents maniements du discours permettent à Pindare d’établir une ligne de partage entre la parole mélique, qui s’identifierait à celle des « bons orateurs » et la parole épique, dont les travers seraient dénoncés par le biais des « mauvais orateurs », ou au contraire, servent de support à Bacchylide pour proposer une synthèse du récit épique et de la célébration mélique, annonciatrice de l’usage tragique et sophistique du discours.
M. Bastin-Hammou, « L’orateur et le poète comique : réflexions sur Aristophane et Cléon » (p. 57-71), remet en cause la perception, traditionnelle depuis l’Antiquité, de la comédie comme visant des personnages historiques précis, en l’occurrence, l’orateur politique Cléon. Elle montre que les attaques répétées contre Cléon, qui est, chez Aristophane, « menteur, voleur, hâbleur, profiteur, bavard et lâche » (p. 67) sont en réalité topiques et représentent de façon générale les travers de la classe politique, dont le poète comique entend se distinguer pour incarner une contre-figure d’orateur idéal, de possible « conseiller et guide du démos» (p. 69), en particulier dans les parabases.
A. de Cremoux, « Les figures de poètes et la définition de la philosophia isocratique : quelques remarques » (p. 75-87), entend montrer qu’Isocrate – qualifié d’« orateur » avec guillemets, ces dernières n’enlevant rien à la dimension problématique d’une telle appellation – use de la référence aux poètes et à la poésie pour définir l’originalité de sa propre prose et sortir d’une opposition figée entre prose et poésie. Elle commente en ce sens l’expression λόγων ποιητής, employée à deux reprises par Isocrate, considérant que le mot ποιητής dénote dans son esprit la notion de poésie, tout en concédant que le mot a également d’autres usages à son époque et que l’expression λόγων ποιητής renvoie dans les passages cités d’Isocrate (mais aussi de Platon et d’Alcidamas) à l’opposition entre l’auteur de discours et celui qui les prononce.
C. Psilakis, « Comment une élégie de Solon influence l’écriture de Démosthène dans son discours Sur les forfaitures de l’ambassade (§ 251-256) » (p. 89-102), examine les tentatives rivales d’appropriation de la figure solonienne par Eschine, qui, dans le Contre Timarque (§ 25-26), donne le noble maintien de sa statue en modèle, et par Démosthène, qui lui répond dans la version publiée du Sur les forfaitures de l’ambassade en citant un long passage de l’Eunomie et en adoptant un style lui-même inspiré de la poésie solonienne. Ces procédés favorisent fortement l’identification entre Démosthène et Solon et lui permettent de bénéficier ainsi d’un garant de patriotisme sans égal. Ces usages révèlent la plasticité de la figure de Solon, à la fois poète et homme politique, qui devient, dans les deux plaidoyers, l’orateur par excellence, sa poésie même « dev[enant] pour ainsi dire “discours” » (p. 102).
Ch. Guérin, « Non per omnia poetae sunt sequendi. La figure du poète comme modèle et contre-modèle de l’exercice oratoire dans la rhétorique latine classique » (p. 103-119), cherche à mettre en lumière l’évolution, en diachronie, de la perception de la poésie par les auteurs de théorie rhétorique entre le début du Ier s. av. J.-C. et la fin du Ier s. ap. J.-C. (Rhétorique à Herennius, Cicéron, Sénèque le Rhéteur, Quintilien), en situant le tournant majeur de cette évolution dans les traités cicéroniens de l’année 46 av. J.-C. (Brutus et Orator). Il explique l’évolution générale « par le glissement progressif du champ oratoire vers le champ littéraire », l’orateur apparaissant, du fait de la perte progressive de son rôle politique, « comme un simple rival du poète sur la scène littéraire » (p. 105). Il souligne la dimension idéologique de cette évolution, qui vise à différencier nettement les deux professions et projette sur l’activité poétique les défauts que l’orateur doit éviter, brossant un tableau de l’activité de poète qui relève essentiellement de la caricature.
M. Ledentu, « L’orateur et le poète : modalités et enjeux d’une co-présence dans les discours de Cicéron » (p. 121-134), après avoir montré le développement progressif des citations poétiques dans les discours cicéroniens, à partir de 62 av. J.-C., s’arrête sur deux discours mettant particulièrement en scène des figures de poètes, le Pro Archia (62 av. J.-C.) et l’In Pisonem (55 av. J.-C.). Archias, présenté par Cicéron dans son plaidoyer comme un poète au service de la célébration nationale, constitue en réalité un « faire-valoir de l’orateur » (p. 131) dont il doit narrer les hauts faits dans sa poésie. Cicéron orateur inflige à Pison une véritable explication de texte de son propre poème, dans laquelle il oppose deux genres de poésie, qui reflètent deux modes d’action politique : la poésie épique à visée nationale, que se veut être le De consulatu, et la poésie de circonstance que suscite Pison, qui reflète « la crise des valeurs de la res publica et la corruption de certains membres de l’élite politique » (p. 134).
La seconde partie, intitulée « Quand l’orateur se fait poète et le poète orateur », est celle dont la structure est la moins satisfaisante, puisqu’elle continue d’explorer les différentes facettes des rapports complexes de la figure cicéronienne à la poésie, avant de faire un saut en arrière de près de trois siècles pour s’intéresser à des personnages fictifs pouvant être vus comme tenant à la fois du poète et de l’orateur, puis de revenir à des problématiques spécifiques à la Rome du Ier s. ap. J.-C.
J.-P. De Giorgio, « L’orateur, l’homme d’État et le poète. Poésie et littérature personnelle chez Cicéron dans le De consulatu suo et la lettre à Atticus, IX.6 (12 mars 49 av. J.-C.) » (p. 139-156), passe en revue les différentes formes « autobiographiques » envisagées par Cicéron pour relater son action politique, afin de montrer que poésie et rhétorique sont constamment associées dans ces projets. Il s’intéresse ensuite aux pratiques citationnelles de l’Iliade dans les Lettres à Atticus et montre que les personnages homériques constituent autant de doubles du narrateur « en plein exercice de délibération, en proie au doute et sans réponse » (p. 156).
Th. Barbaud, « Catulle, poète-orateur : entre Calvus et Cicéron » (p. 157-174), interroge l’utilisation de la rhétorique dans les poèmes de Catulle, pour examiner les figures d’orateurs, les types de discours, les dimensions de l’art rhétorique qui l’influencent particulièrement. Parti d’une opposition entre deux pratiques oratoires, représentées par Cicéron (c. XLIX) et Calvus (c. LIII), il montre que Catulle exprime clairement sa préférence pour le second, ou plutôt sa répulsion pour le premier, pour des raisons à la fois personnelles et stylistiques. Mais sa pratique de la rhétorique le rapprocherait plutôt d’une autre figure, Hortensius (c. LXV), « voix majestueuse des images musicales » (p. 174).
Ph. Heuzé, « Vergilius orator an poeta » (p. 175-181), évoque brièvement la comparaison entre Neptune calmant les vents et un orateur calmant la foule (Énéide I, 148-154), qui représenterait une figure d’orateur idéal où l’èthos du personnage importe au moins autant que son art rhétorique. Il esquisse ensuite une réflexion – qui aurait mérité d’être développée et argumentée – autour du discours de Drancès (Énéide XI, 343-375), soulignant, à l’inverse, le contraste entre l’èthos déplorable du personnage rongé par la haine et la justesse de ses analyses, qui témoignerait peut-être « des aléas consubstanciels à l’exercice de la parole humaine » (p. 181).
Chr. Kossaifi, « Les pâtres poètes et orateurs dans les Idylles bucoliques de Théocrite » (p. 185-200), étudie diverses tentatives de persuasion des pâtres des Idylles (en particulier Thyrsis et le chevrier dans l’Idylle I, Lacon et Comatas dans l’Idylle V, Simichidas et Lycidas dans l’Idylle VII), pour réfléchir aux relations complexes nouées entre rhétorique et poésie à travers ces figures, leur situation de parole et la façon dont Théocrite lui-même peut s’identifier à certaines d’entre elles. Les relations sont sans doute encore plus complexes qu’elle ne les représente, puisque les pratiques rhétoriques qui l’intéressent particulièrement, ekphrasis et agôn, sont depuis l’époque archaïque – et sont encore essentiellement dans les Idylles – des pratiques poétiques.
J. Goeken, « Un souteneur à la barre : peinture de caractère et mise en scène déclamatoire dans le Mime II d’Hérodas » (p. 201-219), remet en cause l’analyse de ce poème (pour lequel il propose une datation d’avant 266 av. J.-C.) comme étant « une parodie de l’éloquence attique en général et de Démosthène en particulier » (p. 203). Il montre que si le mime propose une caricature de plaidoyer, c’est pour éclairer l’èthos de l’orateur – un souteneur, personnage type de la comédie gréco-latine mais aussi de la théorie rhétorique – , conformément aux principes de la rhétorique. Il suggère que le poème s’appuie peut-être plus sur les exercices rhétoriques contemporains, en particulier déclamatoires, que sur l’éloquence judiciaire classique.
H. Vial, « Un destin impossible ? Les figures de poètes-orateurs dans l’œuvre d’Ovide » (p. 221-253), part de l’idée, exprimée par Ovide lui-même (Tristes IV.10), d’une incompatibilité entre carrière d’orateur et carrière de poète, pour passer en revue les figures de la poésie ovidienne qui tiennent au contraire des deux catégories, parce qu’ils sont poètes, mais en situation d’orateurs. C’est le cas du poète-narrateur ou de Sappho, tous deux mis en échec, le premier dans les Amours, la seconde dans l’Héroïde XIV. Mais d’autres figures réussissent mieux à conjuguer les deux talents : le narrateur-professeur d’éloquence dans l’Art d’aimer et les Remèdes à l’amour, Germanicus dans Les Fastes, diverses nymphes ou Muses en lien avec les arts de la parole et surtout Orphée, dans les Métamorphoses, « alter ego idéal du poète-narrateur » (p. 245). Ce dernier modèle convainc le poète-orateur de réitérer sa tentative de concilier objet poétique et art oratoire dans les Tristes et les Pontiques, pour aboutir sans doute à un échec argumentatif mais à un succès esthétique.
La troisième et dernière partie, « Réfraction de l’“autre” et réflexion sur soi : regards croisés à l’époque impériale », est celle qui comporte le plus d’unité. Les poètes et orateurs sont perçus de plus en plus comme appartenant à une même catégorie de professionnels de la parole, mais dont les carrières, souvent pensées en termes de destins, prennent des tours opposés. Une réflexion se poursuit également d’article en article concernant leur activité créatrice, autour de la question du style poétique et/ou rhétorique et de l’usage des pratiques de citations poétiques dans les œuvres rhétoriques.
S. Conte, « Poètes et orateurs dans le Traité du Sublime » (p. 259-279), considère l’œuvre comme relevant des traités de rhétorique, même si l’auteur ne se prive pas de références aux usages poétiques du langage. Si l’auteur du traité embrasse dans sa réflexion des auteurs et des œuvres divers, il accorde une place privilégiée aux deux auteurs qui lui semblent le mieux incarner le sublime : pour le versant poétique, Homère, pour le versant rhétorique, Démosthène. Mais tout en maintenant la différence entre prose et poésie, il fait de Démosthène une figure d’orateur « véhément et passionné, suscitant l’extase auprès de son auditoire et inspiré comme un poète » (p. 279).
R. Cytermann, « Poésie et éloquence dans le Dialogue des orateurs : lecture de l’Histoire et genres de vie » (p. 281-293), examine la façon dont le dialogue représente la rivalité entre poète et orateur, en tenant compte de la littérarisation de la rhétorique à l’époque impériale. Elle lit l’évolution de Maternus, qui d’orateur décide de devenir poète, comme un reflet de celle des attributions et potentialités respectives des métiers de poète et d’orateur, dans le cadre d’une relation triangulaire poète-orateur-empereur.
É. Delbey, « L’éloge de l’orateur et l’échec du poète chez Calpurnius Siculus » (p. 297-303), propose une rapide lecture des vers 32-111 de L’Éloge de Pison pour souligner la façon dont les références à la poésie servent à valoriser les talents de poète, mais surtout d’orateur, de Pison, puis revient sur l’échec de la poésie mis en scène dans les Bucoliques. Il explique la dévalorisation de l’œuvre poétique par le statut social du poète au milieu du Ier s. ap. J.-C. et le choix de l’empereur Néron de faire lui-même œuvre de poète, qui ne laisse guère place pour d’autres que lui.
C. Notter, « La figure de l’orateur dans les épigrammes satiriques de Martial » (p. 305-318), part d’une comparaison entre les épigrammes satiriques de Martial et celles de l’Anthologie Palatine (livre XI) pour souligner les thématiques récurrentes des portraits des orateurs, avocats ou rhéteurs qui s’y trouvent (défauts de technique oratoire, référence au salaire et au statut social de l’avocat en particulier) et examiner comment, malgré des points de rencontre avec les figures d’orateur, le poète s’y construit dans une « opposition frontale » (p. 317) avec elles, préférant l’otium poétique aux agitations de la vie d’avocat.
A. Estèves, « Lucain vu par Quintilien (Institution oratoire, X.1.90) : style épique ou style oratoire ? » (p. 321-333), revient sur l’affirmation paradoxale de Quintilien selon laquelle Lucien « doit davantage servir de modèles aux orateurs qu’aux poètes », en passant en revue les divers commentaires que Quintilien donne du style lucanien, pour montrer que l’affirmation n’a pas pour fonction de nier les qualités proprement poétiques de Lucain, mais bien de saluer « l’implication passionnée dont fait preuve la voix poétique de la Pharsale, [qui] érige Lucain en possible modèle de persona oratoire » (p. 333).
R. Poignault, « La poésie au miroir de Fronton » (p. 335-350), rappelle la place prépondérante qu’occupent les citations, allusions et commentaires poétiques dans les lettres de Fronton à Marc-Aurèle, puis souligne qu’outre leur fonction didactique, les figures de poètes privilégiées (essentiellement archaïques ou mythiques), ont également pour fonction de servir de guide possible à l’empereur : la personnalité du destinataire, promis à avoir une « parole agissante » (p. 350) fait qu’il n’y a pas besoin de souligner les différences entre poésie et rhétorique.
J.-L. Vix, « La parole poétique dans les discours 30-34 d’Ælius Aristide » (p. 351-363) interroge l’usage de la culture poétique d’Ælius Aristide dans les discours qui sont liés à des situations éducatives. Il souligne la place différente accordée aux poètes dans les discours épidictiques, où la parole poétique a des fonctions d’ornementation et de glukutês, et dans les discours à tonalité polémique, où l’orateur joue de l’autorité accordée aux poètes anciens (en particulier Homère et Pindare) pour conforter son argumentation. Dans les deux cas, mais de manière fort différente, la poésie apparaît comme une « auxiliaire de la rhétorique » (p. 362).
G. Puccini, « La figure du poeta dans les Florides d’Apulée » (p. 365-373), étudie la façon dont la convocation d’une culture, mais aussi de dons poétiques, permettent de valoriser l’èthos d’orateur-philosophe d’Apulée dans ses conférences. Celle-ci légitime doublement l’utilisation qu’il fait de la poésie, en justifiant sa pratique poétique par des précédents illustres, comme Pythagore ou Platon, et en rappelant la position prééminente des poètes concernant le domaine divin. Il cherche ainsi à réconcilier poésie et rhétorique/philosophie, tout en mettant la poésie au service de l’éloquence philosophique.
A.-M. Favreau-Linder, « Citations poétiques et stratégies rhétoriques : la parole poétique comme instrument de mise en scène du sophiste » (p. 375-397), étudie le réinvestissement d’emprunts et de citations poétiques, fréquemment adaptés, par les sophistes des Vies de Sophistes de Philostrate, pour se composer un èthos particulier – souvent héroïque – au service de leur prestation oratoire, en jouant de la connivence culturelle avec leur auditoire.
C’est donc, on le constate, un ouvrage extrêmement riche et fourni, qui éclaire les problématiques essentielles des relations de proximité, de concurrence, d’antagonisme et d’inspiration mutuelle entre poètes et orateurs, mais permet, plus largement, d’explorer différentes facettes de la perception antique de ces professionnels de la parole, dont poètes et orateurs, mais aussi, comme l’aborde parfois l’ouvrage, philosophes et autres prosateurs, font partie. Nos quelques réserves concernent essentiellement des choix éditoriaux, qui nous semblent desservir la portée de l’ensemble. Le plan de l’ouvrage, qui hésite entre progression chronologique et progression thématique autour de trois grandes parties, elles-mêmes divisées en deux ou trois sous-parties, a pour effet de brouiller la lecture plus qu’il ne l’accompagne, et de réduire la portée de certains articles, voire d’en faire une présentation biaisée. Nul plan n’est sans défaut, bien sûr, mais il est permis de se demander si une organisation strictement chronologique, accompagnée d’une conclusion (voire d’un index thématique) soulignant les multiples effets d’échos entre articles, n’aurait pas mieux rendu justice à la diversité des apports majeurs des contributions rassemblées. Outre l’absence de conclusion, on regrette le choix d’une bibliographie alphabétique, d’autant plus que l’introduction ne contient pas de synthèse bibliographique, mais renvoie pour cela à la bibliographie de fin d’ouvrage, et que les références bibliographiques intégrales en notes de bas de page rendent inutile à celui qui cherche une référence précise la consultation de la bibliographie générale, contrairement aux pratiques anglo-saxonnes. Un classement thématique aurait permis de donner à la bibliographie de fin d’ouvrage sa fonction de synthèse.
Flore Kimmel-Clauzet, Université Paul-Valéry (Montpellier)
mis en ligne le 4 septembre 2015