Contrairement à ce que laisse entendre le titre principal (opportunément nuancé par le sous-titre), cet ouvrage n’est pas une synthèse thématique sur l’héroïsme et la mort dans la Thébaïde, mais une série d’études de textes centrés sur les aristies, le plus souvent mortelles, de quelques héros marquants de cette épopée. Dans chaque chapitre, l’auteur ne se livre pas à une explication linéaire intégrale du texte, mais se focalise sur quelques séries de vers sélectionnés soit en raison d’un problème de compréhension, soit pour leur caractère particulièrement remarquable du point de vue de l’élaboration littéraire. L’ouvrage est donc organisé en sept chapitres correspondant à des moments forts des chants VII à XII : les ultimes aristies des grands chefs argiens (Hippomédon, IX, 315-539 ; Amphiaraos, VII, 690-824 ; Capanée, X, 738-939 ; Tydée, VIII, 660-768 ; Parthénopée (IX, 683-907), la « dolonie » tragique d’Hoplée et Dymas (X, 347-448) et l’équipée héroïque d’Argie, l’épouse de Polynice (XII, 173-388). Les quatre premiers chapitres sont repris d’articles publiés dans diverses revues italiennes entre 2023 et 2024, et les trois derniers sont entièrement inédits. Cette origine un peu composite fait que les éléments d’unité formelle de l’ouvrage sont assez réduits : une très brève introduction, pas de conclusion générale, mais, tout de même, une bibliographie générale bien actualisée (jusqu’en 2024) et un index des critiques modernes. L’unité de l’ensemble réside plutôt dans la méthode adoptée : une lecture serrée des extraits sélectionnés, et dans son objectif général : élucider le sens de passages difficiles et faire ressortir la densité suggestive du style de Stace ainsi que l’originalité de ses images. Les discussions sur les problèmes de texte sont à vrai dire assez rares dans cette étude (voir cependant p. 133, où C. Salemme, pourtant plutôt porté à défendre la leçon des manuscrits, conteste, peut-être avec raison, le très problématique maeret au profit de la correction marcet pour XII, 314), et l’auteur ne révolutionne pas le texte de la Thébaïde, ce qui n’était pas son objectif ; l’essentiel de son intérêt se porte sur la lexicologie métaphorique et sur les images en général, avec une attention particulière aux comparaisons. C’est ainsi qu’il précise de façon convaincante le sens de certaines métaphores un peu obscures, comme par exemple liquidum iter (IX, 363, p. 16), pectore anhelo (IX, 403, p. 17), anhelat nefas (IX, 43, p 20), infusus (IX, 877, p. 103) ou juncta agmina (X, 405-406, p. 116), en pointant l’imprécision des traducteurs ou en redressant leurs faux-sens (voir par exemple p. 56, 85 ou 116 pour des faux-sens de la traduction Lesueur des Belles Lettres). Pour chaque texte considéré en effet, la discussion se base sur une prise en compte attentive de l’ensemble des commentaires (de Lactantius Placidus à Augoustakis en passant par Williams, Dewar, Smolenaars et Pollmann) et des traductions de la Thébaïde ainsi que des articles pertinents au sujet et sur un examen critique systématique de leurs interprétations. Il arrive parfois à C. Salemme de reconnaître en toute honnêteté une aporie : par exemple, p. 50 pour ruptis portis (X, 738). A chaque étape, l’auteur a aussi à cœur de caractériser la méthode statienne de création d’images nouvelles à partir de la tradition épique antérieure (voir par exemple p. 40). Se constitue ainsi par touches successives (faute d’une synthèse thématique) une vision d’ensemble cohérente de la genèse des images de Stace, marquée par la concision expressive et l’intensification dramatique par rapport aux modèles (voir par exemple p. 44). On sait gré également à l‘auteur de bien prendre en compte les effets de recontextualisation (par exemple, p. 104) ainsi que la hiérarchisation des intertextes (par exemple, p. 75). Mais plus globalement, l’analyse peut s’élever à des considérations plus générales sur la poétique de Stace tout à fait éclairantes (par exemple, p. 312-313 sur le rapport entre le paysage et les états d’âme des personnages). Il lui arrive aussi, plus rarement, de prendre un peu plus de hauteur pour aborder des problèmes interprétatifs de fond (par exemple, p. 86-87 sur la question de la responsabilité humaine). Les développements considérés comme des digressions sont signalés par une police de caractères plus petite que le texte principal, ce qui matérialise bien la hiérarchisation des idées. Dans le premier chapitre, les idées importantes sont même mises en valeur par des italiques, mais ce procédé n’est pas repris par la suite. Au total, l’ensemble des remarques sont tout à fait éclairantes et font bien progresser la compréhension de textes souvent difficiles. Le caractère plus analytique que synthétique de l’ouvrage limitera certes son impact sur un public élargi : il intéressera surtout ceux qui devront scruter de très près les textes considérés, soit dans une perspective scientifique, soit dans un but pédagogique. Mais pour ces derniers, ce livre sera assurément un complément utile à consulter en plus des grands commentaires des chants concernés.
François Ripoll, Université de Toulouse 2-Jean Jaurès, EA 4601 PLH-CRATA
Publié en ligne le 11 décembre 2025.
