Ce livre touffu est nourri d’une connaissance très précise de la théorie musicale (ce qui ne saurait surprendre étant donné le parcours intellectuel de l’auteur) dont l’exposé n’est pas toujours rendu très accessible. J’avoue que le cheminement vers les conclusions tirées de l’analyse de l’heptacorde conjoint ou de l’heptacorde disjoint de Parménide ou Philolaos me reste obscur pour ne rien dire de l’idée selon laquelle « les octaves se colorent » (pour ce « chromaticisme » il faut revenir à un ouvrage antérieur, Platon et la dysharmonie). Le propos est nourri de références multiples qui donnent une impression de rigueur mais il me semble que l’assertion en est la caractéristique essentielle et que l’on ne peut toujours vérifier la pertinence de telle ou telle formulation tant la juxtaposition des textes invoqués comme justification ou pour discussion, sources primaires ou textes d’érudition, est complexe. Pour ce qui est de la méthode d’analyse, de lecture et sans doute d’écriture, on notera que le langage semble être pour l’auteur une sorte de mimétique (dans la conclusion, p. 326, à propos d’Homère, l’idée étant récurrente, elle est développée notamment à propos d’Empédocle, p. 97, ou de façon donnée pour parfaitement opératoire, p. 144, à propos du prologue de Parménide et, page 151 où dans le cadre du « schématisme parménidien » le fragment B8 est dessiné en la « forme globale d’un cercle ») qui permet de donner à voir toute forme d’action ou de pratique humaine (il est malheureusement, pourtant, peu question de politique en cet ouvrage, Jean-Pierre Vernant n’apparaît pas dans la bibliographie où il aurait dû avoir toute sa place et Nicole Loraux est trop peu lue). Cette conception de la linguistique me paraît autoriser toute forme de manipulation argumentative. La quatrième de couverture qui anciennessemble, mieux que ne le fait la conclusion de l’ouvrage sans doute trop philosophique aux yeux de l’auteur, résumer son ambition par une sorte de passage à la limite quelque peu provocateur, en amplifie encore les conséquences quand il est affirmé, ce qui ne semble pas être, heureusement, l’impression que l’on tire de la lecture du livre qu’elle clôture, que « abordé dans la perspective d’une anthropologie de la technique, chacun des auteurs examinés illustre une manière de fabriquer une balle ». La structure de l’ouvrage est linéaire, Homère étant d’une certaine façon intégré au groupe des présocratiques, on passe dans une première partie (« La sphère : de l’harmonie infinie à la limite ») d’Homère donc (« L’harmonie sans l’un ») à Empédocle (« L’harmonie infinie sans l’un »), Héraclite (« L’harmonie invisible et le logos de l’un-conjonction ») puis Parménide (« L’harmonie ou la limite »), dans une seconde (« L’intervalle : de l’un comme effet de l’harmonie à l’un commensurable ») d’Anaximandre « le chaînon manquant » (« L’harmonie de l’infini et l’harmonie du kosmos ») aux Pythagoriciens (« L’infini comme excès et défaut »), à Philolaos (« Philolaos et l’intervalle ») puis Anaxagore (« L’harmonie sans limite ») qui permet d’atteindre, pour de rapides remarques, Platon (Philèbe, Protagoras, Parménide) et Aristote.
Jean-Marie Bertrand